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mercredi 15 juin 2011

La huitième gorgée - Valérie Carreau

Résumons ! * Si vous aimez recevoir des nouvelles de femmes fortes, en voici dix, brèves, des portraits d’actions de femmes, modernes et sans complexes, derrière lesquelles se profilent aussi des compagnons de vie. Pour neuf des nouvelles, les hommes restent en arrière-plan, se superposent à l’action principale, excepté « À un cheveu » où c’est carrément l’inverse.

Ces femmes ont des besoins à combler : de sexe, d’enfants à porter, de nourriture, ce qui expliquerait l’allusion au « besoin des femmes d’être pleines » lu en quatrième de couverture. Le fruit de leurs entrailles occupe une place prédominante. À côté de la femme esclave parce que contrôleuse (« De biais ») à la femme rageuse devant les pleurs du nourrisson porté comme un lourd fardeau (« Le potage aux poireaux ») à une femme prête à tout pour être engrossé (« Le géniteur »), on trouve des femmes enclines sur la chose sexuelle, plus que leurs maris dans « L’en-cas » et la « Petite mort ».

Valérie Carreau aborde aussi les fins de vie : celui d’une femme libérée jusqu’à sa dernière minute (« Un bouquet de glaïeuls »), d’un homme nourri du passé et dorloté par une aidante (« À sa mémoire »). La nouvelle des « Bulles » fait l’apologie du mensonge et de la grossesse. « De toute cœur » termine par une fin, là où une femme médecin dévouée doit intervenir.

L'opinion ! * Ce n’est pas tant le désir de la gent féminine de se sentir rempli que j’ai retenu de ces dix nouvelles que la maitrise, l’aplomb, le contrôle qu’exercent ces femmes sur leur entourage et leur destin. Un mari froid et indifférent ? On s’auto-satisfait ou l’on se paye, littéralement parlant, un amant efficace, évitant ainsi des demandes inopportunes au mari. Dans la littérature (et dans la vie ?), les rôles sont souvent inversés, l’homme accordant « le privilège » à sa femme d’être tiède ou d’avoir mal à la tête. Audacieux ou précurseur ? Difficile de trancher, mais ces nouvelles peuvent assurément être appréciées pour leur modernisme.

Le mâle n’occupe définitivement pas le haut du pavé, excepté dans « À un cheveu » où il vole la vedette. J’ai été jusqu’à me demander : pour que la femme prenne sa place, est-ce qu’il faut nécessairement que l’homme soit effacé, réservé ou indifférent ? C’est une question un brin philosophique pour de la littérature si bien tournée, j’en conviens ! Voyons-le plutôt comme une suite de photographies de femmes aux contours nets, avec une option assumée de l’auteure de garder l’homme à l’arrière-plan. Le style, en maître absolu, nous renvoie des phrases sûres, placardées comme des vérités assumées, que je me suis souvent arrêtée pour admirer. Une belle constance que l’on ne retrouve pas si souvent dans les recueils de nouvelles, une unité dans le style, permis sans l’ennui qui va de pair avec l’homogénéité, considérant la variété des portraits et des situations.

Les deux nouvelles sur les personnes âgées m’ont enchantée. J’avais le fond de la gorge étranglée à ma relecture d’Un bouquet de glaïeuls, parce que oui, je l’ai relue, celle-là et plusieurs autres. La deuxième nouvelle sur la fin de la trajectoire « vie » nous présente un homme vieilli et dépendant et, en définitive, le seul homme aimant de ces histoires, d’une vulnérabilité attendrissante, devant une femme généreuse qui vient pallier ses carences avec une infinie délicatesse. Mine de rien, une autre femme ayant le dessus sur l’homme !

Dix nouvelles efficaces qui s’avalent et s’absorbent rapidement, par une auteure qui, ma foi, a tous les atouts en mains pour se démarquer dans cette jungle littéraire.

* J'ai séparé mon opinion du résumé, ce que je ne fais pas habituellement, parce qu'il est question de La Recrue du mois et j'étais en charge du résumé pour tous, ou pour être plus juste, pour toutes !
Qui a bu boira - Anick Arsenault
Le goût de vivre - Mylène Durand
De la voracité des femmes - Caroline Verstaen
La face cachée des femmes - Julie Tetrault

Ne manquez pas le questionnaire afin de connaître cette auteure très prometteuse : Valérie Carreau - La huitième gorgée, Éditions Marchand de feuilles 2010, 112 p.

7 commentaires:

Ginette a dit...

J'ai un petit penchant pour la nouvelle et je suis curieuse de celles-ci à cause de votre billet.

Les hommes ne lisent pas les nouvelles ? Je dis cela à cause des commentaires de La recrue du mois.

Arsenul a dit...

En passant, Dame Ginette, je suis homme, une peu hos du commun, j'en conviens hum hum! mais je lis des nouvelles. Chère Venise, j'aime bien la division en deux de ce billet. Il doit d'ailleurs t'être difficile, enflammée que tu es, de retenir ton opinion dans le résumé. J'aime ça. J'aime aussi les mot étranglé dans la gorge, belle expression ( quelque chose du genre en tout cas) Personnellement, je vis dans le monde scolaire. Dans ce monde, il n'y a plus de place pour les garçons, qui sont victimes d'un système qui ne leur réussit pas, ils échouent leur secondaire à près de 40%. Ces pauvres ne peuvent être plaint, ce sont des futurs hommes, Alors quand je lis des trucs un peu trop (est-ce trop?) féministes, je me dis qu'on devrait davantage parler de gens dans le besoin, de ceux qui sont simplement différents, plutôt que de les catégoriser par leur sexe. Mais bon c'est tout un débat! Disons qu'à notre souper de cet été, on a aura à se raconter!

Venise a dit...

Ginette : En les transcrivant, j'ai remarqué tout à coup qu'il n'y avait que des rédactrices. Je pense que c'est la première fois que ça arrive à La Recrue. Est-ce le fait que le quatrième de couverture commençait par ses mots : "La huitième gorgée raconte le besoin qu'ont les femmes d'être pleines". On dit que la première impression entre êtres humains se joue en 4 secondes, et si c'était la même chose pour un livre et le lecteur !

Et j'imagine que ce ne sont pas tous les hommes qui éprouvent l'irrésistible envie de comprendre le besoin des femmes d'être pleines !

Je crois pas cependant que ce soit le genre nouvelles qui ait donné cette distinction.

Venise a dit...

Arsenul : Mais que tu me connais ! On finit pas connaître quelqu'un par son écriture, c'est pas croyable. Ça a été l'enfer pour moi d'écrire ce résumé et le précédent de La Recrue, lequel j'étais responsable également mais je ne l'ai pas transcrit. J'aurais dû le transcrire, je peine tellement. C'est par contre une discipline que je devrais m'imposer, j'en suis arrivée là je crois bien. Merci de ce commentaire qui me fait réfléchir.

Et pour ce que tu abordes, l'éducation pas adapté pour les garçons, ça fait quelques fois que je te lis sur le sujet, et ça m'intéresse beaucoup ton opinion là-dessus. Il me semble que ça devrait sortir au grand jour.

Laure K. a dit...

Bonjour Venise,
Il m'intéresse bien ce recueil de nouvelles. J'en aime le titre et l'explication délivrée par l'auteure dans l'interview.

C'est drôle comme ce billet me fait écho aujourd'hui.

Merci

anne des ocreries a dit...

bon, voilà qui me triture !ça m'a tout l'air d'être "un ouvrage à polémique", ce recueil de nouvelles. Ou à défaut, interrogeant, questionnant, dérangeant. Quand donc allons-nous réussir à vivre ensemble, hommes et femmes, sur le même pied ? j'ai souvent l'impression qu'après l'époque des des prises de consciences et des justes revendications, le féminisme s'est englué dans une sorte de soif de vengeance et le besoin de prise de pouvoir......Le monde de l'éducation s'est ultra-féminisé, semble-t-il, chez vous, et je ne vois pas en quoi ça sort les femmes de leur vieille attribution plurimillénaire : " de la progéniture tu t'occuperas". Comment un petit garçon peut-il sortir de la toute-puissance maternelle (et féminine) pour se trouver en tant qu'homme, dans un monde qui lui enjoint de plus en plus d'être une pseudo-femme, est parfois une question que je me pose. Je suis tout à fait d'accord avec Asenul là-dessus.
Oh, ce livre semble plein de matière à rruminer !!

anne des ocreries a dit...

pardon, je voulais écrire "Arsenul", mais mon clavier n'a pas marqué la lettre ! :)