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jeudi 29 octobre 2009

Un monde mort comme la lune - Michel Jean

Allons-y avec la quatrième de couverture : Jean-Nicholas Legendre, grand reporter pour la télévision québécoise se rend en Haïti pour y suivre la trace des narcotrafiquants colombiens et enquête sur leurs liens avec les gangs de rue de Montréal et le régime du président haïtien. Et qui a écrit cette histoire ? Le journaliste Michel Jean, co-animateur de l’émission J.E. qui a couvert plusieurs sujets dont la guerre en Iraq et la crise en Haïti. C’est son premier roman.

Je fais le parallèle entre l’histoire et l’auteur parce que, justement, c’est au départ ce qui m’a dérangé. Dès les premières pages, nous sommes à Port-au-Prince sous le régime de Jean-Bertrand Aristide, et ce mixte de la réalité (utilisant les vrais noms) avec la fiction m’a empêché de plonger. Comprenez-moi, ce n’est pas la sempiternelle question du vécu ou non, c’est plutôt cette impression de suivre un reportage, aussi palpitant soit-il, qui m'a tenu dans un état de lectrice de journaux, sollicitant mon côté rationnel. Et pourquoi pas, puisque c’est tout probablement un choix de Michel Jean ? À ce compte-là, j’avoue que c’est une affaire de goût ...

La deuxième partie est venue me chercher un peu plus. À son retour au Québec, à la sortie du vidéo choc qu’il a tourné au risque de sa vie, le journaliste Legendre subit des secousses sismiques dans sa vie personnelle et professionnelle. Au travers des dédales de cette sensationnelle affaire de trafic de drogues, j’ai aimé que l’auteur fasse une place de choix à son amour infini pour sa femme et sa fille, autant qu’il a fait état de son attirance pour Bia, une haïtienne énigmatique, prostituée de luxe. Je me suis un peu rapproché du journaliste, mais pas au point d’être fusionnel, loin de là. Pourquoi cette distance qui a perdurée jusqu’à la fin ? Comme dans la vie, c’est une question d’atomes crochus, pourquoi prendre à cœur les déboires d’une personne et seulement compatir avec ceux d’une autre ? Pourtant, quand le personnage principal prend autant de place, ça peut se voir comme une invitation de s'en rapprocher, surtout quand celui-ci partage généreusement ses émotions et ses sentiments. Les plus fortement décrits sont l’attirance sexuelle et le rebond vital de la vengeance. Laisser palpiter son coeur sous la pulsion sexuelle fait circuler le courant de vie en nos veines, la vengeance encore plus. Par la rage dans laquelle la vengeance puise. J’ai plus ou moins embarqué dans cette rage folle, au même titre que j’ai loupé des rendez-vous avec certaines circonstances très hasardeuses, comme l’accident de Bia. C’est beaucoup en mettre sur le dos du destin.

Je crois que j’aurais préféré que l’auteur s’oublie, s’efface derrière son personnage de journaliste. Je ne l’ai pas senti assez emporté par son histoire. Pourtant l’habileté de raconter est présente et certaines envolées confirment un amour infini des mots. Par exemple, les descriptions de Montréal sous la neige m’ont frappée par leur justesse.

J’ai apprécié l’épisode « rédemption », c'est que personnellement, je crois à ce genre de phénomène un peu inexplicable. Le parallèle de similitudes d'énergie entre ses deux « familles femmes » est audacieux, loin du cliché, mais j'ai dû fournir un effort pour y croire. Il y avait là de la matière (de la belle matière d’ailleurs !) à en faire tout un roman, mais diluée dans une spectaculaire enquête à puissantes retombées mondiales, le côté surprenant pourrait prendre le dessus pour certains.

Une fois la couverture et la poussière retombée, j’ose conclure qu’il apparait difficile de vivre à fond son élan de romancier en se tenant si près de son vécu.

Un monde mort comme la lune – Michel Jean. Libre Expression. 254 p.

16 commentaires:

Phil a dit...

Je l'ai terminé récemment moi aussi et je vais bientôt écrire mon commentaire. Mon impression un tantinet différente de la tienne. J'ai notamment apprécié l'absence de distance entre l'auteur et le journaliste. On s'en reparle !

Venise a dit...

Phil, l'on constate encore une fois que deux têtes valent mieux qu'une ... alors, imagine vint !

Vingt avis sur un roman, c'est le minimum requis pour se faire une idée !

Anonyme a dit...

Je ne suis pas attiré par les journalistes qui écrivent des romans.

Blue a dit...

Et pourquoi donc, Réjean, si je puis me permettre?

Blue a dit...

Je n'ai pas lu le livre, le lirais peut-être, ma pile grossit un peu trop en ce moment! Mais j'ai beaucoup aimé ton commentaire, la tournure le rythme et la conclusion qui m'interpelle vraiment, peux tu développer cette impossibilité à l'élan si le romancier est trop prés de son vécu?

Amélie a dit...

Je ne sais pas si c'est un livre que j'ai envie de lire --quoique ce serait peut-être une bonne façon d'en apprendre un peu plus sur Haïti sous Aristide, une façon un peu moins aride que de lire un manuel d'histoire, je veux dire --mais j'aime le titre, beaucoup!

Anonyme a dit...

@helenablue
Parce que souvent les journalistes n'arrivent pas à dépasser le style journalistique même quand ils deviennent romanciers. Bien sûr, il s'en trouve sûrement qui y réussissent. En connaissez-vous ?

Venise a dit...

@ helenablue : Je comprends que tu me poses la question, la question se pose, crois-moi !

Disons que d'écrire en puisant dans son vécu, en l'assumant, le poussant, l'exploitant, est une démarche intéressante et cela peut donner des récits prenants, bouleversants même. Et j'aime les lire. Dans le fond, ça revient à dire, si on fait un choix, il s'agit de le pousser dans ses derniers retranchements. Dans un monde mort comme la lune, c'est ambigüe, surtout dans la première partie, le style étant empreint de la touche journalistique, j'avais l'impression de lire un reportage romancé. J'ai préféré la deuxième partie où le personnage est un être humain éploré, sorti de son rôle de journaliste. Et cela s'est reflété dans le style qui est alors venu me chercher.

Mon impression est que c'est se la faire dur de placer le personnage principal (très, très présent), incarnant le métier que l'on exerce, surtout, mais alors là surtout, quand le métier implique d'écrire en empruntant un style qui doit décrire, sans rapporter des sentiments mais plutôt des faits.

Je me souviens que dans ma formation de comédienne, il était beaucoup plus difficile de s'abandonner pour créer un personnage près de soi, près de son vécu, de son quotidien. La difficulté était plus grande de s'abandonner à la création. C'est connu dans le cas de personnages de composition, c'est plus facile.

Ça te vas, helenablue ?

Venise a dit...

Amélie : J'adore le titre ! Je me le suis répété souvent, et il amène un univers avec lui. Il est évocateur, poétique même.

Apprendre d'Haïti sur Aristide ? Peut-être, mais en considérant que c'est principalement sous l'angle d'une enquête journalistique sur le trafic de drogues.

Merci d'être passé, Amélie, cela me fait toujours plaisir :-)

Blue a dit...

@ Réjean:

Merci de m'avoir répondu, j'y suis sensible et je comprends mieux ainsi votre réticence.
Spontanément je citerais Philippe Labro, mais je n'ai lu que deux livres de lui...

Blue a dit...

Oh! Je te crois sur parole, chère Venise, et te remercie vivement pour avoir répondu généreusement à ma question.

Je crois et tu me diras si tu est d'accord avec ça que le romancier qui arrive justement à extraire de lui une sève proche de son vécu donne un résultat tout à fait percutant et dense, comme tu le dis pour ton travail de comédienne, plus difficile sans doute mais qui contient une vérité, une sincérité intrinsèque pas "inventable" qui alors étoffe le personnage que tu peux jouer et lui donne cette vie en soi qui touche et qui interpelle.

Je ne suis ni écrivain, ni acteur, j'avance cela comme une hypothèse établie de mon ressenti et de mes expérimentations.

Anonyme a dit...

@helenablue
Labro est un bon exemple. J'ai lu plusieurs de ses romans. Peut-être est-il plus écrivain que journaliste finalement.

Blue a dit...

@Réjean:

Peut-être, oui!
:-)

Beo a dit...

J'ai lu un roman de Labro et j'avais bien aimé. Mais je ne le connais absolument pas en tant que journaliste.

Il serait intéressant d'avoir l'avis d'un-ne lecteur-trice qui ne connais pas Michel Jean comme journaliste... non?

Moi la meilleure façon que j'ai de connaître Haïti de l'intérieur: c'est incontestablement avec Dany Laferrière ;)

Venise a dit...

@ Béo : Idéalement, ton idée est bonne, que le lecteur ne sache pas que Michel Jean est journaliste. Par contre, cette personne devrait fermer les yeux sur la quatrième de couverture où la brève bio se lit comme suit: "Le journaliste, Michel Jean, co-animateur de l'émission J.E. au réseau TVA a couvert plusieurs sujets aux quatre coins du monde, dont la guerre en Iraq et la crise en Haïti. En 2006, il a reçu le prix Judith Jasmin pour un reportage réalisé pendant la guerre au Liban."

Ah, toutes les occasions sont bonnes de placer ton admiration pour Dany Laferrière :-) ... Comme tu dois être contente qu'il ait gagné le Prix Médicis !

Beo a dit...

Ouiiiiiii! Et j'en rate pas une pour mentionner mon amour de Laferrière.

Puis mon idée concernant Michel Jean visait des gens qui n'ont JAMAIS vu ou entendu le monsieur et que la quatrième de couverture ne ferait que donner une piste bien vague, tu vois?