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vendredi 9 septembre 2011

Je compte les morts - Geneviève Lefebvre

Certains ont paru surpris de me voir lire un roman au titre et à l’apparence aussi macabres. Je connais l’auteure par ses Chroniques blondes , par les épisodes web Chez Jules.TV, et finalement par facebook. J’ai décidé de lui faire confiance ; il n’y aurait pas du sang pour du sang, du dégueulasse pur et dur pour exploiter le sensationnalisme. Elle a amplement mérité cette confiance. Ma lecture a dépassé mes attentes, assez pour remettre en question que «le polar, ce n’est pas pour moi».

L’histoire apparait tout simple. Antoine Gravel, parce que paumé, se plie au désir d’une productrice qui lui commande un scénario précis inspiré de l’histoire de Maria Goretti, jeune fille de 13 ans qui a dit « non » à son prédateur au début des années 1900. On suivra de près le scénariste dans les méandres de son inspiration, étouffé dans ses élans créatifs par l’aspect « commande ». Le métier de scénariste en prend pour son rhume. Si on s’y fiait, on pourrait presque dire que celui qui sert le café sur les plateaux de tournage est mieux considéré !

Antoine Gravel est un bon gars, ne serait-ce parce qu’il vit et sympathise avec un cochon. Ce lien pour le moins bizarre ne l’empêchera pas de s’attacher à de grandes blessées du cœur, une femme restauratrice et sa très délurée fille. Par elles, et pour son scénario, il se faufilera dans une réalité qui s’évertuera à dépasser la fiction.

Il sera beaucoup question de cinéma. On fera connaissance avec un caméraman amateur qui poursuit des objectifs troubles avec son objectif. Et quand je dis faire connaissance, je parle jusqu’à l’intimité de ses pensées.

J’ai admiré que Geneviève Lefebvre arrive à me faire entrer dans la peau d’un pédophile. Combien de fois, en écoutant les horreurs du journal télévisé, me suis-je frappé la tête sur un mur : « quelle est la logique de ces gens-là ? » Je gagerais que l’auteure s’est penché sur leurs cas, car les motifs de ces détraqués me sont apparus répondre à une logique interne qui, en étant pas moins profondément perverse, fait un sens pour eux. Bref, le portrait était des plus crédibles, parce que pas traité en surface.

C’est un roman qui fait ressortir les contrastes ; la pauvreté versus la richesse, le pouvoir et la victime, la jeunesse, la maturité, la bonté, l’exploitation. Un autre thème, celui-là cerné jusqu’à l’acculer au mur : l’apparence trompeuse. Un atout dans plus d’un roman, que j'ai trouvé ici particulièrement bien joué.

Le style de l’auteure est éveillé, alerte, vif. Il m’a semblé que le désir de faire de l’esprit était fort. Peut-être est-ce la nature de l’auteure, en tout cas, cela donne un style qui persiste dans l’humour. Ce n’est pas un mal en soi, en autant que ça serve l’histoire. Je l’ai surtout remarqué au début, peut-être que moi, ou l’auteur, n’étions pas encore entrées dans le vif – et stressant - de l’histoire. Il m’est apparu évident que Geneviève Lefebvre est une femme d’opinions fermes, elles sont portées par la voix des personnages d'une manière des plus naturelles.

Justement parce qu’on y compte les morts, ce roman aborde la vie. J’ai aimé qu’une ligne conductrice, le pouvoir de la victime, mène les diverses histoires. Ça fait réfléchir au prix de la liberté de dire non. Ça fait réfléchir que, même en bas âge, tu n’es pas que prisonnier de ton « bourreau » mais aussi de ta peur, ou de tes trop vifs désirs. Un message en filigrane ; la complicité silencieuse à un crime est une forme de participation.

J’ai également aimé que l’histoire soit si forte que j’en oublie de tenter de deviner qui est le ou les coupables !

Je compte les morts, Geneviève Lefebvre - Libre Expression, Expression noire, 320 pages, décembre 2009.

12 commentaires:

anne des ocreries a dit...

Oh !.................

Je crois que c'est un livre pour moi, ça.

Pierre H.Charron a dit...

Excellente critique. J'ai très hâte de relire Geneviève Lefebvre.
Ce roman est un de mes préférés depuis quelques années.

Sylvie a dit...

Tu attires mon attention sur un roman qui va probablement me plaire et que je vais offrir à ma future-scénariste-de-fille. Merci.

PG Luneau a dit...

ENFIN! J'avais bien hâte de lire tes commentaires sur ce livre, ainsi que sur celui de Louise Penny!! J'avais l'impression que tu tardais à écrire tes mots sur ces romans d'un genre nouveau pour toi (il me semble que ça faisait longtemps qu'il avait le statut de «terminé»!) Je suis bien content que tu aies apprécié, et il me tarde maintenant de lire ton avis sur Sous la glace, qui me tente beaucoup (Allie en a tellement parlé en bien!!).

Venise a dit...

@ Anne : Je te le réserve.

Venise a dit...

@Pierre H. Toi qui lis abondamment le genre, c'est tout qu'un compliment pour l'auteure ! Ça devrait lui mettre du pep dans le soulier pour pondre le deuxième.

Venise a dit...

@Sylvie : En autant que ta future scénariste de fille ne se laisse pas décourager, que ça lui donne le goût de foncer pour prouver que certains scénaristes sont appréciés à leur juste valeur.

Venise a dit...

PG Luneau : Tu as on ne peut plus raison, ça faisait une éternité qu'il était là à attendre. Avant les Correspondances. Voilà pourquoi j'ai interrompu mes commentaires sur les Cafés littéraires, pour m'occuper de ces romans beaucoup trop patients.

Je ne me souvenais plus que Allie avait beaucoup aimé "Sous la glace", je vais aller lire son commentaire.

Suzanne a dit...

Très bon billet et j'ai bien hâte de le lire celui-là aussi.

Pssstt: Il me tarde aussi de lire ton avis sur celui de Louise Penny que j'ai beaucoup aimé également mais son «En plein coeur» fut pour moi un coeup de coeur.

Arsenul a dit...

Excellent billet, tu donnes le goût et titillent mes goût de lecteur débordé. Le scénario commandé me fait penser à l'excellent Saga de mon cher Tonino Benacquista. Je le garde en tête, le hasard fera en sorte que je le retrouverai en temps voulu.

Laure K. a dit...

Bonjour Venise,
hmm, ce roman m'a tout l'air de posséder assez d'ingrédients pour mes propres pupilles.
Je pense à Saga aussi, effectivement.
Le sujet semble passionnant autant que le style, à découvrir.

Karine:) a dit...

J'aime beaucoup ton billet... mais je ne pense vraiment pas que ce soit pour moi, par contre. Pas maintenant.