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samedi 4 janvier 2014

En terrain miné - Roxanne Bouchard et Patrick Kègle

Roxanne Bouchard, une auteure dont j’ai lu "Whisky et paraboles", Patrick Kègle, un parfait inconnu entrevu à Tout le monde en parle. C’est en voyant ce duo intriguant sous les projecteurs que mon goût de les lire s’est intensifié. Pas difficile vous me direz, j’aime la correspondance. Attention, ce n’est pas parce qu’on aime le chocolat qu’on en savoure tous les goûts !

Cette correspondance, je l’ai savourée, j’aurais même aimé qu’elle s’éternise, mais pas la guerre en Afghanistan ! Et c’est justement une correspondance temporelle ciblant deux missions entre 2004 et 2009 accomplies par le caporal Kègle.

Cette correspondance, d’abord timide et de plus en plus intime, démontre le besoin criant d’un soldat de se confier, de rester lié à son continent. De parler du danger qu'il court, du pays qu’il tente d’aider, de ses peurs, de ses impuissances. Bref, du sens de l’honneur et de l’horreur qui se livrent perpétuellement bataille en lui. Est-ce que Patrick Kègle aurait pu destiner ces lettres à sa conjointe, mère de ses enfants ? Certainement pas. Il veut la protéger, qu’elle ne paralyse pas à force de s'inquiéter, qu’elle garde au chaud l’espoir de le revoir vivant.

Roxanne Bouchard répond à merveille à ce soldat, avec la langue d’une écrivaine qui sait manier les mots justes, percutants, des mots qui fessent. Elle le fait avec métier, et j’irai jusqu’à dire, au nom d’une majorité de Québécois. L'antimilitarisme de l'ensemble des Québécois est connu mais ce n’est pas tous qui arriveraient à le défendre à la face même d’un soldat se dévoilant avec naturel et sincérité. Elle ne répond pas par des mots belliqueux, plutôt une réflexion sensée et nuancée, sans jamais un seul instant ménager l’homme armé jusqu’aux dents.

J’ai pris un certain temps avant de réaliser que ces « lettres » sont des courriels, ce qui accroit l’instantanéité de certaines réponses et les rend faciles à suivre.

Ils se répondent sans jamais essayer de se convaincre, ce qui soulage le lecteur de tout semblant d’obstination. Voilà pourquoi je traite d’art ce recueil de lettres, le mot « recueil » se prêtant à une réflexion sereine. Ce recueillement que j’ai senti se dégager de part et d’autre en fait un lieu, pas de réaction, mais plutôt de réflexion. Roxanne Bouchard finira subtilement par développer, ou aller en dénicher en elle, de la compassion, de la solidarité, de l’empathie. Tandis que Patrick Kègle, homme pacifique par excellence déploie sa patience et son habileté à exposer et à expliquer sa position, en utilisant un langage désarmant de naturel. 

Je vous le dis, et n’en doutez pas une seconde, si tout le monde communiquait comme ces deux-là sont arrivés à le faire, à partir de visions opposées, il n’y aurait pas une guerre qui se prolongerait au-delà de quelques heures !

La saveur de cette correspondance équivaudrait à un chocolat noir légèrement amer mais dont l’onctuosité enveloppe le palais, aucune envie de croquer, seulement le laisser fondre pour en retirer les subtiles parfums.

Si je sors de la métaphore : une correspondance où la banalité n’a aucune place, dans laquelle on ne ménage nullement son correspondant, s'y rajoute une trépidante exploration de la vie de soldat (quasiment de missionnaire!) sur un ton d’un naturel qui fait parfois frémir.




10 commentaires:

anne des ocreries a dit...

Il est alléchant, ce livre ; on a envie de savoir ce que cet homme a vécu, et comment ces deux là ont échangé autour de ça.

Unknown a dit...

Commentaire juste et aimant. Aimant dans le sens d'attirant aussi. Comme deux pôles ( + et - ) qui s'opposent et se rejoignent à la fois.

Andrée P. a dit...

Oh! Ça m'intéresse! Merci Venise de me faire découvrir ce livre. Et bonne année 2014 à toi! Avec tout plein de savoureuses lectures.

Nomadesse a dit...

C'est Lucie Pagé qui disait que la clé de la résolution du conflit en Afrique du Sud, après l'accès à la présidence de Mandela, fut la discussion. Et on peut comprendre assez vite que les opinions divergeaient amplement dans ce contexte.

Et ta critique présente ce livre comme une belle ode à la discussion, je vais le lire.

Merci!

Venise a dit...

Passionnant, Anne ! Comme tu aimerais, toi qui ne prends rien pour acquis qui s'ouvre et interroge sans cesse la vie.

Venise a dit...

Et puis, toi, Marsi tu m'as entendu à plusieurs reprises, dans l'intimité de notre foyer, répéter combien je savourais chaque mot de cette correspondance.

Venise a dit...

Andrée : Toi que je considère une personne humaniste, et une lectrice passionnée (en plus d'être auteure, on rit pu !) tu ne peux faire autrement qu'aimer cette discussion qui va au fond des choses, tout en gardant une espère de mystère jusqu'à la fin. Celle-ci m'a d'ailleurs quelque peu surprise.

Venise a dit...

Nomadesse : Pour réussir une discussion, il faut du respect et de la sensibilité, et ils en ont tous les deux une bonne réserve. Cela m'a frappée qu'ils ne tombent pas dans la tentation d'essayer à tout prix de se convaincre.

J'ai aussi aimé l'espèce de fragilité du fil de la correspondance, on dirait qu'elle pourrait stopper n'importe quand. Jamais on ne la sent acquise, ils s'apprivoisent lentement, ne poursuivant pas un but autre qu'écouter l'autre et se faire comprendre.

Nomadesse a dit...

Je viens de le terminer: jamais je n'aurais pu dire à quelqu'un avec autant de franchise mon opposition! Mais c'est ce qui rend ce récit intéressant: la manière que leurs confidences sur leur vie, en toute sincérité, amènent le respect, puis l'amitié.

L'amitié est alors une porte d'entrée à une opinion plus nuancée. Et cette lecture en est un bon exemple: même le lecteur ne sait plus quoi penser!

J'ai adoré, merci!

Venise a dit...

Nomadesse : Contente que tu aies aimé cette correspondance. Ça me soulage ! Je sais que je n'y peux rien si une personne n'aime pas et que je ne dois pas m'en faire, mais quel plaisir quand j'apporte une référence appréciée. Il me semble que ça rend bien du monde heureux : les auteurs, moi, le lecteur !

J'ai ressenti la même chose que toi devant le franc-parler de Roxanne Bouchard. C'est un peu une leçon qu'il faut aller au bout de nos opinions, en autant que l'on reste ouvert et à l'écoute de l'autre.