Faites comme chez vous

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c'est recevant !

mardi 16 décembre 2014

Fin de semaine Colis 22 vue dans le rétroviseur

Tout a commencé par une entrevue à Québec pour l’émission radiophonique La vie en BD. Marsi arrive sur les lieux à temps et étonnamment relaxe pour une entrevue à 18 h 00. Installé derrière une vitre, Raymond Poirier interviewe tout en gérant la console. Marsi prend place et sous invitation, enfile un casque d’écoute. Tout au long de l’entrevue de 10 minutes, mon conjoint se demande si c’est normal qu’il n’entende pas les questions dans les écouteurs. Heureusement, il arrive à lire passablement bien sur les lèvres de l’animateur. Par contre, cela a un effet sur ses nerfs ! Une fois que l’on raconte l’anecdote à quelques personnes qui connaissent cette station, il y a confirmation ; un des deux écouteurs ne fonctionnent pas ! Mais mon Marsi est un personnage et a passé par-dessus ce contretemps comme s’il était dans une case de bande dessinée (sourire).

En soirée, nous irons manger au Billig, une crêperie Bistro sur St-Jean qui est un petit paradis de la dégustation. Nous avons levé notre verre de cidre aux canneberges à nos 19 ans de vie commune.

Le lendemain, lever tôt pour des couche-tard afin d’arriver un peu à l’avance au Grains de soleil café. L’endroit est idéal pour une causerie. Des fauteuils (pas des chaises là !) parsemés en demi- cercle dans une pièce privée des plus joyeuses. Une odeur de café chatouille les narines et bientôt les papilles, en écoutant un MARSI heureux, détendu, éloquent. Je me prends plus comme une actrice qu’une spectatrice et rajoute mes gros grains de sel.

Une fois le micro fermé, car oui il en avait un, nous sommes déménagés à la librairie Vaugeois où une table attendait l’homme à la dédicace très détaillée, représentant généralement un vélo, un personnage, parfois un décor. Rien de moins. Et différente d’une personne à l’autre, un détail saisi se transformant parfois en anecdote rigolote.

Pas loin de quatre heures de dédicaces plus tard (je vous l’avais dit qu’il avait la dédicace généreuse), l’heure de la récompense a sonné : Marsi se choisissait un livre pendant que j’en avais choisi deux (qu’est-ce que vous pensez que je fais moi dans une librairie à part de contempler les va-et-vient des clients !), surtout qu’un concours court présentement chez Les Vaugeois pour leur quarantième année d’existence. Cette constance et cette endurance d’une librairie de quartier se soulignent à gros traits n’est-ce pas ! Profitez de ce concours, comme nous l’avons fait, un coupon de participation par livre. Ensuite, imaginez ce que vous feriez avec un budget de 400 $ de bouquins !

De retour dans notre havre de bonheur à Magog, la soirée s’est avalée le temps de le dire et nous étions déjà le lendemain, à l’heure de la dédicace chez Planète BD. Cette librairie est gérée par des passionnés, le premier en lice, François Mayeux, le sympa proprio qui est venu nous voir en sa journée de congé. Une grande table et des chaises nous attendaient, ainsi qu’un autre Simard, du prénom Rémy. J’ai hâte de lire son « Mes Dinky » pour en avoir tellement entendu parler entre les deux hommes (le proprio et RS, pas Marsi, penché sur une dédicace).

Englober autant de bandes dessinées d’un coup sec me donne un peu le tournis, je ne sais vraiment pas où regarder, pas loin d’être intimidé par l’ampleur du lieu où la vie se dessine en albums multicolores. Parfois, en ces endroits spécialisés, on sent un genre de « t’es pas dans le club, tu connais pas ça», on te regarde du haut d'une branche pointue. Chez Planète BD, nenni, il n’en est pas question, les connaisseurs veulent une seule chose, avoir sous les yeux des personnes pour partager leur plaisir.

Alors, je vous la conseille très vivement cette librairie et, d’ailleurs, nous, on s’est sérieusement demandé pourquoi nous n’y allions pas plus souvent car, habiter Magog n’est pas une raison suffisante pour s’en priver.

* * *
Je reprends la programmation régulière du Passe-Mot avec ces recensements de romans québécois dès demain. Je veux donner un sprint final de mes 6 romans déjà lus et non commentés. J’adore me casser la tête avec mon palmarès de fin d’année !

mardi 9 décembre 2014

Le silence du banlieusard de Hugo Léger

C’est un grand jour pour moi lorsque j’ai un coup de cœur, par contre, il y a un inconvénient à ce plaisir du « pendant », le « après » est dur. Le prochain livre est compliqué à choisir, je dois m’en aller vers du complètement différent, encore en état de choc.

Le silence du banlieusard est mon coup de cœur 2014 et avec le peu de jours qu’il reste à écouler, il devrait rester en tête. C’est la première fois que je ferme une couverture en me disant, que l’on aime ou non le sujet, nous sommes en présence d’un petit chef d’œuvre. Aucun chatouillement de doute.

Au premier abord, tout semble anodin ; titre, premiers chapitres, style. Nous sommes en présence d’un père, d’une mère et d’une ado habitant un plain-pied (bungalow) dans une banlieue quelconque. On apprendra à connaître le personnage central, le père, par l’absence. Il est ce genre d’homme en apparence tellement effacé, tellement commun qu’il pourrait ne pas exister que la vie ne s’en porterait pas plus mal.

Hyper méticuleux, son énergie se canalise dans le matériel, c’est par celui-ci qu’il prend forme dans l’existence. Sa maison est une carte postale, il passe ses week-end à l’entretenir, sa messe est de déambuler entre les rangées du quincailler qui devient son ami à force de le côtoyer. Un exemple d’événement crucial dans leur vie serait l’achat d’un SPA hyper sophistiqué. Leur vie est meublée de ces décisions qui nous incombent pour réussir une routine de plus en plus confortable. Pourquoi sortir ou voyager, prendre des risques quand son chez soi offre tout, est le leitmotiv de Luc qui, une fois sa femme choisie, a casé une fois pour toutes la relation. Une vie sous verre, sous contrôle, où même les émotions sont mesurées et rangées à leur place. Le temps est réglé au quart de tour, la perte de trois minutes dans son horaire le bouleverse plus que les émotions de son adolescente.

Vous voyez un peu le portrait ? C’est ce côté lisse des apparences qui va aller en s'effritant peu à peu, pas à pas, et qui m’a fait penser à un effeuillement (strip-tease) en règle. Luc va finir par se dénuder pour nous présenter son corps, son cœur et son âme à nus.

Du jour au lendemain, lui, aussi prévisible qu’un métronome, disparait. C’est par l’absence que la présence de cet homme va devenir intense, que nous découvrirons l’envers du décor d'une bourgeoisie parfaite en tout point.

L'attitude « banlieusard » est un état d’esprit, que l'on peut retrouver en plein centre-ville, ce que Hugo Léger a su démontrer d’une manière exemplaire. Le portrait de cette famille m’a permis de saisir ce que les gens puisent dans la matérialité où leur sens de la vie rime avec la possession du matériel. L’être se confond avec l’avoir. 

Voici qui était pour le banlieusard mais il y a également le silence qu’on entend entre chaque ligne et chapitre de cette histoire. Le silence se remplit peu à peu. Les chapitres défilent et révèlent la réalité avec une progression maîtrisée. Autant le portrait du banlieusard est précis et rangé, autant la structure du roman l’est. Le style se décline sans jamais un mot de trop ce qui m’apparait renforcer le portrait familial bien rangé. L’effeuillement se fait pièce par pièce, chapitre après chapitre jusqu'à ce que l'on découvre, qu'au cœur des apparences, nichent des émotions et donc, des frustrations. Plus on tait une frustration, plus elle prend d'ampleur.

On constate également les répercussions graves de ce genre de silence qui rime de près avec indifférence, laquelle peut apparaitre cruelle aux yeux d'un enfant en bas âge. La relation parentale se dévoile être plus importante qu’on n’ose le croire et le voir. Cette démonstration sera poussée loin par l'auteur.

Ces êtres silencieux, on finit un jour ou l'autre par les entendre crier.
En tout cas, c'est à souhaiter.

Et pour bonifier le tout, l'intrigue s’apparente au suspense des polars ; où est volatilisé Luc, cet être qu’on pouvait prévoir à une parole et à un geste près ? Où a disparu ce robot de père/mari ? Le suspense nous tient captifs jusqu’à la fin.

jeudi 27 novembre 2014

Yiosh ! de Magali Sauves

Je peux difficilement résister à un texte qui me plonge dans l'univers hassidique. Cette fois encore, je m’en félicite, cette curiosité m’a permise de découvrir un roman captivant.

C’est pour Alexandra, une adolescente de 15 ans rebaptisée Ziva et expatriée pour fuir l’univers de prostitution maternelle, que l’on nous ouvre grand la porte d’une résidence de juifs hassidim d’Outremont. On nous ouvre également la porte de l’école et même celle de la chambre à coucher du couple habituellement fermée à double tour (littéralement dans l’histoire).

Sous le regard extralucide de cette jeune fille, le lecteur découvre les en-dessous d'une hiérarchie implacable et la rigidité des règles. L’ado affrontera cet univers avec un courage surhumain, acceptant de combler les lacunes de la dame de la maison, perturbée par un mari rude et autoritaire. Elle assurera des tâches accablantes entrainées, non seulement par la demi-douzaine d’enfants, mais par la complication causée par les innombrables interdits. J’en ai pour exemple la cuisine qui a presque tout en double pour ne pas que se touchent certains aliments. Si encore, on séparait la nourriture uniquement mais on sépare les femmes des hommes, ceux-ci ne mangeant pas à la même table. Même pendant la cérémonie du mariage, les époux sont séparés.

Alexandra avait pleine liberté en sa Russie natale et se retrouve encadrée par un agenda débordant de tâches à accomplir, tout en veillant de près à son éducation religieuse pour le moins complexe. Elle apprend ses nouvelles règles de vie en même temps que le lecteur, ce qui ajoute à l'intérêt du récit. Assez rapidement, elle découvrira un lourd secret concernant cette famille, qui tente de projeter une image de normalité. Elle deviendra quasiment une enquêtrice, prenant en note des indices et suivant un fil qui l'amènera à découvrir un pot aux roses qui est loin de sentir la fleur.

Je donnerais comme plus grande qualité à ce roman la crédibilité procurée par une connaissance approfondie du sujet, tant du point de vue du fonctionnement de la famille hassidique, que des us coutumes que l'auteure passe au crible. J’ai déjà lu quelques bouquins sur le sujet, c’est cependant la première fois que j’arrive à vraiment plonger dans leur quotidien. On découvre qu'au-delà de leurs gestes routiniers, il y a leurs travers. Autrement dit, là où il y a de l’homme, il y a de "l'hommerie", qu’il soit lustré d’un vernis hassidique, catholique ou athée, c’est du pareil au même ; chaque être est mu par l’ambition d’être admis dans un groupe et mieux encore, compris et aimé. On pourrait aussi dire aimé, parce que compris.

Outre cette accessibilité indéniable à ce monde fermé, qui confère à l'histoire un intérêt jusqu’à la dernière ligne, il y a des points qui me sont apparus ne pas tenir la route au niveau psychologie du personnage. Je me suis demandé si une adolescente transplantée d’une terre où elle avait trop de liberté auprès de sa mère, à celle où elle n’en a plus aucune, réagirait d’une manière aussi soumise. Surtout que personne ne la soutient, pas même son frère de qui elle est coupée. La jeune fille fait preuve d’une lucidité qui dame discrètement le pion à tous, jusqu’aux rabbins de la communauté hassidique. Elle qui vient de vivre un drame traumatisant dans son pays natal, amplifié par le rejet de sa mère arrive à encaisser une adaptation exigeante, sans confident, sans soutien tout en faisant preuve d’une maturité remarquable. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle est faite forte !

Chacun des personnages est crédible ; le père rude et affairé, la mère dépendante et débordée, les grands-parents sages, l’amie « langue sale », le portrait des enfants coloré, il ne reste qu’à accepter le penchant héroïque de l’actrice principale, Alexandra. Il y a somme toute deux histoires dans une et à partir du moment où la mèche est éventée (réf. au pot aux roses), entre en scène une autre personne qui mettra, par sa vulnérabilité excessive, le côté héroïque d’Alexandra en relief.

Le style ne coule pas toujours de source, devant certaines phrases, j’ai butté jusqu’à me demander si c’était une traduction, par contre le rythme est excellent, les personnages captivants, l’intrigue solide. Ce que je peux vous assurer c'est qu'après cette lecture, vous comprendrez comment et pourquoi ses adeptes choisissent de ne pas sortir des traditions hassidiques. Roman palpitant.

Yiosh !
Auteure : Magali Sauves
Hamac Classique
296 p.

lundi 24 novembre 2014

Tournée tournis au Salon du livre de Montréal

Dédicace de Colis 22
Il faut que je vous raconte une histoire, la mienne, au Salon du livre de Montréal. Marsi et moi y étions, quelques heures vendredi soir et le samedi après-midi. En si peu de temps, il s’en passe des choses dans un Salon ! Ça me met littéralement à terre. Faut dire que je suis intense, chaque personne que je rencontre est précieuse, et on en rencontre une à la minute ! J’exagère à peine. Il y a les personnes que je vois rarement, les personnes que je vois pour une première fois, celles connues sois la grande Toile, celles de mon entourage amical. On change rapidement de niveaux de relation et on doit s’ajuster le temps de dire « allo ».

Il y a l’ambiance qui donne le tournis. Il y a du « trop » en abondance : trop de lumières, trop de rues en tapis, trop de numéros de kiosque, trop de jambes, trop de pieds, trop de roues. Une chose manque à l’appel, c’est de l’air, ce qu’on réalise pleinement lorsque l’on met le nez dehors! Et de l’eau, si on oublie d’en apporter une bonne ration. Et peut-être des bancs.
Première dédicace - Marsi tremblait
Savez-vous ce que je préfère d’un Salon du livre ? Les souvenirs. Quand je revis les moments purs, intenses, sans mes maux de pieds. C’est alors que les mots me viennent aisément, ceux que j’aurais aimés dire, ceux que j’aurais aimés sourire.

Pourquoi y était-t-on ? Pour les dédicaces de Marsi au très achalandé kiosque de La Pastèque. Nous avons eu la surprise de réaliser combien Miam miam Fléau n’est pas un album qui est passé à la moulinette de l’oubli. Même le Brâne de Partie de pêche de Glénat Québec a été présenté à Marsi, s’exécutant de son mieux sur du papier glacé. Mais le plus surprenant, pour moi en tout cas, a été que certains lui présentent « La Pastèque 15 ans d'édition ». Tous les morceaux sont venus s’assembler autour du petit dernier, Colis 22. J’en ai conclu que l’on peut commencer à parler d’une œuvre.
Avec Rémy Simard - Invité d'honneur
Je ne vous raconterai pas par le menu détail tout ce qui m’est arrivé et chaque main que j’ai serrée, mais j’ai une anecdote savoureuse, et même douloureuse, à vous raconter. Tout à côté du kiosque La Pastèque, il y avait celui de Radio-Canada où s’enregistraient des émissions en direct. Pour prendre du répit, je me suis assise devant l’émission « Les éclaireurs ». Au quart de l’émission, Philippe Desrosiers, l'animateur a posé une question à l’assistance « Quels livres vous font voyager? ». J’ai fouillé dans mon sac à main, trouvé un stylo et une facture de stationnement où j’ai écrit «Ce qui me fait voyager sont les romans de Michèle Plomer, HKPQ et Dragonville 3 tomes ». Croyant bon de situer l’œuvre, j’ai rajouté sur ma minuscule facture « Aller et retour de la Chine à Magog ». Eh bien, croyez-le ou non, la chroniqueuse a donné comme titre « Aller et retour de la Chine à Magog » ! Comme c’était en direct, j’ai opté pour ne pas la reprendre, surtout que j’étais en état de choc, mon tibia ayant heurté l’estrade dans ma précipitation d’apporter le petit papier. (Si vous êtes curieux, rendez-vous sur la bande du haut, à la minute 26 : 36 sec.).
Auteurs de Pourquoi cours-tu comme ça ?
Autre anecdote cocasse. Nous devions dîner avec Julie Gravel Richard qui terminait sa dédicace au kiosque « Stanké » pour le collectif « Pourquoi cours-tu comme ça? ». En arrivant, nous réalisons facilement que l’esprit d’équipe est à son apogée et que les auteurs ont le goût de casser la croûte ensemble. Ils avaient déjà une idée où aller, alors on part aussitôt. Marsi et moi, nous nous joignons à l’escouade d’auteurs et à un moment donné, le rythme s’accélère. Je m’arrête, dans ma tête en tout cas, pas le temps avec les jambes, et réalise que je suis à faire de la marche rapide avec une gang d’auteurs qui ont l’habitude de jogger. J’ai rigolé et déclaré, en blaguant bien sûr, que l’on ne m’y prendrait plus !
Jean-François Lisée, toujours très attendu
Je tenais à m’acheter un livre, coûte que coûte, Le Journal de Lisée - 18 mois de pouvoir, mes combats, mes passions. Numéro de kiosque en mains, je me mets à sa recherche, étant certaine à l’avance que je le chercherais longtemps, défaitisme oblige quand tu n’as aucun sens de l’orientation. Après avoir marché et même tourné en rond, je finis par dénicher le #246. Rires, bises, et dédicace de Jean-François Lisée, un homme charmant, je reprends ma marche en me laissant aller au gré des livres et des visages ouverts. Après une halte chez Québec Amérique, je finis par me retrouver, comme par hasard, devant Marsi. Il est sous mes yeux sans que j’ai eu à le chercher, toujours derrière le comptoir de dédicaces. Il y a deux personnes qui attendent, dont une qui le contemple dessiner tandis que Marsi se terre dans un silence monastique, puisqu’il ne peut dessiner et parler en même temps. Toute à ma satisfaction de ne pas avoir perdu trop de temps à le chercher, j’aperçois tout à coup la petite table de monsieur Lisée. C’est à ce moment-là que je réalise que La Pastèque et Rogers portent le même numéro de kiosque #246 ... puisqu’ils sont côte à côte !

Hum….. oui, je sais, c’est pas fort, fort. Heureusement, je me repère dans les bouts de lignes et les milieux de chapitres et je longe, sans trop me perdre, les couloirs sinueux du sous-texte. 
Que de monde ! Aux côtés de Marianne Dubuc
en dédicace de Le lion et l'oiseau ayant remporté le GG.

mardi 18 novembre 2014

Le Nain de Francine Brunet

Un premier roman qui m'a emballée ! Lu dans le cadre de La Recrue, j'ai titré ma critique que voici : "Cirque humain captivant".

Les premiers romans tentent souvent de déballer idées et personnages accumulés durant une vie. Chez Francine Brunet, il n’y a pas d’exception à cette règle, les personnages diversifiés pullulent; bien sûr un Nain, un cousin épileptique, un dur à cuire manchot (Trois Gallons), une tante qui se déplace en rampant, une autre à la mémoire défaillante et, en bout de piste, une mère percluse de culpabilité d’avoir confié son fils Edmond à ses sœurs. Cette famille atypique serait déjà un roman en soi, mais s’ajoute à la trame narrative un mystère à La Tuque. Une maladie non identifiée court et les inspecteurs se penchent sur la question : est-elle liée au trafic de drogue qu’ils tentent de démanteler? Une Asiatique à la beauté d’une poupée de porcelaine arrive avec son expertise de médecin légiste en stage. Le pont entre la famille d’Edmond et l’équipe d’enquêteurs est Fernande Pouliot, l’infirmière plus que parfaite, si dévouée qu’on se sent des fainéants à ses côtés. Comme elle est la soignante des tantes d’Edmond, une relation particulière se développera entre lui et elle. L’intrigue policière est intéressante et j’avoue avoir frémi devant le sadisme de Trois Gallons qui poursuit le but de se venger du Nain qu’il soupçonne de lui avoir lancé un sort.

Bien évidemment, avec autant de personnages, les intrigues affluent. Jamais une seconde de répit, encore moins d’ennui, si l’on aime les fresques baroques. J’ai été subjuguée par le personnage principal; heureusement, car on peut s’y perdre un peu. Mais du début à la fin, malgré les intermissions dues à l’enquête en cours, le point pivot est Edmond, cet être de petite taille, curieux, qui assimile tout comme une éponge. N’en doutez pas une seconde, il vous fera bondir de surprise en surprise. Malgré qu’il ait été couvé de près par ses tantes et de plus loin par sa mère habitant la maison d’en face et qu’il n’ait jamais mis les pieds dans une école, il tient un cahier dans lequel il écrit ce qu’il pense. On y reconnait clairement des chiffres, mais pour le reste, on n’y comprend rien.

J’ai vraiment eu un coup de cœur pour le style bondissant et mature de Francine Brunet. Il arrive parfois qu’on entende l’auteure écrire, ici l’auteure s’efface, l’histoire prime. Son style vole au-dessus des intrigues et des personnages, l’assurance est remarquable. Certaines phrases semblent sortir directement d’un tableau coloré où les personnages s’articuleraient devant elle, au gré de son inspiration. Aucun doute : je suivrai cette auteure au pas, j'avance sans l'ombre du doute, cette auteure a un talent pour raconter et une imagination débordante.

Le Nain
Francine Brunet
Stanké, 2014
236 pages

jeudi 13 novembre 2014

Les coulisses de Colis 22

Arrivée du Colis par le courrier postal
Je veux faire mentir l’adage que les cordonniers sont mal chaussés, non pas en rédigeant une critique de Colis 22 publié à La Pastèque (manque totale de recul !), mais en partageant une part des coulisses avec vous. Premièrement, pour tous les promeneurs du dimanche, pas habitués au Passe-Mot, le bédéiste Marsi est mon mari et son troisième album est en librairie depuis environ deux semaines.

Certains apparentent la sortie d’un livre à un accouchement et c’est d’autant plus comique que de BB à BD, la sonorité est semblable. Donc la BD de Marsi est enfin au monde et lorsque le BB a été déposé entre ses mains fébriles, il a eu un choc. Il a rapidement dit « Elle est belle » la couverture, sa peau de papier est lisse et veloutée au toucher, d’un format facile à tenir entre les mains et quand on l’ouvre, il ne manque pas une page ... (pas un doigt ...sourire). Bref, la BD était complète, l’encre était sèche.

Jusque là, tout allait bien, le premier contact était bon. C’est lorsqu’il s’est approché d’elle pour l'écornifler et la feuilleter qu’il a commencé à renâcler. Certaines teintes grisâtres, certains contrastes n’étaient pas identiques à ce qu’il avait toujours vu derrière son écran. C’est rare qu’un BB est identique à ce que l’on a rêvé, il nous déjoue, même chose pour une BD. Deux jours se sont écoulées où Marsi, le père de Colis 22 était un peu tourmenté ; est-ce que la BD était à la hauteur de ce qu'il rêvait mais surtout : serait-t-elle à la hauteur du regard des proches qui l’attendent depuis au moins trois ans, gestation extraordinairement longue. Et pire, qu'en sera-t-il des regards moins cléments des étrangers, de ceux qui ne connaissent pas les liens entre le père et sa création, et qui pourraient être sans pitié pour la moindre faille. 

Comme une réponse aux échos anxieux de Marsi, un son de cloche s’est fait entendre à la Radio de CISM,89,3 aux Herbes folles (émission archivée 27 oct) où Amélie Mathieu s'est montrée aussi surprise qu’admirative devant cette toute nouvelle BD, dont elle ne connaissait pas le créateur. L’envie de lire le premier de la famille Miam Miam Fléau s'est même fait pressante. Soupir de soulagement sortant du poitrail de l’homme, cela suffisait-il ;  s’enthousiasmait-elle pour des peccadilles ? Le père avait besoin de quelques autres confirmations avant de laisser tomber les épaules hautes et crispées. Elles sont venues, une à une et à chaque fois, toujours aussi appréciées :

« Honnêtement, cette année, dans la bande dessinée québécoise, je n’avais jamais vu une bande dessinée aussi détaillée. C’est de toute beauté. Il n’y a pas seulement le dessin qui est magnifique. Le récit m’a charmé dès ses premières lignes ». Michel Michaud, Affaires de gars

 « Le trait de Marsi a fait beaucoup de chemin depuis 2009. Ses dessins se situent aujourd’hui entre ceux de Frank Le Gall et de Bruno Heitz, et offrent des bonbons à tous les amoureux de la ville de Québec. Son choix du noir et blanc sied très bien à cette explosion contrôlée de détails et à l’esprit policier du livre ». BDmétrique

 « Un étrange polar sur deux roues, astucieuse bouffée d’absurde et d’inquiétant, à dévorer d’un trait, sans reprendre son souffle ». Marie Soleil Cool-Cotte sur Lili les Merveilles

 « Son dessin démontre une attention aux détails assez phénoménale, mêlant encore une fois réalité et fiction. Pour le lecteur, c'est un bonheur de reconnaître des éléments de la culture populaire, des indices subtils ou de se faire ouvrir grand les portes du château (Frontenac) pour admirer son décor raffiné. Si la forme séduit, le fond ne cherche pas à véhiculer une morale, mais on ne peut s'empêcher d'y voir une belle réflexion sur le temps et l'entraide, le tout traversé d'un humour convivial ».
Les lectures de Topinambulle

Après toutes ces étoiles dans le firmament de Colis 22, l’auteur de ses jours respire mieux, les poumons se gonfle de fierté, mais pas trop tout de même, on ne sait jamais, il y a l'avenir qui reste à venir ...

lundi 3 novembre 2014

Wildwood de Johanne Seymour

Ça a tout l’air que j’ai l’art de choisir l’œuvre « récréation », celle qui bifurque de la voie habituelle. Je pensais rencontrer Kate McDougall, l’enquêteuse experte des cinq polars de Johanne Seymour, j’ai rencontré une adolescente de 16 ans, Michelle. Je ne regrette rien, il sera toujours temps de revenir au polar à l’état pur et dur.

Nous sommes en 1968, à Wildwood, en vacances. Les parents de Michelle consomment leurs trois semaines où, sorties d’une routine astreignante, ils reprennent contact avec la vie. Leur unique enfant a pris une décision, cette année, elle s’offre une aventure avec un lifeguard. Guillerette, l’ado a hâte de rejoindre ses amis américains. L’insouciance sera de courte durée, un meurtre sur la plage viendra teindre de noir cette expérience qui aurait pu être rouge pétant. Malgré que, en soi, les amours à l’adolescence, en vacances, c’est rarement simple.

L’auteur a vraiment réussi à recréer ces années où les Québécois trimaient dur pour s’offrir des vacances le moins cher possible (ils ont loué un logement), en autant qu’elles soient au bord de la mer. Les relations entre Michelle et ses parents sont criantes de vérité. C’est dans ses nombreux passages que je l’ai sentie la plus vraie. C’est une adolescente sage et responsable, qui se trouve ordinaire, elle a été élevée avec des principes sévères et pourtant, elle a le goût de s’offrir une aventure qu’il faut supposer sans lendemain. C’est le propre de l’adolescence de vouloir s’écarter du chemin que les parents tracent pour nous.

L’homme rêvé se présentera rapidement et son fantasme aura une possibilité de se concrétiser sans trainer.

En arrière plan se profilent les affres de la guerre au Vietnam, menace qui plane au-dessus de plusieurs jeunes. D'ailleurs, son fantasme en chair, en os et en maillot de bain, ce fameux lifeguard est revenu traumatisé du Vietnam, Michelle en découvrira progressivement l’ampleur. Son couple amis est également touché de près puisque le garçon sera bientôt appelé au front. Tandis que leur fille flirte avec cette gravité, de leur côté, les parents font tout pour se distraire et s'amuser. Leur seule contrariété sera de voir leur fille impliquée comme témoin important du meurtre d’une jeune femme.

J’ai aimé ce revirement de situation : voir les jeunes soucieux, plongés dans la résolution d’un crime sordide tandis que les adultes alimentent leur insouciance. Mes personnages favoris furent sans conteste les parents de Michelle, si bien campés. Les relations entre l’homme et la femme signent l’époque, l’homme portant les culottes, la femme tramant en-dessous pour adoucir les décisions du père trop sévère. Je n’insinue pas que je n’aie pas aimé Michelle, et son rêve de s’abandonner à l’amour, mais comme elle est la narratrice, il était délicat à certains moments de croire à son jeune âge, tellement la narration se décline sur un ton mature. Si elle a perdu son innocence, ce que l’auteure répète même si toute l’histoire le démontre, quand l’a-t-elle vécue ? Avant que l’histoire commence, faut-il croire. 

Ce qui m’a émue ne sont pas tant ses amours d’adolescente que sa relation avec ses parents, et particulièrement avec son père. Ça sent la blessure encore ouverte.

Somme toute, l’histoire vaut amplement la peine d’être lue. Elle offre autant une histoire d’amour entre jeunes gens qu’une histoire d’amour entre un père et sa fille, rajouté à cela une bonne intrigue policière. On ne s’ennuie pas.

J’ai déjà hâte à cette prochaine où je ferai connaissance avec Kate McDougall.

Wildwood de Johanne Seymour
sept 2014 - 248 pages - Libre Expression

mardi 28 octobre 2014

Pourquoi cours-tu comme ça ? - Collectif

D’où m’est venue l’envie de lire ce petit bouquin sans prétention ? De ma collègue blogueuse, Jules se livre, pour son enthousiasme contagieux, pour les 8 auteurs des 8 nouvelles qu’on s’amuse à reconnaitre, et c'est sans compter l’attrait indéniable de la couverture, avec ses illustrations de coureurs de tout acabit. Mais ce n’est certes pas parce que je cours ou que je veux courir. J’ai  de la difficulté à marcher, alors imaginez courir !

C’est rare que je m’aventure à vous dire par quel bout prendre un livre, mais je trouve intéressant, dans ces cas de nouvelles réunies sous un même thème, de commencer par la fin. Hé, hé ... Par là, je veux dire, lire la brève bio de l’auteur offerte à la fin de la nouvelle. J’ai aimé faire connaissance avec l’auteur, apprendre s’il court ou non, si c’est récent, ou si c’est un mordu. 

Autant l’angle des histoires est différent d’un auteur à l’autre, autant les motivations le sont. J’ai embroché les 8 histoires, et comme dans n’importe quel recueil de nouvelles, certaines m’ont captivés et d’autres m’ont laissé indifférente. Je ne m’en cacherais pas, j’ai sauté immédiatement sur la deuxième, Tandem celle de ma précieuse amie Julie Gravel-Richard. Je l’ai lue à haute voix pour Marsi avec toute l’émotion que peut générer une nouvelle puisée à même le sentiment filial et la menace du cancer qui plane au-dessus d’une famille. Le fait que le regard soit celui du fils vis-à-vis la mère, laquelle on s’empresse d’identifier comme l’auteure est pour le moins remuant, quand on sait qu’elle est au prise avec un tumeur au cerveau (réf. : Soleil en tête). Si j’ai eu un tort c’est d'avoir commencé par la plus forte, à mon avis. Je vous laisse découvrir si vous, ne fréquentant pas l’auteure, vous serez du même avis.

Celle de Patrick Dion La course en Juillet entre de plein pied dans ce fléau social : l’intimidation quand tu es différent, même juste un tout petit peu. C’est habilement mené et le message passe. Avec London Calling, Michel Jean nous entraine dans la course en forêt, c’est la nouvelle qui m’a le plus donnée envie de courir. J’ai aimé l’image de cette femme sauvage qui s’enfuit comme un couguar en pleine nature. Courir après l’amour, c’est du Nathalie Roy tout craché ! La fin fait plaisir à une lectrice, le propre des œuvres de l’auteure. J’ai dû relire celle de Marie Josée Turgeon, au titre intriguant « La gomme à la cannelle », nouvelle sympathique qui se lit facilement revisitant la prémisse que courir fait avaler les plus éprouvantes peines d’amour. Ma deuxième préférée « Asphalte » de Florence Meney pour l’audace d’être littéraire jusqu’au bout. On sort du ton badin de joyeuse chronique. La fin me fait encore sourire, une image qui me poursuivra et m’attraperait sûrement si je courais.

Plusieurs ont aimé l’humour de « Je suis mouillée de partout » de la comédienne Jacinthe Parenteau, qui m'a malheureusement perdu en chemin du top chrono. Je n’ai peut-être pas tenu la route, n'ayant pas suivi la suggestion de l'auteure de consommer sa lecture en écoutant Claptone – No Eyes feat – Jaw Exploited. La dernière, « Errances » a un ton différent, celui de l’histoire vécue. Une réponse prise au pied de la question « Pourquoi courir ? ». Vous serez d’autant plus intéressé si ce comédien, Patrice Godin, qu’on ne voit pas assez sur nos écrans, vous intrigue. De tous les coureurs, c’est le mordu entre tous, courant des marathons de 42,5 kilomètres. Je vous assure que ça impressionne. 

Une lecture en douceur qui peut réconforter ou encourager ceux qui courent déjà et, qui sait, fera courir ceux qui se demandent encore au sujet de leur entourage : « Pourquoi cours-tu comme ça ? »

Pourquoi cours-tu comme ça ?
Nouvelles sous la direction de Marie-Josée Turgeon et Michel Jean, auteurs de 2 nouvelles.
6 autres : Patrick Dion, Julie Gravel-Richard, Nathalie Roy,  Jacinthe Parenteau, Florence Meney, Patrice Godin
Illustrations de la couverture : Jasmin Guérard-Alie
Vous voulez les voir ?




samedi 18 octobre 2014

Extraordinaire de David Gilmour

Danielle Laurin a intitulé sa critique « La mort en direct ». C’est fort, j’aurais aimé  y penser. Pour trouver les mots justes, ça aide d’avoir beaucoup aimé un livre. Ce fut son cas, tandis que moi j’ai moyennement aimé. Pourtant un frère au chevet de sa demi-sœur, une mission au fond de sa poche (des pilules) et une promesse à tenir : l’assister à quitter cette vie dont elle ne veut plus est un excellent sujet de roman.

Pourquoi ne veut-t-elle plus de sa vie, là est toute la question. Une possible réponse  ; elle est en fauteuil roulant suite à un accident. « S’est-elle habituée à vivre péniblement ? » est une question importante mais ce n’est pas l’unique. Une seule réponse serait trop simple pour que cet échange de confidences chuchotées en pleine nuit remplisse 176 pages. Sa vie a été remplie ; mère de deux enfants marginaux et rebelles, un fils dont elle ne vient pas à bout, un divorce, un amant, un exil, mais surtout ce fameux accident d’une banalité sans nom, littéralement s’accrocher dans les fleurs du tapis. En résumant sa vie, je réalise que ce qui la distingue vraiment sont les conséquences de son accident qui lui a enlevé l’usage de ses jambes.

Ce qui donne la saveur à l’histoire, ce ne sont pas tant les bribes de sa vie, comme ce dialogue nocturne en sourdine. Le ton de confidence de ce tête-à-tête donne nettement l’impression au lecteur d’avoir une part active à cette préparation à la mort. Une question résonne dans la tête du lecteur, à l’unisson à celle du frère : est-elle sûre de vouloir mourir ? Il est facile de s’imaginer qu’une personne veuille tout abandonner sous un coup de tête, ou en perdant la tête sous l’effet d’alcool ou de la drogue, mais en pleine possession de ses moyens, c’est perturbant.

Elle communique posément, s'exprime avec une grande lucidité, ce qui va raviver l'affection du frêre qui la découvre juste avant de la laisser partir. Va-t-il refuser de participer à son départ, essayer de la convaincre de continuer, lui donner des conseils, lui apporter de l’aide pour mieux vivre à l’avenir ? Non, pas du tout, ne pas satisfaire son ultime désir lui donnerait l’impression de ne pas suffisamment l’aimer.

Je vais tenter d’expliquer pourquoi je ne suis pas plus emballée, malgré la maîtrise du dialogue et l’ambiance rendue impeccablement. J’ai trouvé le message si gros, qu’il tire la situation et ses personnages, quand cela devrait être l’inverse. Un professeur aurait donné à ses étudiants ce devoir : démontrer que l’euthanasie est un geste propre, respectueux et nécessaire, « Extraordinaire » aurait alors obtenu une note extraordinaire. Je n’aime pas voir le message à ce point, au même titre que je n’aime pas voir les ficelles des marionnettes ou la bouche du ventriloque.

J’aurais préféré voir des élans de vie ressortir de ce moment crucial où quelqu'un décide de quitter sa vie. Par exemple, j’aurais imaginé des sursauts de doute venant du frère, qu’il soit un peu torturé, ou voir le déchirement de la sœur qui laisse une vie et sa fille derrière elle. Rien de plus humain, il me semble. Surtout qu’à un certain moment, ils ingurgitent une grande quantité d’alcool fort, cela aurait pu avoir un effet, celui de ramollir au moins un des deux, lui donnant la nausée, ou de l’anxiété.

Delà, cette impression persistante d’assister à une démonstration qui appuie la non ingérence dans la décision ultime de mourir et que le suicide assisté est un geste noble. Le message, en parlant plus fort que les personnages, les a sclérosés au point où je les ai moins appréciés.   

Extraordinaire - auteur : David Gilmour* - Éditions : VLB
avril 2014, 176 pages
Traduit de l'anglais par Sophie Cardinal-Corriveau
*(polémique récente suite à une de ses déclarations intempestives)

mardi 14 octobre 2014

Vrac d'automne

Merci des éditeurs
On défend les auteurs bec et ongles, ils sont les enfants faibles du bout de la chaîne du livre. C’est vrai. Mais ce n’est pas une raison pour faire passer les maisons d’édition pour les gros méchants. Je ne me lance pas dans un plaidoyer, je veux seulement vous donner des visages reconnaissants à reconnaître :



Pierre Foglia – 10 livres… pis, vite !
Notre chroniqueur indestructible et mordant vient encore de trouver une manière de parler littérature et la parsemer de titres québécois. Il nous envoie à un devoir amusant tandis que lui l'a bien sûr fait.

D’auteur inconnu 
Le plus dur, c'est la couvaison. Bien que malaisé, sortir un oeuf n'est pas une tâche impossible. C'est après que ça se corse, quand il faut le reconnaître comme sien et vivre avec, quand il faut l'aimer, le bichonner, le rouler jusqu'aux sommets où trône l'éditeur et ensuite, lorsqu'il est enfin prêt à faire sa vie, le jeter dans la fosse aux critiques. Tout cela demande davantage d'inconscience que de talent. [...] La capacité de lancer un livre ordinaire aux côtés de chefs-d'oeuvre - qui sont tout de même rares - dépend de la dose d'humilité qui vous habite, autrement dit de votre façon de brider le narcissisme. Une fois qu'on a vraiment, mais vraiment tout donné, il faut fermer les yeux sur les défauts de fabrication et être content.
J’ai trouvé ce paragraphe si juste ! Mais je n’ai pas inscrit le nom de l'auteur, j’ai failli ne pas le publier à cause de cette omission. Ce serait dommage, alors je le publie avec l’espoir fou que l’auteur s’identifie. À moins qu'il était anonyme et que je ne m'en souvienne plus. 

Éloge de la littérature québécoise
Il n’y a pas que le douze août pour souligner la littérature québécoise, Karine Minier a initié Québec en septembre dont c’était la troisième édition. Laurence Valentin en a fait un bilan de 183 livres où vous pouvez piger des titres. Une initiative n'attend pas l'autre pour promouvoir nos livres québécois : « Québec-o-trésors ». Je compte y participer. Je vais en parler dans un billet exclusif à cette cause grandiose, par contre, si vous êtes pressés, allez-y joyeusement, je pense même que vous pouvez encore vous inscrire.

Une participante de Québec en septembre a écrit le 1er octobre un billet qui explique pourquoi elle aime la littérature québécoise, malgré ce qu’en dit « Le Monde ». J’ai beaucoup aimé et l’ai même pris comme un hommage ! J’espère que vous serez tenté de la lire, elle se nomme Argali.

Courte Échelle en mauvaise posture
Il faut savoir que je prépare à l’avance mes chroniques Vrac, je glane ici et là des nouvelles dignes d’intérêt. Celle-ci est maintenant dépassée, déjà. On parlait d’agonie, on la dit maintenant morte. Déjà. Après 35 années à servir notre jeunesse, La courte Échelle ne sera plus, que les enfants que nous avons été et ceux que avons enfantés aient son âme, si aucun sauveur ne se pointe. La faillite s’annonce d’envergure, puisque même la générosité du public ne serait pas suffisante.

Marsi et son Colis
Colis 22 nous entraîne dans une enquête hors du commun menée par des personnages aux noms de planète. Entre un chien entêté, des faux appels à la bombe et une patronne insatisfaite, ils ont entre les mains ce colis très recherché pour lequel certains sont prêts à tuer. Curieux de savoir ce qui s'y cache?

Marsi dessine cet album comme on écrit un roman policier, parsemant chaque case de moult détails. Il nous raconte une histoire surprenante avec une fin inattendue où on suit avec plaisir ses personnages du quartier Saint-Sauveur au Château Frontenac. Son souci du détail dans les décors tout en noir et blanc et son talent de conteur lui permettent d'embarquer le lecteur dans son univers insolite.

En librairie (au Québec) le 21 octobre -  160 pages - noir et blanc - 19,95$

J'aime le résumé final que La Pastèque. Rempli de promesses !À noter que nous ne l'avons pas encore tenu entre nos mains.

mercredi 8 octobre 2014

Papillons d'Annie Loiselle

Un père meurt et les femmes autour de lui se libèrent, une à une, à commencer par sa propre femme, Augustine. La mort de cet éteignoir laisse en apparence la mère et ses trois filles indifférentes. En apparence seulement, car cette perte sera le point de départ pour leur envol de plus en plus haut au-dessus de la piste de la vie.

Au fil des pages, on réalise que le père subissait sa vie, attendant d’aller rejoindre son premier amour, Thelma, mère de sa fille ainée, Térésa. Par solidarité pour son père, celle-ci taira ses pulsions sexuelles pendant toutes ces années auprès de son mari amoureux, se terrant dans une bourgeoisie contraignante. Par loyauté, Augustine n’abandonnera pas l’homme qui l’a mariée, qui pourtant l’ignore et la rabroue, quitte à fermer la porte à un amour authentique. Incroyable, combien ces femmes font preuve de générosité. Et qu’importe qu’elle soit reconnue, encore moins récompensée. Malgré qu’elles ne reçoivent rien de ce malotru, ces femmes donnent.

Alyssa, l’enfant du milieu apparait plus libre par sa joie de vivre un peu rebelle, mais pas assez pour quitter son médiocre mari musicien qui se contente d’aventures et de défaites. Quand il voit sa femme s’éloigner, il réagit à l’avance comme un vaincu. La petite dernière, Anne semble la plus affranchie mais jusqu’à quel point son homosexualité est un choix ?

Je vous assure qu’il est de toute beauté d’assister à l’envol de ces femmes. Et c’est d’une crédibilité sans reproche. Grâce à la faculté de concision de l’auteure et aux images fortes de son style, nous assistons à l’ouverture progressive des ailes de ses splendides papillons. Il est facile pour le lecteur de reconnaitre de son vécu ou celui de ses proches.

Ce roman apparait comme une danse ; les couples se forment, se déforment, se reforment dans une chorégraphie habilement menée. Chacune a son histoire d’amour bien spécifique tout en restant liée une aux autres. C'est un condensé de la vie qui va directement à l’essentiel : l’amour.

Un autre point m’a plu, de ces histoires, on conclut que les hommes aiment sincèrement les femmes. Peut-être ai-je débusqué chez moi une lassitude face au constat que j'ai fait, les femmes sont couramment mal aimées dans les romans. J’ose espérer, que ce ne soit pas un reflet de société !

Vraiment un roman qu’il fait bon de lire, surtout avec le style fort en images d’Annie Loiselle : 
  • Elle a baissé les bras, levé les jambes et on lui a injecté les jumeaux dans le ventre.
  • Jacob vit de nuit pour ne plus se voir à la lumière du jour.
  • Elle avale trois boules de sorbet à la framboise pour refroidir son cœur brûlant.
  • Térésa, royale, avec ses cheveux quasi synthétiques qui ne bougent pas quand il vente.
Remarque : La couverture est irrésistible. J'ai dû aviser ma nièce de 11 ans, en pleine admiration et qui tendait la main pour le lire, qu’elle devra attendre une couple d'années.

Papillons, Annie Loiselle, Éditions Stanké, septembre 2014, 192 pages, disponible Epub 16.99 $

vendredi 3 octobre 2014

Chaque automne j'ai envie de mourir - Véronique Côté et Steve Gagnon

Je suis un peu mal à l’aise de vous parler de Chaque automne j’ai envie de mourir. Dans mon malaise, il y a c’est certain, l’inquiétude de ne pas lui rendre justice imputable à mon manque de mémoire devant les textes courts. Tout texte bref a la manie de se déposer sur moi aussi furtivement que l’aile d’un papillon. Vous devrez vivre avec ma lacune, je ne peux vous faire des résumés de ces quelques 37 textes.

Ce ne sont pas des nouvelles prises au pied de la définition, ce sont des textes brefs relatant les confidences de 37 auteurs différents. Où les a-t-on pêché ces auteurs ? Le concept était de faire  parler des personnes, principalement par la Toile, leur demandant de déposer ce genre d’histoire ou d’anecdote qu’habituellement on tait. Qu’on ne clame pas sur tous les toits, des secrets de bonne et même de mauvaise famille. L’exercice s’est fait dans l’anonymat le plus total.

À l’étape de l’édition, le langage a été uniformisé par le duo d’auteurs Véronique Côté et Steve Gagnon, tous deux comédiens. Ce n’est pas un hasard qu’ils soient comédiens, ces confidences ayant tout d’abord été déclamées, chuchotées bref, libérées devant un public dans le cadre du dixième festival du Carrefour international de théâtre en 2009. Fait inusité, ces représentations ont eu lieu dans les dédales des rues de la ville de Québec. C'est intéressant, après un travail de collecte de centaines de textes, on a remis au public ce qu’il avait eu la générosité de donner. Ces histoires des gens de la rue ont été remises à la rue. 

Des secrets dévoilés devant un public, déjà là, il y a un paradoxe intéressant. Ce n’est qu’en 2012 qu’on est passé au projet de les coucher entre les pages d’un livre. Bonne idée, que je me suis dit. En lisant l’avant-propos, j’avais l’eau à la bouche. Rapidement, j’ai réalisé combien les textes étaient diversifiés : les banalités côtoient les énormités. J’ai lu plusieurs textes à voix haute pour Marsi, mauvaise idée, ces textes n’ont rien de théâtral, en tout cas pas de ma bouche !

Il n’y a qu’une histoire qui m’a assez marquée pour m’en souvenir, c’est Cauchemars. La grande majorité sont déjà tombées aux oubliettes. Je suis tenté de conclure qu’un style parlé est moins mémorable pour moi. Il s’ancre moins. Pourtant, pendant ma lecture, j’étais boulimique, les avalant goulument une après l’autre mastiquant à peine les mots, en proie à une fébrilité de fouineuse. La curiosité d’écornifler son voisin, de plus en plus de voisins, est exacerbée à cette lecture.

L’uniformisation du ton est si réussie que j’ai fini par m’en lasser. Trente-sept histoires si variées, passant par tous les octaves des émotions servies par un seul et unique ton m’a eue à l’usure. Au deux tiers, un ton monocorde a remplacé les fluctuations que j’entendais pourtant au départ dans ma tête, ce qui a dérangé mon appréciation de la diversité.

Remarquez, c’est spécial de finir par se lasser de sa propre voix liseuse ! Peut-être que j’aurais aimé qu’on me lise ces textes, peut-être étais-je après tout la candidate idéale pour les entendre par d’autres voix.

À vous de tenter l’expérience.

À souligner : Ce titre a reçu le Prix des abonnés 2013 de la Bibliothèque de Québec

Chaque automne j'ai envie de mourir
Véronique Côté et Steve Gagnon
Septentrion - Collection Hamac
Février 2012 - 192 pages.




lundi 29 septembre 2014

La patience des fantômes de Rachel Leclerc

Il y a de ces romans qui nous dépassent, celui-ci en est un. En partie. En lisant le commentaire de Danielle Laurin, je réalise de quelle manière j’aurais aimé recevoir ce roman publié en 2011.

S’il vient se glisser entre mes nouveautés « service de presse », c’est à cause du titre « La patience des fantômes » qui m’a toujours attiré et, en plus, je n’avais pas encore lu Rachel Leclerc qui en est pourtant à son quatrième roman chez Boréal, après une œuvre poétique primée. Et justement, les auteurs à connotation poétique donne une aura que j’aime particulièrement.

La patience des fantômes est une saga familiale étalée sur cinq générations, qui peut également être abordée comme un prétexte pour fouiller l’histoire de la Gaspésie sur une longue période. Je ne peux pas prétendre que l’histoire tourne autour de tel personnage, car chacun a autant d’importance un que l’autre. C’est une chaîne avec des maillons interalliés, malgré leurs différences et leurs différends. Je ne peux pas situer l’œuvre en parlant de flash back, puisque le passé a autant de présence que le présent. Pour trouver un point central, partons du narrateur, un écrivain qui se met en frais de déterrer les racines de son arbre généalogique.

La tournure laborieuse de la structure a fait bûcher l’auteure (rf. une entrevue), j’ai quelque peu peiné, mais pas suffisamment pour que mon attention tombe, toutefois la tension dramatique, oui. Autrement dit, j’étais assez accrochée aux personnages et au style pour passer au travers d’arrêts brusques, de départs qui s’étirent avec entre les deux un peu d’égarement dans la chronologie et la biographie des personnages. Mais on s’en sort, en revenant souvent à l’organigramme de la famille au début du roman.

Joseph-Joachim Levasseur est l’ancêtre ambitieux par qui il devenait possible aux prochains maillons de rouler sur l’or. Il était ingénieux, débrouillard, visionnaire. Il avait du flair, de l’audace et savait détecter les sources de richesse. Ceux qui suivent, que feront-ils avec l’héritage de cet ancêtre ? C’est cette histoire que nous raconte le petit-fils écrivain, en compagnie de sa nièce arrière petite-fille atteinte du cancer. Veux ou veux par, quand un écrivain trône, les processus d’écriture sont abordés de biais ou de plein fouet.
J’ai aimé les personnages, vrais, dans le sens que l’auteur est sans pitié vis-à-vis eux. Elle ne les flatte jamais. Aucune clémence, aucun accommodement, sans jamais les juger. Il faut quand même savoir le faire. En général, les femmes ont la vie dure à cause de l’absence de pouvoir mais les hommes ont la vie dure par la présence de ce pouvoir.

Une chose est sûre, cette histoire qui chevauche cinq générations contient assez de rebondissements pour captiver son auditoire. Aucun besoin de s’attarder à de la banalité.
Cette auteure joue de la note tragique sans fausser avec du mélodrame.

Des surprises, il y en a une bonne réserve, ne partez pas trop vite votre machine à deviner, vous ne vous en sortirez pas, épuisés avant l’éventement des secrets familiaux.

Lecture un peu ardue grassement récompensée.

mercredi 24 septembre 2014

La vie épicée de Charlotte Lavigne – Nathalie Roy

Eh bien oui, j’y suis à cette série culte. Je dis culte, malgré que ce premier titre soit sorti en 2011. Depuis, trois autres avec Charlotte, et récemment se rajoute un premier avec sa fille, Juliette. On aime ou on n’aime pas au Québec, euh… finalement, je crois que partout, c’est ainsi (sourire)

Le titre des tomes ? Peu importe, celui-ci s’adonne à être Piment de Cayenne et pouding chômeur, et personne n’en a cure, ce qui nous intéresse, c’est Charlotte Lavigne. Cette gaffeuse, cette maladroite, cette impulsive personne qui fait souvent le contraire du bon sens. Désolée, elle n’a pas cet instinct du gros bon sens, ce qui doit bien arranger sa mère narratrice, Nathalie Roy.

Aux premiers chapitres, j’étais un peu déçue et n’étais pas sûre de lire le deuxième. Le rendez-vous des clichés très chick lit : l’hyper superficialité du paraitre et le sempiternel trio, le couple homme-fille/homo-hétéro et la troisième roue du carrosse romantique, l’amie un peu chiante. Cette combinaison me donnait l’impression du déjà lu, malgré le rythme naturellement soutenu.

Ce qui m’a fait me rattacher est l’amour inconditionnel de Charlotte pour la cuisine. Tout passe et se règle non pas par la malbouffe mais par la « bonbouffe ». Et elle n’en parle pas communément, elle connait la cuisine sous son aspect inusité et gastronomique. Il y a en soi une chronique alimentaire qui s’insinue sous les anecdotes de vie de la chère Charlotte.

Charlotte a 33 ans et bien sûr qu’à cet âge, la femme entend sonner l'alarme de son horloge biologique à l’heure de l’homme-famille-foyer-progéniture. Son ami homo, Ugo est un homme parfait. Je plains Charlotte d'avoir à dénicher un homme qui accote cet ami attentif, tendre, altruiste, vif, intelligent, beau, aimant cuisinier autant qu’elle. Et qui l’aime autant qu’elle l’aime. Et, match plus que parfait, qui est boucher et lui fournit de savoureuses viandes. Bonne chance au coureur ! Aïsha est celle qu’on nomme « amie » mais qui ne l’est pas tant que ça. C’est connu, les filles, on s’écorche entre nous. La complicité et la solidarité, ce n’est pas toujours sans tâches et sans reproches.

Il y a un homme potentiellement mariable dans le décor de cuisine de Charlotte et j’ai nommé un Français chiant. Je le trouvais tellement froid et méprisant que j’appréhendais une séquence convenue ; la fille qui s’offre toujours le pire car elle ne s’aime pas. Mais j’ai été déroutée, ce qui me plait bien.

Avec son instinct sûr, l’auteure revient toujours à Charlotte à qui on finit par s’attacher pour ce qu’elle nous fait vivre, basé sur ce principe inexorable : on aime rire de l’embêtement d’une personne juste pour se dire que ce n’est pas à nous qu'il arrive. Elle a des réflexes catastrophiques, qu’en état de choc, chacun pourrait avoir mais que, bien sûr, n’étant pas dans un roman, on ne met pas à exécution. Mais elle, oui : « Ce n’est pas vrai, elle ne va pas faire le pire de ce que le bon sens commande au commun des mortels qui ne veut pas se mettre les deux pieds dans les plats » est la phrase que j’ai entendue le plus souvent dans ma tête.

Le style de l’auteure y est pour beaucoup pour l’envie d’avaler les maladresses du départ. Je reparle du départ, car ayant maintenant terminé le tome 2, je suis en mesure d'affirmer que certains réflexes convenus de chick lit se sont atténués et qu’une certaine originalité ressort, ce qui donne sa spécificité à cette série palpitante. Je reviens au style d’une spontanéité qui n'est pas niaise mais plutôt empreinte d’un vécu social qui se repère à certaines remarques. Le tome 2  le démontrera encore plus sûrement, sous le couvert des élans impulsifs "tête en l'air" de Charlotte Lavigne.

Tout ça pour dire que j’ai embarqué et que je me suis emparé du tome 2 avec excitation et vois d’un très bon œil de poursuivre la série. Assez improbable de ne pas se réjouir, de ne pas adopter Charlotte et ne pas en ressortir affamée, y compris au sens littéral du terme. 

mardi 23 septembre 2014

Un vélo dans la tête de Mathieu Meunier

Être un petit peu fou (titre que j'ai donné à ma critique parue dans la rubrique repêchage au webzine La Recrue).

« Un petit vélo dans la tête » est une expression, jusqu’alors inconnue de moi, qui désigne une aimable folie, une douce névrose ou une originalité incomprise. Cette définition permet d’apprécier la justesse du titre, car il faut être un peu fou pour descendre la côte ouest de Vancouver à la Terre de feu sur une bécane déglinguée, expédition que Mathieu Meunier a entreprise sans l’ombre d’un scrupule. Pas besoin d’avoir des dons de voyance pour prédire que le parcours sera jonché de pépins – et même de gros noyaux. Le lecteur réalise au fil des pages que cela fait partie de l’expérience et que le cycliste n’aurait pas tiré autant de plaisir s’il avait été parfaitement équipé. Le côté bohème occupe une place importante dans le propos, le voyageur nous faisant part de son peu de moyens, comptant régulièrement son pécule, devant coucher à la belle étoile le plus possible, n’ayant parfois même pas les moyens de s’offrir une chambre de motel miteux.

Le récit se présente en de brefs textes traités comme des chroniques pour ainsi dire autonomes en soi, tellement le message humoristique y tient une place prépondérante et que les boucles de la fin sont toujours habilement nouées. J’ai senti la ferme intention de l’auteur d’amuser son lecteur. Mission accomplie, particulièrement au départ, où je m’extasiais devant l’esprit fin et intelligemment tourné du narrateur. À la longue, j’ai commencé à m’essouffler en même temps que les pneus se dégonflaient, subtilement mais sûrement, et mon sourire s’est fait plus rare.

Par contre, j’étais portée par l’espoir que le vélotouriste trouve un sens à son voyage et le partage avec moi. Il fallait avant dénicher où se cache Soyouz qui avait signé les notes trouvées dans une édition usagée des Portes de la perception acheté dans une bouquinerie en cours de route. Dans les voyages en duo – lecteur/auteur ici –, il faut veiller à ce que l’ennui ne s’installe pas; cette mystérieuse femme a sauvé quelques tête-à-tête un peu stériles.

Mathieu Meunier a une perception ultra lucide (ou sévère ?) de sa personne : comment un roux au teint béluga, aux mains minuscules, sans aucun sens pratique ni habiletés manuelles dignes d’un vrai gars, a-t-il su se rendre jusqu’à 30 ans? C’est devant cette sentence de la page 167 que la lectrice que je suis s’est demandé : comment une bécane mauve qui déraille régulièrement, aux rayons de roues instables, sans support à bagage adéquat, ni pneus résistants a-t-il pu se rendre jusqu’au Mexique ?

Le message est devenu limpide pour moi : ce n’est pas le véhicule, corps ou vélo, qui fait le voyage, c’est l’esprit qui le chevauche.

Un vélo dans la tête
Mathieu Meunier
Éditions Marchand de feuilles, 2014
234 pages

samedi 20 septembre 2014

Charlotte et la mémoire du coeur - Lorraine Desjarlais et Jean-Pierre Wilhelmy

Toujours le trac m’étreint quand j’aime beaucoup un roman. Je tiens à lui rendre justice mais en évitant d’entrainer dans le sillon de mon enthousiasme des lecteurs pour qui ce n’est pas le genre d’histoire. Pour apprécier ce roman de 553 pages, Charlotte et la mémoire du coeur, il faut aimer les histoires d’amour complexes, pas celle à l’eau de rose, puisqu’elle se déroule en temps de guerre à la fin du XVIII° siècle. Si vous prisez un fond de vérité historique et des portraits de femmes audacieuses, qu’on traiterait aujourd’hui de féministes, vous avez quelques prérequis pour passer des heures captivantes à découvrir la vie de Charlotte et ses nombreux enfants.

Charlotte est une baronne Allemande, son mari le baron Friedrich von Riedesel est un militaire haut gradé qui doit partir au Canada en mission, longue ou brève c’est la vie qui en décidera, pour rapporter de quoi faire vivre noblement sa femme et ses enfants. Ce couple s’aime passionnément mais les règles de vie de l’époque exigeraient que Charlotte reste à attendre le retour de son mari. Elle n’en supporte pas l’idée, elle mettra tout en oeuvre pour le rejoindre, quittera son confort de bourgeoise et, faut-il le dire, mettra du coup en péril la vie de ses fillettes dans ce voyage intrépide. Les embûches seront nombreuses et surprenantes; traitrise, attaques de brigands, crise des domestiques, conditions de vie rudimentaire, avant même d’avoir rejoint son mari qui pourtant veille de loin au confort de sa famille.

Le duo d’auteurs ont su garder le cap sur une héroïne féminine en temps de guerre, ce qui est déjà un exploit en soi, et y ont ajouté des personnages colorés et crédibles avec leurs propres intrigues. J’ai particulièrement aimé celle du bras droit du baron pigé à même les fugueurs, et l’artiste-peintre, la gouvernante des fillettes du couple. Le fait que Charlotte soit servie par différentes personnes et son mari également entraine un thème exploité de façon intéressante ; la loyauté. Les histoires d’amour, de pouvoir, d’art et d’érudition s’entremêlent à l’intrigue principale.

Une approche nouvelle pour moi ; la vie d’un militaire abordé comme un travail. En ce siècle, c’était un métier comme un autre, pas toujours une vocation, ce que j’ai conclu en voyant le baron en action. Général des troupes allemandes chargées d’aider l'armée britannique dans une lutte contre les révoltés américains, il ne prisait pas cette mission loin de sa famille, malgré son génie militaire. Il l’a acceptée par devoir et pour toucher des gages substantiels. Tout au long du récit, on ne perd pas cette notion de travail, le baron, général de guerre, y revient souvent. 

Charlotte est venue chercher mon admiration, d’une page à l’autre, pour son audace jamais démentie, son art de travailler par en-dessous, manipulant pour arriver à ses fins, sa débrouillardise, sa créativité, sa détermination. J’ai cru à son histoire d’amour, elle a nourri mon cœur de la première à la dernière page. Ce n’est pas si courant pour moi qui suis difficile pour encenser les histoires de couples.

J’ai trouvé peu de critiques de ce roman édité une première fois en 1998, certains ont mentionné qu’il y a une histoire d’amour sur fond de plusieurs scènes de guerre. Ce qui n’est pas faux, mais rarement je les ai trouvées longues et ardues tellement j’ai fait miens ses objectifs, suivant de près les stratégies, les pertes, les gains, maugréant devant les mauvaises décisions du supérieur du baron, le général en chef, aveuglé par une femme fourbe.

Histoire d’amour intense et d’une grande noblesse, si forte, plus que la vie.

Charlotte et la mémoire du coeur
Auteurs : Lorraine Desjarlais, Jean-Pierre Wilhelmy
Mai 2014 - 553 pages

Septentrion - Hamac Classique

mercredi 17 septembre 2014

L'Aquarelliste de Béatrice Masini

Résumons ce roman d’une héroïne jeune et candide, italienne, vivant au début du 19e siècle et qui, vous l’aurez deviné est aquarelliste. La jeune femme Bianca, d’à peine 20 ans vient de perdre son père et a répondu par l’affirmative à la proposition d’un poète réputé de peindre chacune des variétés de fleurs de son vaste domaine. Le but est de les répertorier, ce qu’elle prendra au pied de la tige et de la feuille. Un travail monacal dont la jeune femme s’acquittera avec une minutie exemplaire.
Pour s’acquitter de sa mission s’étalant sur plus d’une année, elle doit vivre sous le même toit que le père et ses cinq enfants, sa femme, sa mère, les nombreux domestiques, un précepteur, un comte, un stagiaire, pour ainsi dire une Cour tournant autour du poète célèbre !

C’est par la grande porte que l’auteure nous fait entrer dans cette vie bourgeoise un peu lourde par ses règles contraignantes. Nous accompagnons Bianca dans sa découverte d’un monde adulte où la sexualité s’épanouit en coulisses. Si vous prisez les détails, cette histoire se tisse avec la précision tatillonne d’un canevas aux milliers de petits points. Par exemple, les aquarelles de Béatrice, vous les verrez de près et l’auteure approchera de vous une loupe grossissante devant chaque paysage humain ou floral.

Vous vivrez au même diapason que la grand-mère, régisseure intransigeante de la vie domestique du domaine, surprotégeant ses petits-enfants, pendant que la mère se repose et que son fils, le poète, se retire pour créer.

Cette lecture exige une attention soutenue mais l’effort est récompensé par l’emprise d’une ambiance intense et mystérieuse qui donne, à mon avis, une qualité indéniable à ce roman. Paraitrait-il que le personnage du poète a déjà vécu, en tout cas, j’en conclu qu’il était tout qu’un numéro ! Il reste toujours aussi mystérieux pour moi, car les personnages, et même l’auteure, l’approchent de loin, comme si on lui devait une déférence sans faille.

Les personnages qui l’entourent sont plus que seulement crédibles, ils vivent ! Bianca est une femme ambigüe, qui erre entre deux mondes. Autant elle éprouve une affinité naturelle pour les enfants, autant elle fraie avec les adultes pour qui elle nourrit des désirs troublés par sa sexualité naissante. Autre ambigüité, à titre d’employée, elle a des affinités avec les domestiques, tandis qu'à titre d’invitée du maitre de la maison, elle est servie par eux. Elle prendra à coeur la cause d’une servante qu’elle trouve particulière, Pia. Je retiens que tout ce qu’elle entreprend, qui n’est pas son travail et son art, bénéficierait des conseils du père qu’elle n’a plus. Plusieurs surprises l’attendent et vous attendent.

C’est un roman impossible pour moi à oublier. Il a forcé mon attention et une fois que j’ai pénétré en ses lieux intrigants, les souvenirs se sont imprégnés en moi à tout jamais.

Amoureux de la nature humaine et végétale, vous qui aimez prendre le temps de savourer les moindres détails d’une fresque familiale, vous serez comblés par cette histoire aux rebondissements tout en finesse.

mardi 2 septembre 2014

L'Orangeraie de Larry Tremblay

Si l'on m’avait présenté ce roman en ces mots : Une histoire sur la guerre avec des enfants impliqués, je n’aurais pas tendu la main. Et j’aurais malheureusement manqué une œuvre avec une portée intéressante, en ce sens qu’elle m’a rapprochée d’une réalité dont je suis loin. C’est un texte senti et intelligent, et tout en sobriété qui a zoomé le cœur d’un kamikaze. Je réfléchirai plus longuement maintenant avant de traiter de fou furieux une personne prête à sacrifier sa vie au nom d’une cause.

Au départ, c’est la catastrophe, les grands-parents bombardés tout à côté de l’orangeraie familiale. Le lecteur n’a pas le temps de rencontrer les grands-parents, ce qui éloigne toute tentation mélodramatique. On se retrouve dans un face à face avec la famille éplorée, le fils, sa femme et leurs jumeaux de 9 ans, Amed et Aziz.

Un des jumeaux est malade, on doit le faire soigner. On réalise rapidement jusqu’à quel point cette famille échange avec peu de mots, sans effusion émotive. Ce qui n’est pas dit, alourdit continuellement ce qui se dit. À travers les silences, et l’isolement que l’on sent planer, le plaisir est précieux de faire connaissance avec la complicité des jumeaux. Leurs dialogues enfantins, on les savoure, on s’y rattache, ils nous sauvent d’une réalité qui, sinon, serait dure. Ainsi le message passe. Cette famille ne restera pas longtemps à contempler les plaies ouvertes de la perte, des personnes de l’extérieur viendront leur rendre visite pour réclamer leur collaboration à se venger. Sont-ils bien intentionnés, en tout cas, le lecteur sent clairement la menace. Le danger rode, il devient quasiment un personnage.

La complicité des jumeaux ne se démentira jamais, la mère que l’on voit travailler par en-dessous est captivante, c’est un personnage plus fort que le père, malgré les apparences. Le thème central qui chapeaute les autres est la manipulation, les ficelles seront mises au jour. Dans le contexte de la guerre, l’enjeu devient grave, tragique. L’orangeraie, le gagne-pain s’étend comme une tache joyeuse qui contraste avec le tragique du propos.

De l’intuition, du mystère, de la symbolique, de la poésie, du romanesque, de la tragédie sans voir de sang, ce roman m’a donné l’impression de se dérouler sur la scène, où il  n’est pas nécessaire de montrer la cruauté des actes pour qu’on la sente. Les mots pesés en surface et les silences en profondeur travaillent en douceur. Le roman se termine par ailleurs, sur une scène, ce qui allie bien la théâtralité dégagée par la force brutale de l’honneur qui entache chaque décision.

Un roman qui arrive à faire avaler des pilules amères sans miel et sans larmes. J’ai pris plaisir à ma lecture malgré sa dureté ce qui lui confère, à mon avis, une qualité rare.

Prix des libraires 2014, en définitive, L'Orangeraie publié chez Alto a bien gagné ses épaulettes !

vendredi 29 août 2014

Retour aux Correspondances d'Eastman

Je fais une promesse : l’an prochain, je prends des vacances avant les Correspondances d’Eastman, pas après. Pour éviter de me retrouver devant quelques gribouillis pour me dépêtrer dans mes souvenirs d’un Café littéraire qui me semble tout à coup loin, trop loin. Si vous nichiez dans ma tête, ça irait pas mal mieux ! Mais, heureusement, il ne reste que deux Café et ensuite, je reviens à la programmation normale, avec une dizaine de titres en attente.

En fait, celui que je vise aujourd’hui est nommé « Grand entretien », et il était en compagnie de Dany Laferrière, sous le thème de « Le souverain créateur ». Jean Barbe, guidait l’entretien, tenant entre ses mains sa feuille de questions, mais tous ceux qui ont assisté à un entretien avec Dany L. savent qu’il va s’en échapper. Avec ce souverain, les réponses sont à coup sûr plus larges que les questions et c'est lorsqu’il l'oublie qu’il y répond le mieux. Si l’animateur compte se sentir utile avec sa belle liste de questions, il peut être déçu. S’il aime mettre de l’avant son invité, qu’importent les questions, il sera satisfait.

Jean Barbe supposait que L’Énigme du retour, cette œuvre récompensée du prestigieux Prix Médicis 2009, se démarquait du reste de l’œuvre. Il est revenu à la charge à quelques reprises, j’ai eu l’impression qu’il désirait entendre une certaine réponse qui, bien sûr, n’est pas venue. C’est en cela que je dis de Dany Laferrière qui l'est souverain, même s’il ne manque pas une occasion d’affirmer que c’est le lecteur qui l’est. Il en ressort que notre membre de l’Académie française est loin de croire que l’Énigme du retour est son meilleur livre à vie, il a d’ailleurs dit à son éditeur en lui remettant le manuscrit : je comprendrais que tu ne le publies pas ! La définition de Laferrière d’une œuvre s'approchant de la perfection ressemblerait à une suite de phrases prêtes à être citer, tellement elle serait dense, profonde, réfléchie, pesée.

C’est là que j’ai compris son amour pour les phrases « punchées » (glanées durant l’entretien)
« Fêter ce qui est beau, c’est repousser la mort ».
« Réapprendre est plus difficile qu’apprendre »
« Chaque époque a son jamais avant »
« Je ne suis pas de ceux qui parlent derrière la porte »


Jean Barbe a judicieusement fait remarquer qu’il est surprenant que l’on n’ait jamais suggéré d’une œuvre autofictive dans son cas. Dany avait une réponse à cela, son « je » s’adresse à l’universel de chacun des « je ». Il présente un miroir aux gens. Son texte d’adresse à un lecteur, auquel il  fait de la place, lui donnant de l’espace.

Interruption de l'entretien :
Arrivée de la ministre
J’y vais maintenant en vrac. Quand on se présente devant les lecteurs, le moindre des respects est de revêtir ses mots du dimanche. Les écrivains sont des gens de parole, oeuvrant pour que la parole se fasse chère. Il déplore que maintenant, on ne lise plus à voix haute à la radio ; vingt minutes à lire est maintenant inimaginable pour ce média. C’est ainsi que la nuance se perd, tout doit s’assimiler rapidement.

La ministre de la culture :
Hélène David
Il a raconté ses débuts où il avait conçu une affiche avec les moyens du bord pour annoncer son livre, il se voyait les placarder avec fougue. Le jour où le magazine culturel Voir a fait une pleine page couverture de son petit dernier, il a été porté quatre bouteilles de vin, qu’il a bu avec eux, pour les remercier. Tout ça pour dire qu’il ne fait pas faussement croire qu’il est au-dessus du côté diffusion du livre.

Il s’est rappelé l’époque où il passait d’une maison d’édition à l’autre pour proposer « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer », on lui a alors dit être désolé, mais on n’avait pas besoin de ce genre de texte intellectuel dans notre paysage littéraire québécois.

S’il fallait qu’il l’ait cru !

À noter : À cause d'un ralentissement sur l'autoroute 10, la ministre de la culture est arrivée en retard au Grand entretien.