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vendredi 11 décembre 2009

Le discours sur la tombe de l'idiot - Julie Mazzieri

Ça y est, je l’ai lu ce fameux Prix du Gouverneur Général 2009 !

J'ai l’impression que j’aurai de la difficulté à vous rendre ce roman avec justesse, tellement d'ailleurs que j’en éprouve quasiment le trac. Dans ces moments-là, je m’accroche à la quatrième de couverture qui est justement très pertinente. J’avoue même qu’elle m’a aidée à situer la fin : « Si le roman possède une « essence policière » incontestable, il s’agit d’abord et avant tout d’un roman de la culpabilité. Tout en s’attachant au sort de Paul Barabé, le récit présente l’histoire de Chester « saisie du dedans » : une histoire commune non pas appréhendée dans la perspective rassurante des intentions et des actes, mais une histoire se rapportant plutôt aux faits principaux qui accablent ce village sans idiot ». (Cet extrait représente environ un quart du quatrième).

J’ai habité ce village quelques heures, vraiment habitée, j’y étais. Tout au long de mon séjour, les questions ont criblé mon esprit et j’ai ressenti une tension, en tout cas, je n’étais pas détendue. Habituellement, je trouve les villages rassurants, tout le monde se connaît, on en fait le tour rapidement, l’esprit le contient. Mais pas Chester dont l’ambiance dégage du mystère, pas celui qui est opaque, celui qui titille l’esprit, qui l’agace continuellement. L’histoire me laissait peu de temps pour réfléchir dans mon état de fébrilité d’en vouloir plus, toujours plus.

Pourtant, dès le départ, on connait les malfaisants qui se débarrassent de l’idiot. On ne cherche pas l’assassin mais on cherche quand même ; la vérité des personnages, d’y voir plus clair. Le style et la manière de raconter est à ce point efficace que j’ai monté un film dans ma tête ; c’était sombre, je n’y ai jamais vu le moindre rayon de soleil ! Certaines perles langagières me sautaient aux yeux et c’est bien la seule chose qui brillait dans cette noirceur ! De la noirceur, non pas celle qui appelle la déprime, le dégoût oui peut-être, mais surtout la dureté des sentiments, l’ignorance crasse, l’inconscience mais pas la candide, les victimes malignes, l’exploitation de la bonne volonté, la méfiance impitoyable vis-à-vis les étrangers. Et toujours ce vent de folie qui guette, qui rôde, qui peut s’emparer d’un esprit sain, même celui du lecteur ! Pris par l’effet d’entraînement, les secrets, la force vive de la rumeur, nous déambulons avec des personnages typés d'un village classique, mais représentés avec une unicité de langage concis, allant droit au but par l’appel de l’image.

Le monde de cette auteure est original, et c’est ce genre de roman qui me fait demander ; comment fait-elle pour vivre avec des histoires comme ça dans sa tête !? Tout au long de ma lecture, j’ai ressenti de l’inquiétude, et la fin ne m’a pas replacée dans mon monde rassurant, je continue à me poser des questions. Et peut-être après tout que mon rationnel s’est fait avoir par les émotions, je ne m’en défends pas, ça signifierait qu’il a été pris en otage par une histoire à l’ambiance forte qui entraine tout sur son passage. Cette auteure n'est pas née d'hier, jamais je croirai ! Je l'imagine facilement avoir plusieurs embryons d’histoires dans ses tiroirs. Enfin, je l’espère !

Le discours sur la tombe de l’idiot – Julie Mazzieri, Éditions José Corti, 245 p.

20 commentaires:

Dominique a dit...

Ce fut un bonheur de lecture en début d'année 2009
une réussite pour un premier roman
je partage tout à fait ce billet, je me suis laissée embarquée par l'histoire J'ai été très heureuse qu'elle soit primée

Dominique Blondeau a dit...

Bonjour Venise,

cette Dominique n'est pas moi, je suis l'autre, celle qui publiera dans son blogue, la semaine prochaine, la critique du roman de Marc Séguin...
Bonne fin de semaine

Pierre H.Charron a dit...

Vendu! je sais que je vais aimer ce genre d'histoire. Je le monte très haut sur ma liste.
Des idéées noires dans la tête des auteurs, moi j'en raffole ;)

Anonyme a dit...

Robert Lévesque a écrit que c'était un anti-polar et un anti-roman du terroir, ou quelque chose comme ça. C'est sans doute ce qui a séduit le jury et qui justifie le prix : on a l'impression que l'auteure a inventé un nouveau genre.
Quant à moi, je vais m'inscrire en faux et vous dire que je n'ai pas été impressionné par ce livre. J'aurais voulu aimer au moins un personnage, l'idiot par exemple, mais on le voit si peu, et son «discours», quel est-il ? M'a-t-il échappé ? Je m'attendais à l'entendre crier du fond de son puits, à m'émouvoir de sa détresse, à connaître son histoire... en vain. De plus, l'auteure a certes du talent, une certaine audace aussi, mais j'ai trouvé la narration sans chaleur, froide. J'aurais aussi aimé que ce village ait une couleur plus locale, plus typique, j'aurais voulu sentir le Québec derrière cette histoire, mais l'auteure a gommé les indices pour en faire quelque chose de plus «universel» sans doute.
Je l'ai lu il y a un mois à peu près (j'attendais que vous en parliez) et mon opinion n'a pas changé : pour moi c'est une histoire parfois confuse avec une intrigue décousue et des personnages si nombreux qu'aucun n'est approfondi. Dommage.

Suzanne a dit...

Je vais peut-être me laisser tenter. Hum plus juste sans le peut-être finalement.

Karine:) a dit...

Je suis bien tentée aussi... ton billet me rend très curieuse, Venise! Bonne journée!

Venise a dit...

Dominique : Surprenant même que ce soit un premier roman. Il y a de ces romans qui défilent en soi comme un film réussi, ou même un rêve, il est un de ceux là. J'aime le style aussi qui projette dans l'instant de l'autre.

Venise a dit...

Bonjour Dominique ! Je vais certainement aller lire votre critique de La foi du braconnier sur votre page. Et vous avez bien fait de vous identifier.

Venise a dit...

Pierre H. Charron : C'est rare quand même l'enthousiasme vis à vis les idées noires des auteurs !

Chose certaine, je vais être pendue à vos lignes pour savoir qu'est-ce que vous en avez pensé.

Venise a dit...

@ Réjean : Vous dites "une histoire parfois confuse", je ne peux pas vous donner complètement tort, en tout cas, je comprends ce que vous voulez dire. Par contre, cette confusion, je l'ai appréciée, un peu comme les contours d'une réalité qui seraient floues, quasiment comme dans un rêve, l'ambiance emporte tout sur son passage.

Une ambiance à ce point forte m'amène en voyage, je dépose mes bagages. C'est vrai, l'auteure ne pénètre pas en profondeur la psychologie des personnages et moi aussi, je ne me suis attachée à aucun, mais à tous à la fois. C'est la vie de village qui a tenu lieu de personnage pour moi, et j'avoue qu'il y a maintenant tant de romans introspectifs, que j'étais enchantée de vivre autre chose.

Il m'est arrivé de perdre pied, d'être égarée, un peu troublée, d'aller jusqu'à me dire que plusieurs étaient atteints d'idiotie depuis la disparition de l'idiot, dont Paul Barabé, cet idiot avec la candeur en moins, l'adjoint du maire aussi avait sa part d'idiotie, et autres. Comme si l'âme de l'idiot flottait dans les parages de ce village jadis pris par son ordinaire, comme si ce fumet d'idiotie, certains le respiraient plus que d'autres. Ne serait-ce pas comme une manière de hurler de son puits ? J'ai été jusqu'à l'aborder comme un discours d'âme.

Votre commentaire m'a permis d'arriver à mieux préciser ma pensée, merci Réjean.

Venise a dit...

Suzanne : Je te souhaite bonne chance pour le trouver. Il me ferait un grand plaisir de te le prêter si tu étais à mes côtés :-)

Venise a dit...

@ Karine : C'est un roman qui a une bonne part de mystère, c'est un peu magique le mystère. Je me rends compte que j'aime perdre pied, oublier mon quotidien par la lecture.

Anonyme a dit...

Je suis heureux que vous ayez senti l'idiotie comme une maladie diffuse dans ce village. Moi, cela n'a pas guidé ni éclairé ma lecture. J'y ai surtout vu une forme de méfiance sinon d'intolérance pour l'étranger incarné par le personnage de Barabé, thème exploité jadis dans Le Survenant de Guèvremont, un classique de notre littérature.

Mazzieri n'est pas la première, et ne sera pas la dernière, à construire une histoire autour d'un village et de ses habitants. De nombreux exemples, bien meilleurs, existent, ce qui m'oblige inévitablement à comparer. Parmi eux, Je vous suggère notamment Les âmes grises de Philippe Claudel ou Jours de colère de Sylvie Germain. Côté québécois, je pense à La petite fille qui aimait trop les allumettes de Soucy. Tous des «musts» dans le genre.

Anonyme a dit...

J'ajouterai Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel, lequel touche précisément le thème de l'intolérance face à un étranger qui débarque dans un petit village. Très fort.

Venise a dit...

@ Réjean : Vous me le faites réalisé, j'ai éprouvé le même genre d'émotions à la lecture de La petite fille qui aimait trop les allumettes.

Que le village ait déjà été abordé mainte et mainte fois comme sujet ne me dérange pas. Je vais comparer l'auteur à un photographe, les photographes n'inventent pas, ils capturent la réalité. Ils ont tous déjà pris en cliché un canard sur un lac ou une cabine téléphonique, mais c'est la lumière, l'angle, le "focus", sa manière de le voir qu'il partage.

Les romans nous entretiennent toujours des mêmes sujets : naissance, deuil, trahison, sentiment maternel, d'amour, de communication, de vieillissement pour n'en nommer que quelques uns. Je n'attends plus l'innovation, je la cherche plus, même de la part de romans qui gagnent des Prix. J'attends une voix particulière, qui vient de l'intérieur, assez mature pour m'entraîner dans sa vision.

Ginette a dit...

J'abonde dans le même sens que M. Réjean.

J'ai beaucoup plus aimé le livre de Pascale Quiviger Le cercle parfait. L'action se passait dans un petit village. Vous souvenez-vous?

Bien sûr la trame n'était pas la même puisque que c'était un roman d'amour mais question de vivre dans un petit village...

Venise a dit...

@ Comme ça Ginette, le village de Chester, n'a pas eu un effet envoûtant sur vous ?

Ginette a dit...

Plusieurs fois, j'ai failli abandonner le livre...
Je le trouvais froid. Sans émotions.

Peut-être est-ce voulu. Regarder et voir l'extérieur seulement.

Anonyme a dit...

@Ginette
Je suis rassuré de voir que je ne suis pas le seul à partager ce point de vue.

@Venise
Je ne cherche pas nécessairement l'innovation. Mais de romans qui gagnent des prix, je m'attends à plus. Bien sûr, des romans qui se passent dans des villages, il y en a eu et il y en aura encore : je n'ai rien contre. J'aurais tout de même souhaité une couleur plus locale à Chester. Disons que ça manque de repères pour être vraiment ancré dans la réalité d'ici. Mais là encore, ça devait être pensé comme ça de la part de l'auteure. C'est son choix sans aucun doute.

Venise a dit...

@ Ginette : Comme vous dites, c'était probablement voulu de l'auteur. On pourrait même s'avancer à dire que c'est son style. Ça revient à dire qu'au même titre où l'on clique, ou pas, avec une personne dans la vie, de même avec un auteur.

@ Réjean : Merci de situer votre pensée sur vos attentes vis à vis l'innovation, je comprends mieux.

Je retiens entre autres que vous avez été dérangé que le village soit "nulle part" tandis que de mon côté il m'a procuré un délicieux vertige.

Ça prouve une fois de plus que tous les goûts sont dans la nature humaine, c'est ce qui est fascinant d'ailleurs.