Faites comme chez vous

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c'est recevant !

samedi 29 décembre 2018

Le corps des bêtes de Audrée Wilhelmy

Je suis fière d’être arrivée à lire ce bouquin, à prendre avec des pincettes, tellement il est d’une classe à part. J’avoue même avoir vécu deux départs ; le premier, le faux, puisque j'ai abandonné dès les premières pages. Mais je n’avais pas dit mon dernier mot de lectrice, je tenais à le reprendre. Ce qui fut fait.

Il est à peu près impossible, à mon avis, de lire cette histoire en conservant son indifférence, celle-ci ne tiendrait pas la route, trop d’actions étonnantes, sorties du banal quotidien, nous amènent et ramènent à des réactions émotives. Moi, ce sont particulièrement les scènes de désir organique de la mère par les garçons qui créaient chez moi un malaise certain. J’ai eu à me battre avec mon auto censure. Je suis finalement arrivé à la dompter, et j’ai pu laisser venir les mots d’Audrée Wilhelmy qui avait un tableau de vie à me dessiner.

Parlons des personnages et du lieu car il est difficile de résumer l’histoire par des actions. Vous l’aurez déjà pressenti ; ce n’est pas un livre d’action, c’en est un d’ambiance.

Un projecteur est braqué sur ce qui semble une île, tellement la civilisation est loin. Une famille autosuffisante y vit, à huit heures de distance du village le plus près. Les mâles occupent une place prépondérante, en l’occurrence, deux frères très différents un de l’autre. Un des frères est sédentaire, il fait le guet à partir d’un phare qui regarde au loin, l’autre est voyageur, se laisse avaler par les bois et reviens avec des bêtes pour nourrir la famille. C’est celui qui va au village, s’il y a une nécessité. C’est « La vieille », la grand-mère qui veille à faire rouler le ménage de cette famille de quatre jeunes enfants : Mie l’ainée, un bambin et deux frères d’une dizaine d’années. Où est la mère ? Elle n’habite pas le phare comme le reste de la famille, plutôt une piaule sur le terrain. Elle est sauvage, ce qui n’empêche pas d’être une femme vivement désirée par les deux frères. En traitant la mère de « sauvage », j’ai presque l’impression de blasphémer en le disant, mais c’est ainsi que je l’ai perçue.

En soulevant la question des perceptions, j’arrive à l’essence du roman. Aucune voix narrative ou autre ne vient interpréter ce que l’on voit. Nous sommes laissés seuls avec notre conscience, ou notre morale, si on en a une. Le lecteur a à se démerder avec ce qu’il voit. La mère Noé est un personnage très fort. Elle vit un peu comme une bête, elle est instinctive mais ne prend pas soin de ses enfants (les confie à la Vieille). Elle récite des histoires, chante, ne demande rien, laisse sa demeure se détériorer, très inspirée, elle peint sur ses murs.  Elle n’a aucune réaction quand les frères la prenne d’assaut, chacun à leur manière : l’un avec de l’affection (le guetteur du phare), l’autre bestialement.

L’intimité avec le lecteur passe par Mie, l’ainée féminine du clan. En Mie, on reconnait des besoins enfantins : un appel d’affection, de sécurité (les couvertures les plus chaudes et douces dans le dortoir à enfants). Elle semble fascinée par sa mère, mais en retour, elle reçoit la balance du temps que du silence. Vu que cette règle du silence prévaut : comment la jeune fille apprendra-t-elle la sexualité ? Mie a douze ans et est tourmentée par cette question. L’auteure lui a donné le  pouvoir de s’incarner dans différents animaux, ce qui lui donne une acuité des ébats sexuels. Elle a choisi son oncle (le veilleur) pour la dépuceler.

C’est un roman que j’ai trouvé difficile à vivre pour le côté aride de l’absence. Dans ce lieu isolé, le vent balaie tout : les mots, la tendresse, et surtout, les autres, les personnes hors du clan.
Par exemple, un mammifère s’échoue, la mère le dépèce dans un rituel festif.  Cette célébration, je m’en souviens, car elle fut un baume sur l’isolement. Je me suis sentie tout à coup moins seule avec cette famille autosuffisante.

L’écriture est organique, chirurgicale, toujours précise. Ce qui veut être dit, l’est d’une manière poétique et parfaite. Je suis consciente d’avoir déjà oublié certaines scènes, mais d’autres restent à jamais imprimées en moi.

À partir du moment où j’ai abordé cette histoire, plus comme un conte ou, à tout le moins, une fresque comme celle que la mère étends sur les murs de sa chaumière, je me suis rangé du côté de la beauté animale. J’ai accepté de perdre mes points de repère sociaux pour vivre avec une famille si près des animaux qu’ils en deviennent imprégnés.

Une lecture à prescrire à toute personne qui exige de la littérature d’être projeté dans des sphères vierges de tout jugement.

  • Le Corps des bêtes, Montréal, éd. Leméac, 2017, 160 p.
  • Le Corps des bêtes, Paris, éd. Grasset, 2018, 200 p.

mercredi 12 décembre 2018

160 rue Saint-Viateur ouest - Magali Sauves

Roman pour lequel j’éprouvais d’intenses attentes, tellement j’ai aimé Yiosh! de Magali Sauves. Dangereux, les attentes.

Nous avons droit à un autre personnage tiraillé par la religion ultra-orthodoxe et j’ai nommé le lieutenant de la Sureté du Québec, Mathis Blaustein. Celui-ci est homosexuel, il a donc été éjecté de sa famille hassidique dès que son inclination s’est affirmée. Heureusement pour lui, son histoire d’amour avec un professeur de vocation a tenu son cœur au chaud.  On retrouve donc un être assez équilibré pour tenir la fonction exigeante et prestigieuse de lieutenant de la Sureté du Québec.  Peut-être que son équilibre tient de cette relation secrète avec sa mère qui, elle, ne l’a pas renié.

Mathis Blaustein est accaparé par une enquête assez spéciale; un ingénieur est retrouvé sans vie avec maintes pustules dégoulinantes sur la peau. La question demeure entière : a-t-il été empoisonné ou est-ce la conséquence de recherches sur les pesticides ? L’enquête est laborieuse et se mène simultanément à la quête d’une femme, Marion, notaire de profession qui tente d’échapper à certaines conséquences de ses actes. Assez rapidement, on verra que des ramifications de l’histoire de Marion s’étendent jusqu’à l’histoire de famille du lieutenant. Plusieurs chassés croisés, plusieurs relations, un aller-retour en Allemagne pour débusquer des vérités, l’histoire est touffue et, parfois, un peu brouillonne. 

Il est clair que l’auteure prend soin de son lecteur, qu’il ne s’ennuie jamais et qu’il en ait pour sa grosse dent. L’histoire est originale et ancrée dans la réalité des Juifs hassidiques, donc ma curiosité a été assouvie une fois de plus. La pluralité de personnages forts dilue le caractère de Mathis dont j’ai eu peine à saisir la profondeur. J’aurais apprécié un peu plus d’intimité avec lui, pour une fois qu’un être aussi hors norme se présente à moi. Il m’a un peu échappé, n’ayant cesse de me demander comment il a pu être rejeté comme un vieux chiffon, baigné dans une religion aussi rigide et en garder si peu de séquelles. Je pense que j’ai attendu jusqu’à la fin de sentir les effluves de sa vulnérabilité.

Un roman qui nous tient en haleine mais qui me semble aurait gagné en clarté par un resserrement de l’intrigue principale afin que cette ligne conductrice ne se dilue pas les nombreuses ramifications de l’histoire. Ceci dit, le mystère entourant l’adresse « 160 rue St-Viateur ouest » est des plus singuliers et renforce la pertinence du titre. 

Si vous aimez les romans généreux qui mènent plusieurs intrigues dans le milieu hassidique en plein cœur du Mile-End, n’hésitez pas une seconde ; soyez preneur. 

160 rue Saint-Viateur ouest
Magali Sauves
Éditions Mémoire d'Encrier
312 pages - Sorti avril 2018 




dimanche 25 novembre 2018

Madonna en 30 secondes de Billy Robinson

Aimez-vous Madonna ? J’imagine que la plupart des personnes qui tendront la main vers ce très bel album, répondront « oui ». Pour ma part, je ne l’aimais pas particulièrement, par contre, j’étais, et je le suis encore plus, consciente de son apport en ce bas monde.

Cet album est vraiment attrayant pour les yeux, et même pour le toucher avec son cartonné rigide, im
itation papier Kraft.  Vous aurez du plaisir à feuilleter les épaisses pages glacées garnies de moult images colorées. Le visuel est vif et saisissant. Tout est en place pour donner le goût de lire.

Après la forme, le fond maintenant. Disons d’emblée que c’est un album hautement formaté. Je vais tenter de clarifier les divisions.  Quand vous ouvrez l’album, vous avez à gauche : du texte, et à droite : une image. Le texte de droite est divisé en trois parties :
« Aperçu en 30 secondes » : La plus longue partie qui étale le sujet.
« Condensé en 3 secondes » : Un résumé de la partie ci-dessus
« Réflexion en 3 minutes » : Un aspect connexe qui mérite de s’y arrêter 

On trouve également de temps en temps dans le coin droit un « Saviez-vous? » , puis s’ajoutent dans la marge : une fiche technique et une énumération des sujets connexes et à quelles pages.

Il y aurait sept chapitres. Je dis « aurait », comme si je n’en étais point sûre (!), c’est que je n’ai pas eu l’impression qu’il n’y avait que sept. L’album se présente en tellement de divisions que j’en ai perdu la vue d’ensemble. Faut dire que Madonna est une personne complexe, qui porte plusieurs chapeaux,  ce qui rend difficile d’isoler un thème. C’est ce qu’il m’a semblé. Et puis, après tout, englober 35 années d’une carrière remplie et tumultueuse, et cela en 150 pages, c’est carrément un exploit.

J’ai évidemment beaucoup, et encore plus que beaucoup, appris sur Madonna. N’oubliez pas que je partais de rien, ou à peu près. Pour tout vous dire, je ne savais même pas que Madonna est son vrai prénom, le même qu'a porté sa mère. Bien sûr, je me suis demandé si une personne qui a suivi de près cette incroyable carrière en apprendra pour la peine. Je risque un « oui ». Les « saviez-vous » et les « réflexions en 3 minutes » nous réservent des détails qui frappent, qui m'apparaissent précis et pointus.

Madonna n’est pas qu’une artiste hyper performante sur scène, elle est un être qui s’investit et qui investit de sa fortune dans des œuvres caritatives, ainsi que dans l’enfance puisqu’elle a adopté plusieurs enfants. Une femme avec des valeurs, des principes, capable de pousser les extrêmes toujours plus loin. On l’a régulièrement traitée de provocatrice à vide, cet album nous montre la réflexion derrière la plupart de ses extravagances. Faut dire que l’auteur du volume, et il est à peu près temps que j’en parle, est un fan irrémédiable de la carrière fulgurante de Madonna.  Il y a consacré temps et énergie depuis 1985, et si vous voulez en avoir une idée cliquer sur "fan phénoménal" et vous aurez droit à un vidéo de sa Madonnathèque. Cette passion le rend digne de confiance dans les affirmations qu’il avance. Il est à noter que Billy Robinson a fondé en 1996 le premier site web francophone consacré à cette illustre star de la Pop.

Autant les divisions et subdivisions sont intéressantes, étayant les compartiments de la vie de la star, autant elles morcèlent l’idée globale que l’on peut tirer du personnage Madonna. Faut dire que je suis une habituée des biographies où l’on entre dans la vie qui déboule en un fil continu comme si c’était un roman. Il faut s’attendre à autre chose de cet album qui compile et divise. Encore là, les vrais adeptes de Madonna sauront mieux que moi enchaîner les faits sa vie et en faire un tout homogène, parce que moi lorsque j’ai fermé le couvercle sur ces données, j’ai vu et je vois encore Madonna en mille et un morceaux.  D’ailleurs, par certaines divisions qui se chevauchent, on évite mal certaines informations qui se dédoublent. Mais qu’importe, ce n’est pas très dérangeant, ça confirme et aide à mémoriser les moments forts de sa vie.

Pour terminer en images, les montages d’illustrations et de photos prennent d’assaut la moitié gauche de l’album et, pourtant, aucune mention autre que celles que l’on retrouve habituellement en petits caractères sous la couverture. J’y ai repéré que la direction artistique a été commise par René St-Amant et le défi Maquette et illustrations a été relevé par Nathalie Duperré. Sans ces images excitantes, ce livre sortirait amoindri, ses artisans méritent à mon avis une attention particulière. D'ailleurs, si Billy Robinson, par sa Madonnathèque a participé à nourrir ces images, il aurait été intéressant de l'apprendre d'une manière ou d'une autre.

Je sors heureuse de mon initiation, je saisis maintenant l'ampleur du phénomène Madonna. L’album est si attrayant, je n’hésite pas à le classer parmi les « beaux livres » et, fait rare, à un prix abordable : 22.95$. C’est la première fois que je souligne un prix, parce que je considère que pour un album de cette qualité, qu’on se plait à feuilleter de nouveau et à conserver précieusement, le prix est franchement modique.

J’espère que Le Père Noël n’oubliera pas de le déposer au pied du sapin, pour éviter des représailles des fans de Madonna !

vendredi 9 novembre 2018

Turbulences du coeur de Nathalie Roy

Nathalie Roy se définit comme une romancière d’histoires au féminin.  Turbulences du cœur est son dixième roman et, au lieu, d’y aller avec du familier, du connu, du confortable la "femme", elle s’est lancée avec un protagoniste principal masculin : Louis-Philippe Rousseau.

J’avais une toute petite crainte en commençant à lire, car franchement Nathalie Roy connait la femme sur le bouts de ses doigts : son sens du détail, son habilité à se dévouer, ses goûts, ses habitudes et ses attirances. Je me demandais si son homme serait aussi crédible. Le test est passé, j’ai cru à ce bon diable en mal de changer de vie !

On surprend ce grand avocat à l’orée de la quarantaine, et si on fait le calcul, il engendré son ado de 15 ans à l’âge de 24 ans. On se doute bien que sa fille, Romy a été, jusqu’à date, une empêcheuse de tourner en rond dans sa vie de « quasi » célibataire. Jusqu’à date, Romy était la fille à sa maman, Louis-Philippe devenant père de fin de semaine uniquement. C’est que monsieur est un avocat ambitieux dans un grand bureau où on carbure au travail. 

Les premiers chapitres nous exposent cette vie réglée au quart de tour, avec parfois des éclaircies dans le cerveau de l’homme où s’infiltrent ces questions ; est-ce que j’aurais laissé passer la femme de ma vie ? Suis-je en train de négliger ma fille ? Est-ce que mon précieux assistant, William a raison de se plaindre d’une surcharge de travail ?

Nathalie Roy joue des relations homme-femme, comme un chat avec une souris, habilement et dans le plaisir de la capture. Sa force est indéniable : lorsque le personnage est convaincu d’aimer pour la vie, le lecteur l’est tout autant. Pour mon plus grand plaisir, je me suis fait prendre dans la souricière à quelques reprises, je n’avais pas vu venir le dénouement et tant mieux ! J’aime être déjouée.

Le roman commence lentement, comme un lourd véhicule qui doit réchauffer son moteur avant de s’élancer à bonne vitesse. La peur de m’ennuyer dans du convenu m’a effleuré et puis, hop, on change de continent, le rythme change, la routine casse. On a un condo et des plages à visiter en Floride. J’ai senti l’auteure bien connaître les lieux et son plaisir d’y séjourner était palpable.

Tout en défilant l’histoire principale, différents thèmes sont abordés : le transgenre, l’homosexualité féminine, la filiation reniée. Évidemment, ce n’est pas un drame psychologique mais si on veut s’y arrêter, il y a une amorce de réflexion.

Pour être honnête, ma relation préférée est la progressive prise en charge de l’adolescente par le père. L’adolescente est bien campée, le casting est excellent ! Le père y met du sien pour rattraper le temps perdu et l’ensemble parait plausible. C’est une lecture qui peut faire du bien à des pères qui ont perdu la foi en leur capacité paternelle. L’auteure donne le droit de croire qu’il est possible de renouer avec notre enfant si on est motivé.

Je dois m’en confesser, j’ai eu de la difficulté avec la personne de mon âge qui pourrait être mon amie et je nomme ici : Marguerite, la mère du protagoniste. Avec son « je sais tout et je te connais tellement, et ces incessants lapineau », elle avait de quoi m’énerver. En fait, je trouvais Louis-Philippe bien bon de la trouver charmante. Peut-être est-cela la plus grosse différence entre un homme et une femme dans la relation à sa mère, l’homme est plus clément. Tant mieux pour lui, s’il roulait les yeux d’agacement et finissait par sourire d’indulgence ! Pour moi, le charme n’a pas passé la rampe. Trop d’amour et d’attention, c’est aussi pire que pas assez ! Je lui accorde cependant qu’elle est une femme déterminée car elle aura gain de cause (un secret à découvrir).

Est-ce que l’on peut conclure pour autant que je suis allergique aux portraits de femmes fortes, se tenant près d’une femme idéalisée ? Non, car il y a une femme fascinante dans cette histoire et celle-ci, je fais plus que l’endosser, je veux la voir vivre sous mes yeux. Et je risque d’être exaucée … en dire plus serait trop en dire.

Allez, faites comme l’auteure, n’ayez pas peur de l’homme, et plongez dans son cœur, malgré les turbulences.

Turbulences du coeur
Nathalie Roy
Libre Expression
344 pages
Sortie en octobre 2018

samedi 27 octobre 2018

L'Inextinguible de Maxime-Olivier Moutier

J’ai lu ce livre quand il est sorti début 2018. Ce sont 15 entretiens menés par Paula Singer (un pseudo, selon ses dires). J’aime le genre « entretien » et ma curiosité est toujours en alerte devant Maxime-Olivier Moutier, cet être tellement confortable dans son unicité.

Je ne sais pas si vous en avez entendu parler, mais ce livre a fait une mini tempête dans les médias autour du mois de février 2018. Je vais utiliser la fameuse expression « une tempête dans un verre d’eau ». Des journalistes aguerris se prenaient la tête : « Est-ce que Paula Singer est vraie ou fictive ? ». Autrement dit, est-ce que l’étudiante qui a initié les entrevues, accompagnée d’une autre étudiante, Sophie Galarneau sont de pures inventions issues du cerveau désordonné et égocentrique de Moutier ? Je n’avais jamais vu des intervenants du domaine littéraire s’arrêter à cette question bêbête : vrai ou faux ? Depuis quand c’est important de départager le vrai du faux en littérature ! J’ai eu beau chercher, même après ma lecture, la question du siècle perdure : pourquoi diable avoir tant accroché sur le vrai ou faux !

Le livre est généreux, parce que Moutier l’a été. Il a répondu à toutes les questions de ces jeunes dames. J’ai certainement appris à mieux le connaître et je n’ai pas été déçue une miette du personnage. Je dis « personnage », au lieu de personne parce que Maxime Olivier Moutier est si particulier, si poussé comme être humain, que j’ai tendance à le prendre pour un personnage. D’ailleurs, se prend-il pour tel ? C’est intéressant de se poser la question. Ses affirmations sur le féminisme ou n’importe laquelle des énormités qu’il énonce, dans un semblant d’indifférence, ne me font pas frémir. Je prends toujours ce qu’il dit avec un grain de sel. Il a besoin de vérifier la vérité en la retournant de tous les côtés pour en apercevoir les aspérités. Il la tient loin de lui, ce qui lui confère du recul, générateur de plein de déductions. Il ne faut donc pas prendre ce qu’il dit au pied de la lettre. Il explore. Il analyse.

Les entretiens auraient pu être banals, car les questions l’étaient. Cela a tombé sur la bonne personne, car rien n’est banal avec M.O.M., ni son enfance, ni ses métiers, ni ses études, ni ses opinions. Qui connaît un peu le pouvoir de la psychanalyse a une idée du fonctionnement d’une personne comme lui. Il s’analyse au fur et à mesure qu’il vit. Une psychanalyse, ça ne se complète jamais, tant qu’il y a de la vie, il y a de la matière à analyser. C’est la science de l’étude de soi, de cette relation subtile et laborieuse entre le conscient et l’inconscient.

Si vous êtes curieux de la psychanalyse, allez-y allègrement, lisez L’inextinguible et si vous êtes curieux tout court, lisez ce bouquin qui ne se compare à aucun autre. Peut-être trouverez-vous pourquoi, il faut autant détecter si l’intervieweuse est fictive ou non ! Vous vous en sortirez avec une meilleure connaissance de la psychanalyse, et pas seulement parce que l’interviewé est psychanalyste, plus parce qu’une passion l’allume. Il est convaincu du bienfait de l’analyse sur une personne. Il fait allusion à plusieurs reprises à Lacan, un pair de Freud, si j'ai bien compris. Ça a piqué ma curiosité et j’ai trouvé ceci : Quel est le but de la psychanalyse lacanienne ? Cerner l’origine de nos névroses grâce à la parole et au décodage de notre inconscient. Sa spécificité ? Des séances à durée variable.

Bref, Maxime-Olivier Moutier est le serviteur royal de la polémique. Il y croit énormément car, selon lui, elle sert : « à se rappeler que nous ne possédons jamais la vérité et que nous nous trompons tout le temps ». J’aime cette humilité. Ça va le changer, lui qui se fait continuellement traiter d’imbu de lui-même ! J’aime les gens qui questionnent sans cesse leurs réponses, et Moutier est de cet acabit.

J’ai moi aussi réalisée combien je suis unique (sans prétention !), en prenant possession de ce « 352 pages ». Contrairement aux critiques, j’ai aimé les notes post-entrevues de Paula Singer et ses disdascalies. Les précisions étaient consignées en limpides phrases brillantes de banalités, mon esprit n’avait plus d’autre choix que d’atterrir tout en douceur de son vol plané. En plus, elles m’intriguaient ces étudiantes. Je les trouvais plus mystérieuses que l’interviewé de qui, on s’attend à tout, ce qui sert de pare-surprise. 

Pour ce qui est de la fin, car une fin à la fin il y a, je la laisse en suspens. Personne n’y est resté indifférent, et moi non plus. Pour garder un peu du suspense, je parlerais d’une cerise sur le sundae de tout bon voyeur qu’est le lecteur.

L'Inextinguible - Entretiens avec Maxime-Olivier Moutier
Initiés par Paula Singer
Collection Hamac
2018 - 352 pages

dimanche 21 octobre 2018

Une sentinelle sur le rempart - Jean Lemieux

J’éprouve un peu de vertige au-dessus de cette feuille blanche, suite à tout ce temps passé à ne pas commenter mes lectures. Heureusement, ce livre est tout simple sous sa forme de récit. Par « récit », on s’entend sur du vécu non déguisé : deux bonnes grosses tranches de vie.

J’étais curieuse de ce titre car, jusqu’à date, j’avais lu le docteur Jean Lemieux comme auteur de polar. J’aimais ses histoires policières se tenant près de l’humain. Réalistes, quoi ! Eh bien, cette fois, j’ai été gâtée sous l’angle du réalisme puisque c’est sa vie telle quelle : de médecin résident aux Iles-de-la-Madeleine, chapitres qui alternent avec sa vie de médecin senior, cette fois à Québec, dans un hôpital psychiatrique

Si on se base sur le fait que docteur Lemieux vient à peine de prendre sa retraite, dans les chapitres relatant sa vie de chef de service à Québec, on y aborde les conséquences de la réforme radicale du ministre Barette. Rare est l’opportunité de lire de l’actualité récente à ce point, ne serait-ce que pour cet avantage, sa lecture vaut déjà la peine. 

J’ai bénéficié d’un autre privilège et c’est celui d’échanger quelques phrases avec Jean Lemieux au Salon du livre de l’Estrie. Je lui ai parlé de ma difficulté de m’adapter à l’alternance d’un chapitre à l’autre, passant de son monde de jeune homme rempli d’idéaux à l’homme mûr pour un changement dans sa vie. L’écart entre les deux mondes est immense et ça tient le lecteur alerte ! Cette manière de raconter lui est venue naturellement, m’a-t-il confié et, en même temps, il comptait sur les chapitres de ses débuts pour adoucir l’âcreté des chapitres plus actuels. Mission accomplie puisque que, même les catastrophes imminentes me laissaient assez sereine. Je suis restée suffisamment calme devant certaines atrocités, pour finir par me demander si j’avais perdu ma compassion en cours de route !

J’échafaude l’hypothèse qu’il n’y a pas que l’alternance des deux époques qui a attendri la dureté du propos. Je crois que le contrôle qu’exerce l’auteur, pas uniquement la maîtrise de l’écriture, y est pour beaucoup. Je vise aussi la voix du narrateur empreinte d'un recul évident devant l’adversité. D’ailleurs, je pourrais même, si je le voulais, me conforter dans mon impression en avançant que le médecin a de plein gré, et rapidement, choisi d’œuvrer avec les malades psychiatriques. Il faut y voir la démonstration d’un esprit solide. D’ailleurs, sous sa plume, l’anormalité apparait si naturelle, que j’ai dû parfois convaincre mon cerveau que ce n’était pas là des comportements courants qui m’étaient décrits.  C’était beau à voir, je l’avoue. Aborder la différence avec une attitude aussi ouverte, on voudrait tous atteindre cette acrobatie de l’esprit. Peut-être que l’écrivain me dirait qu’il y a un monde entre la phase de l’écriture et celle du vécu, je suis bien prête à le croire. Arrêtons-nous un instant au titre : « Une sentinelle sur le rempart » à laquelle l'auteur s'identifie. Y a-t-il plus stable qu’une sentinelle qui veille ? Et celle-ci se tient sur le rempart ; une muraille qui protège. Je vous laisse conclure : l’image offre une double protection.

Les lieux importent dans cette histoire vécue. Plusieurs années s’écoulent aux Iles-de-la-Madeleine et ce n’est pas pour déplaire. On se sent un brin dépaysé et que grand bien nous fasse. Que le docteur Lemieux ait élu domicile sur une île est assez révélateur. Le côté paisible de l’endroit, sa population restreinte, ses vents forts qui balaient, ont certainement aidé à évacuer les cas lourds rencontrés à l’urgence, car cas lourds il y a, et amplifiés, par l’absence de moyens.

Plus je tente de rendre justice à ces récits qui se côtoient, et plus je réalise que Jean Lemieux ne l’a pas eu facile. Au cours de ses premières années, les moyens manquaient à cause principalement de la distance et dans ses dernières années, les moyens manquaient à cause des failles du système imputables à la réforme Barette.

J’aborde ce récit comme un cadeau, en considérant que l’écrivain a fait des pieds et des mains pour arriver à le pondre rapidement. Je ne sais pas quelle en était la motivation première mais j’ose croire que ça se voulait un témoignage incisif sur la situation médicale qui ne tient pas la route au Québec par les temps qui courent.

Discours de fer dans une plume de velours

Une sentinelle sur le rempart
Parcours d’un médecin
Jean Lemieux
Québec-Amérique

jeudi 18 octobre 2018

Passer le mot à la Volumineuse !

Belle lurette que je n’ai pas écrit sur mon blogue, Le Passe-Mot, que j’appelais aussi mon carnet littéraire. Depuis des mois, je pense y revenir. Plus qu’un écran m’en empêchait, plus qu’une glace épaisse m’en séparait, j’avais à fendre une frontière creusant ses racines dans des terres inconnues. Des terres innommables.

Et puis, ça y est, me voici, enfin transformée. Pour le mieux, de cela je suis certaine. J’ai pensé marquer ce changement d’attitude par un changement visuel. Nous, les Québécois avons cette tendance à marquer nos changements, le gouvernement fraichement élu en est une démonstration patente. Donc, au lieu de lire « Le Passe-Mot de Venise », vous lisez « La Volumineuse ».

Sous cette nouvelle appellation, je vais lire autant qu’auparavant, et toujours de la littérature québécoise. Cette motivation n’a pas changé d’un iota. D’ailleurs, ce n’est pas parce que j’étais absente que je n’ai point lu. Sainte-bénite, que j’ai lu ! Pas de la même manière cependant. Maintenant, j’avale d’une traite, sans dédoublement du « je » ; un qui compile, un qui assimile.

Si je faisais une pile de ce que j’ai lu, elle s’écroulerait. Aussi, je vais parsemer des lectures passées parmi des actuelles. La Volumineuse sera gourmande. Il lui arrivera d’avaler sans avoir mastiqué. C’est permis et je me le permettrai. Au Passe-Mot, la tendance penchait un peu trop à pondre des textes journalistiques, ou qui se prenaient pour tels. Fini cet apparat, je m’allège. Je ne triturerais plus mon cerveau de justifications, surtout pour mes « j’aime pas ». Des « j’aime », c’est facile à lancer et aussi facile à étayer. Tandis que les fameux « j’aime pas » me grugeait de l’intérieur. Je me laissais intimider par eux, m’imposait le devoir que les lecteurs en comprennent les raisons. Le milieu est petit au Québec, et de plus en plus d’auteurs me lisaient et réclamaient de comprendre. J’en étais à les entendre crier derrière ma tête quand, dans les faits, ils ne faisaient peut-être que murmurer. Mon sentiment du devoir étant exacerbé, cela retirait du plaisir de partager.

Parlons-en du plaisir ! Je suis revenue sur cette voie. Je repars en neuf, habillée d’une nouvelle attitude. J’ai déposé mon égo dans la marge. C’est fou ce qu’une réputation, qui s’étage pierre après pierre, peut devenir lourde si on n’y prend garde. J’ai vécu beaucoup, beaucoup de choses durant cette période de deux ans et j’avance aujourd’hui avec de nouvelles dispositions d’esprit.

La Volumineuse n’est pas que gourmande de dévorer des livres, elle est rieuse, lumineuse, s’anime de la joie de s’exprimer sur le milieu littéraire. Dans ce juste milieu que Marsi et moi occupons, on tente de tenir l’équilibre entre deux pôles : le paraitre et l’être. Il est clair que je vais vous parler de Marsi (vous avez vu, il apparait dans ma nouvelle bannière !) dont le talent se confirme dans une œuvre animalière. Je vais partager sa carrière qui prend de l’essor, sa manière de le vivre, et la mienne aussi. Il m’offre le cadeau de sa parole et j’aime la porter haut. 

Je n’ai pas que fait le ménage dans ma tête, dans mes genoux également. Je porte deux genoux flambant neufs, suite à deux opérations. « Nickel », comme disent les jeunes ! Deux yeux neufs, également (des lentilles intraoculaires).

Je me lance donc, et j’ai hâte de vous parler de ces trois titres assez récents et fraichement lus :
- L’Inextinguible de Maxime-Olivier Moutier – Collection Hamac-Carnets
- Une sentinelle sur le rempart – Parcours d’un médecin –Jean Lemieux -Québec-Amérique
- 160, rue Saint-Viateur Ouest – Magali Sauves – Mémoire d’Encrier
**Deux premiers titres reçus en exemplaire de presse

J’espère que vous me suivrez. 😊 - Personne n’écrit uniquement pour soi ! Par contre, je me suis souhaité, avant même d’écrire la première ligne, de rédiger un peu plus pour moi. C’est fou, n’est-ce pas, de devoir se forcer pour se destiner une action ! Les altruistes doivent pencher vers eux et les égocentriques, vers les autres. Pour atteindre et chérir l’équilibre. J’ai pris conscience que si on ne retire plus de plaisir d’une action, on finit par braquer le projecteur sur l’autre, et l’autre, eh bien lui, perd une part de liberté de réagir. 

J’ai parlé du fond, je me promets également de ne pas m’en faire autant pour la forme, je parle des fautes de français, ou des coquilles. Parce que oui, j’en fais, et parfois par ignorance (les plus dures à me pardonner !) d’autres fois, par distraction. Nous, les blogueurs, nous ne bénéficions pas de correcteurs. Les écrivains et les journalistes, même les plus chevronnés, en bénéficient et en sont grandement soulagés. Il me semble qu’ils devraient, plus que quiconque, être conscients qu’il n’est pas évident ce recul indispensable à une relecture correctrice.

Lors de mes derniers billets du Passe-Mot, Marsi devait me lire avant que je publie. Durant sa lecture et mes nombreuses relectures, je serrais les dents, stressée plus que nécessaire. Fini les dents serrées ! La Volumineuse ouvre grand la bouche pour accompagner chaque éclat de rire et et chaque éclat de dire.

Pour le plaisir, bienvenue chez La Volumineuse !