Une histoire, ou une initiation ? Une histoire, ou une expérience de lucidité ? En suivant un homme désincarné, l’invite nous est faite de l’accompagner dans une palpitante odyssée : Sommes-nous plus notre corps que notre esprit ? À quel entité nous identifions-nous le plus ?
L’homme, c’est Andreï, un russe ou rustre paysan et l’auteur lui a prêté la situation « idéale » pour expérimenter ces questions existentielles. À la suite d’un mystérieux incident, le voilà invisible aux yeux des autres, tout en restant visible à ses propres yeux. Attention, nous sommes loin de l’être éthéré, l’habituel fantôme qui erre en ne sentant plus la douleur. L’homme invisible souffre plus que jamais dans ce face à face avec son esprit. Sans son corps, tout en continuant d’habiter la Terre, son esprit se sent atrocement isolé. Impossible de communiquer avec les autres dans la situation cruelle où tu vis sans être vu.
Il réagira comme n’importe qui réagit à la perte de ses points de repère, il voudra les retrouver. Il cherchera frénétiquement, par tout le globe, ce regard de l’autre posé sur lui, ne serait-ce qu’un bref instant. Pourquoi ce regard est si vital ? Si Andreï ne s’est pas posé la question, y réagissant surtout, moi je me la suis posée.
L’expérience d’Andreï avec une femme m’a permis de pousser le sens de l’amour. L’amoureux ou l’ami qui pose son regard sur nous, nous voyant beau, bon, généreux, intelligent, jusqu’à quel point ce regard nous donne l’impression de vivre ? Ce regard est essentiel mais, si on y pense bien - et le roman nous y aide ! – n’est-ce pas le reflet de soi que nous cherchons à travers l’autre ?
Andreï, lui, sera placé dans la situation d’aimer, de donner, sans rien attendre en retour, même pas le regard de l’autre, en l’occurrence une femme. Ne pas pouvoir se hausser dans son estime se disant, je fais tout pour l’autre, je suis serviable, bon, aimant. Je m’aime dans cette image parce que l’autre voit cette image. Sans cette possibilité, est-ce qu’il s’agirait d’amour pur ? Et quant à y être l’ultime question : est-ce possible dans la vraie vie ? Ma tendance est de répondre « non », tout en continuant de caresser l’idée de tendre vers cet idéal, le plus possible, en s’éloignant de son contraire, le besoin vital du regard de l’autre pour s’aimer soi-même.
Vous voyez combien cette histoire questionne les fondements de la vie ! Mais pour s’y attacher autant, pour que ça remue et nous démange par en-dedans, il faut que le style soit efficace. Il faut absolument que l’on croît à la situation proposée, d’autant plus qu’elle n’est pas des plus rationnelles. J’ai tout de suite été embarquée, happée même, par le sentiment d’urgence. J’ai été aspirée dans un tunnel qui traversait les frontières du tangible. Je me suis faufilée dans le rêve d’une personne excessivement habile à le faire vivre sous mes yeux dans ses moindres détails. Et je crois m’y être aussi facilement abandonnée pour la bonne raison que le rêveur (Jean Barbe) s’y est lui-même abandonné.
Le fond du décor est dur, la révolte gronde, le danger rôde. C’est violent, cruel, couleur sang. Même si le peintre de ces mœurs Staliniens brosse le tableau à grands coups de souffrance, de cruauté et de pauvreté, j’en ai été peu incommodée. J’y ai gardé son côté accessoire, mon regard n’a jamais dévié du principal, l’évolution de l’homme invisible. C’était la scène plantée avec efficacité, et talent, pour qu’Andreï devienne sous nos yeux un être d’exception.
Oui, sous nos yeux. C’est ce que je suis le plus fière de lui avoir offert, mon regard. Il l’a tant cherché, ce regard de l’autre, tandis qu’il était si près de lui, le suivant pas à pas, pensée par pensée : Andreï a été regardé, scruté, chéri par moi dans ses moindres composantes.
Et pour conclure, je pousse jusque là : peut-être y a-t-il des lecteurs qui lisent notre livre de vie de quelque lieu désincarné !?
Brrrrr … froid dans le dos ?
17 commentaires:
Hier je suis allé à une librairie acheté quelques bouquins. Tu écrivais ton billet 1 jour plus tôt et je me laissais tenter pour ce travail de l'huître...
J'en suis à la page 118. J'ai failli m'interdire la lecture de ce billet, craignant de voir apparaître les tenants et aboutissements du roman en question. Je suis soulagée Venise, et je partage tes impressions... pour le moment. :)
Il me tentait bien, celui-là... J'ai passé à deux doigts de l'acheter au Salon du livre... J'aime bien la façon dont tu as décrit cet univers si particulier. Ça donne le goût de s'y plonger et de penser autrement.
Ah, Gaétan, voilà le commentaire le plus cruel entendu jusqu'à date ! (soupir et sourire) Le pire est que je l'avais terminé, c'est par manque de planification que mon compte-rendu a tardé. L'autre jour, quand vous avez dit, je suis dû pour une tournée à la librairie, j'ai passé près de vous dire, prenez "Le travail de l'huître" et puis, je me suis dit, (vous savez le tiraillement du doute, cet ennemi numéro 1, des affirmations catégoriques ?)
Pour me pardonner, je me dis que je ne vous connais pas tant que ça, par vos lectures. J'espère que vous allez vous reprendre pour ce roman et ainsi en lisant vos impressions, j'apprendrais à vous connaître ... pour toutes les prochaines fois !
@ s.gordon : S'il y a quelque chose dont je me fais un honneur est bien de ne jamais dévoiler la moindre intrigue. Je tourne mon crayon 7 fois avant d'écrire ...
J'ai très très hâte d'avoir ton avis plus complet.
@ Lucie : J'espère que tu vas te reprendre. Tu n'as pas un père Noël à la portée de main ... en plus, c'est ta fête bientôt. J'aimerais sincèrement avoir ton opinion. Tu aimes les livres qui font réfléchir (image de soi, réfléchir ...)en voilà un ! Et qui décolle et nous fait décoller.
Ayant déjà lu les mots de cet auteur par «Comment devenir un monstre», la plume m'intéresse. Et que dire de ton opinion!!! Donc je note et parcourerai bientôt.
Moi aussi, j'ai failli me laisser tenter au salon du livre... c'est la lourdeur de mon sac (et les messages que me lançait ma pauvre épaule) qui m'a arrêtée!! Bon, là, je le regretter presque!
Ah, Suzanne, je me doutais bien que ce serait ta réaction ! Surtout que le goût de "Comment devenir un monstre" c'est de ton blogue "Entre les lignes" qu'il m'est venu. J'ai été précise là, j'ai failli dire que "Comment devenir un monstre" m'est venu de chez vous ... (hi ! hi !), cela aurait été drôle parce que si peut vrai, toi, l'ange des mots et des auteurs ! Tu les lis avec tant d'assiduité et de respect.
Karine : J'espère bien que tu le regrettes ! Je suis certaine que tu vas avoir des occasions de te reprendre.
Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour une épaule, hein ?
Surtout quand c'est la nôtre !
C'est votre ami Jean qui va être content ! J'imagine déjà votre prochaine rencontre au salon du livre de Québec...:-)
@ Réjean : Je l'attendais celle-là ! J'aurais été déçue de ne pas l'entendre.
Mais l'histoire ne dit si vous pensez le lire. Vous aussi, vous avez vos petits secrets ...
Ah, chère Venise, vous êtes trop perspicace. J'avoue qu'elle était facile de ma part. Je pense aller l'acheter lors du salon et me le faire dédicacer en précisant à l'auteur que je voudrais que ma dédicace soit encore plus belle que celle de Venise. Est-ce une bonne idée ?
Ah, Réjean ... C'est difficile d'écrire quand on est occupée à sourire !
Je trouve votre idée excellente. Les auteurs aiment les défis. La surenchère des dédicaces, c'est vraiment trop drôle.
Alors, cela veut dire qu'il est possible que le hasard nous fasse nous rencontrer puisque nous irons nous aussi au Salon du livre de Québec ?
Le hasard parfois fait si bien les choses...
Mon exemplaire dédicacé m'attend patiemment... En discutant avec Jean Barbe au Salon, alors que je lui disais n'avoir encore rien lu de lui, il s'est demandé si Le travail de l'huître était une bonne porte d'entrée pour aborder son oeuvre. Toi, était-ce le premier livre que tu lisais de lui? (Tu l'as peut-être mentionné, mais je ne m'en souviens plus!!!)
Je me promets bien de lire ça pendant les fêtes. Je suis contente que tu aies aimé, en tout cas. C'est bon signe!
@ Danaée : C'est le premier. Et tu me confirmes ce que je pensais que Jean Barbe pensait ... je m'explique. En face de lui, lors de cette fameuse séance de dédicace, je me suis dit : allez, est-ce que je lui demande si c'est le "bon" roman pour entamer son oeuvre. Je me suis retenue ayant trop peur qu'il dise "non".
Je me doutais qu'il avait des doutes. Encore des doutes sur cette nouvelle manière d'écrire plus abandonnée et, d'après moi, il n'a pas fini d'en avoir car les doutes sont propre à l'abandon.
C'est la même chose quand on est comédien, musicien aussi ais-je entendu dire, quand on commence à s'abandonner, les doutes affluent, c'est normal puisque le rationnel lâche, on perd un peu le contrôle. On entre ailleurs, dans les chambres sombres de l'émotion qu'on éclaire au fur et à mesure de la lanterne de notre interprétation. Je crois que ses romans "avant" sont d'un tout autre ordre, plus contrôlés moins abandonnés, c'est une impression que j'aie et je vais la vérifier avec la neuve 2009 !
Mais que j'ai hâte, que j'ai donc hâte à ces fêtes et que tu prennes le temps de lire et de vivre ... et écrire ce que tu en penses. Parce que moi aussi j'ai des doutes quand je commente un roman que j'ai aimé.
L'appréciation est chose si personnelle, surtout pour un roman de cet ordre.
Publier un commentaire