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mardi 27 novembre 2007

Causerie avec Robert Lalonde

J'ai vécu un moment unique hier. Nous étions un groupe à écouter Robert Lalonde qui est venu expressément à la bibliothèque d'Eastman pour nous causer, sans prétention, de sa démarche d'écrivain. Juste avant d'arriver, il a entendu à la radio de son auto, l'annonce que son recueil de nouvelles était finaliste pour le Prix des libraires. Je me suis tout à coup sentie très près de notre littérature, très près de nos écrivains et encore plus, d'un écrivain. Cela m'a donnée une bouffée de chaleur au niveau du coeur.


Robert Lalonde est un être assez spécial, c'est la deuxième causerie à laquelle j'assiste et je suis toujours aussi impressionnée par sa simplicité d'approcher l'état d'être d'écrivain. Pas un métier, un état d'être. Selon lui, on ne décide pas de devenir écrivain, genre un choix de carrières parmi tant d'autres. On l'est, point à la ligne. Et comment l'est-on ? En écrivant, écrivant, écrivant. Par incapacité de s'en abstenir. Le geste de remplir de calligraphie les feuilles d'un cahier, il ne l'approche pas sous l'angle de l'efficacité productive menant droit à la performance, cette maladie du siècle ! Il écrit des « tonnes de copies » pour n'en garder que quelques unes. Qu'importe d'écrire pour « rien », ce rien n'étant jamais rien pour un écrivain. Aimer écrire pour écrire. D'ailleurs, cet arrachement du manuscrit d'entre ses mains afin qu'il puisse aller se promener sous les presses de l'éditeur est un enfer à chaque fois. Son entourage a fini par connaître cette manie de ne jamais considéré son manuscrit fini. Le dernier qu'il a remis récemment, quand il l'a réclamé pour y apporter des changements, son éditeur a prétendu l'avoir perdu !


Il faut aimer beaucoup et passionnément c'est encore mieux, manipuler les matières premières de l'écriture ; les mots, les émotions, l'être humain. Tout geste d'écrire commence donc par l'observation. Il se traite de fouineux de la pire espèce, le nez fourré partout, une vraie blette. Une condition essentielle à l'écrivain, d'après lui. Et ne pas vouloir le confort à tout prix. Ah, il la trouve bien bonne celle-là, la "passion du confort" ; deux mots irréconciliables d'après lui. Il faut éprouver de la passion mais surtout pas celle du confort ! Le confort, pour l'imager, serait s'ancrer profondément dans son fauteuil - ou ses idées - avec aucune envie d'en sortir de peur de prendre le risque d'avancer un pied dans la mauvaise direction, s'enfarger et peut-être même se tromper, qui sait. Ne pas avoir peur de plonger profond dans sa mare humaine. Il y a les pleins et les plaines, en alternance avec les secousses thermiques de l'écrivain, cet inévitable mal de peau devant sa feuille remplie de lui. Un détour obligé que ces tremblements de doutes qui te secouent afin de mieux prendre le large par la suite. Prendre le risque de faire un détour. Et au fait, un détour par rapport à quoi ? Perd-on son temps quand on est écrivain ? apporte à notre attention cet homme de théâtre qui nous mime ces états d'âmes, en contorsionnant son corps fort (coffre-fort) d'une manière si convaincante ! Tout est de la matière à engranger dans notre baignoire mémoire où flotte librement, jusqu'à la dérive, nos souvenirs.


De cette causerie, je garde justement du souvenir, impérissable. Il est clair que cet enseignant (il a un plaisir évident à transmettre, il enseigne à la jeunesse) trouve que le monde se barde de fausses sécurités, se conforte à adopter des idées et y tenir avant même de les avoir tester. Qu'il faille absolument une idée de départ pour partir un roman, Robert Lalonde s'en méfie comme de la peste. Il faudrait plutôt renifler son vécu qui dégagerait une odeur si forte, si envahissante à la narine que, inévitablement, les mots débouleraient. Les laisser débouler est un geste d'abandon, un grand geste par les temps qui courent, le plus difficile peut-être.


Mon amie et moi sommes sorties de cette causerie, enchantées, ravigotées, rassurées. Oui, c'est ça, rassurées. Il a l'art de rassurer. D'avoir entendu sur tous les octaves combien ce n'est pas grave d'être compliqué, que c'est bien plus compliqué de ne pas vouloir être compliqué, pose un baume sur nos complexes face au complexe ! Si on sait accueillir son invitation à se débarrasser de nos concepts, nos prêt-à-penser, on revient à un geste naturel : laisser couler les mots, ils savent, eux où ils s'en vont.

Clark et les autres, Stéphane Bertrand (Hurtubise HMH)
Le reste du temps, Esther Croft (XYZ éditeur)
Les carnets de Douglas, Christine Eddie (Alto)
Parfum de poussière, Rawi Hage (Alto)
Un taxi la nuit, Pierre-Léon Lalonde (Septentrion)
Espèces en voie de disparition, Robert Lalonde (Boréal)
Tarquimpol, Serge Lamothe (Alto)
Léon, Coco et Mulligan, Christian Mistral (Boréal)
Chroniques du lézard, Maya Ombasic (Marchand de feuilles)
Le jardin sablier, Michèle Plomer (Marchand de feuilles)
Treize contes rassurants, Marc Provencher (Leméac)
Le froid modifie la trajectoire des poissons, Pierre Szalowski (Hurtubise HMH)

6 commentaires:

S@hée a dit...

Encore une fois, vous me donnez envie de découvrir... :-)

Lucie a dit...

Que j'aime l'intensité du personnage! L'inconfort de la passion plutôt que la passion du confort: j'adopte!

Jules a dit...

De mon côté, je n'ai pu terminer son livre...

Jules a dit...
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blogue.
Anonyme a dit...

«L'inconfort de la passion plutôt que la passion du confort»: voilà une tournure qui prouve bien que Lalonde aime jouer avec les mots. Mais pour moi ce n'est rien d'autre qu'une tournure...

Anonyme a dit...

Je n'ai rien lu de lui. Mais ce qu'il dit sur la condition d'écrivain me rejoint assez. Surtout sa réflexion sur le fait de perdre ou non son temps... car parfois, on est confronté à des périodes où on se distancie de l'écriture. Il faut alors arriver à vivre quelque temps sans écrire, ce qui n'est pas toujours facile. On se culpabilise, en oubliant qu'on est tout simplement en train de "vivre" le matériau futur qui nourrira les prochains écrits.