Je mentionnerai que je suis une assidue du
blogue de cyclo-nomade Roule, Rosie, Roule d’Éric McComber. J’admire son style. Je ne compte plus les fois où j’ai été suspendu à ses lignes pour son art de garder le suspense. Son style ouvert à tout vent surprend. Un style à la personnalité forte et marginale d’un auteur détendu qui rallie le sarcasme à la bonhommie de belle façon.
Ceci étant dit, jetez un coup d’œil sur le livre objet « La Solde ». Vous vous arrêtez. Les étiquettes fluo sont là pour que l’on ne passe pas à côté. Cette apparence m’amène à penser "Voilà une couverture qui, plus que suspendre l’attention veut la surprendre et à la limite, la secouer". En cela, le livre est bien étiqueté ! Tout au long de cette rencontre avec Émile Duncan, je me suis arrêtée, surprise, et secouée.
Mais commençons par le commencement. Sur la quatrième de couverture, on fait allusion à un bluesman dérouté qui accepte un travail qui le rebute, la correction d’agendas scolaires, jusqu’au jour où le manuscrit qu’il a écrit en secret est édité.
J’ai divisé le roman en deux parties. La première est la rencontre de l’homme qui baisse pavillon devant sa vie. Elle est moche, sa vie, tellement moche qu’il la rend encore plus moche en faisant un travail auquel il ne croit pas. On apprend au fil des chapitres, divisés en mois suggérant la l'agenda scolaire, qu’il est hanté par le fantôme d’une femme qu’il a aimée. Jusque là, rien de nouveau sous le soleil. Mais l’homme, et l’auteur derrière l’homme, a décidé de partager avec nous le plus infime détail de sa vie intime, comme le récurage de son nez, ou l’observation du fruit de son labeur intestinal. Je n’ai jamais été aussi loin dans l’intimité d'une personne, même pas avec l’homme de ma vie, alors imaginez combien c’est peu tentant avec un pur étranger déprimé ! Intrinsèquement, ça se défend, quand les cloisons de ta vie se referment sur toi, la première prison est ton corps. On confine le lecteur à cet espace clos, un corps en fonction (et en érection), ce contenant d’un esprit désabusé. C’est manifestement étouffant, presque que puant. Claustrophobe s’abstenir.
J’ai senti de la fraicheur quand est entré dans la vie d’Émile Duncan des relations, et donc des dialogues, avec tout autre personne que lui-même. Tout d’abord avec ses parents, et ensuite avec une panoplie de femmes qui lui tombent dessus. Des femmes, encore des femmes et toujours des femmes se présentent à lui, de tout acabit, ayant comme point en commun d’être belles et sexy. La cause serait ce manuscrit qui, à sa grande surprise, est publié et lui amène cette belle palette de femmes qui ne désirent qu’une chose : vérifier sa virilité. J’ai pris plus de plaisir à la lecture de cette deuxième partie, ne serait-ce que parce que le personnage est plus appétissant en relation que seul avec lui-même.
Mais n’empêche que l’histoire, toutes parties confondues, m’a laissée sur une note d’insatisfaction. Je m’attendais à plus de ce roman qui m’est apparu futile par son absence de subtilité. Tout d’abord, le personnage Émile Duncan est présenté en surface. Quant à en apprendre autant sur ses habitudes d’hygiène, et de baise, j’aurais également aimé toucher son esprit. Le personnage est un musicien, il faut se contenter de le croire sur parole. J’aurais aimé sentir sa passion en berne, cela m’aurait évité de croire qu’il s’agit, par exemple, d’un dentiste en dépression. Ses tendres pensées pour Celle qu’il a aimée sont à peine esquissées. Cet amour vibrant qui marque la cassure avec sa vie passée aurait pu être un filon à exploiter pour donner plus de chair à Émile Duncan.
La révolte du personnage, plus évidente à la première partie, passe par la facilité : les favorisés d’un côté (bourreaux) et les défavorisés de l’autre (victimes), une mince démarcation les sépare dans l’usine. Les exploités, les correcteurs d’agendas sont maltraités, pendant que l’exploitant se prélasse dans des bureaux luxueux avec de belles salles de bain. J’ai également eu de la difficulté à croire à l’abrutissement de son travail de correcteur, j’exercerais le métier de correctrice d’agendas scolaires n’importe quand ! Faut dire que je n’ai pas adhéré aux sarcasmes de la méchante société qui sert des inepties aux jeunes dans les agendas, sous-entendu que le « Système » est pourri jusqu’à l’os.
Mais mon insatisfaction a atteint son point culminant à la fin, ce point final à mes attentes. J’ai espéré page après page le dénouement, c'est-à-dire la teneur du roman qui contient de quoi changer la vie de l’écrivain du tout ou tout. Je me suis retrouvé devant rien, à moins qu’il soit question d’une entourloupette et que nous ayons entre les mains le roman dont on fait allusion dans le roman. C’est mon hypothèse et elle est hasardeuse. Sans ce fondement, il devient tentant de croire à une démonstration franche et fière d’une élucubration masculine parce que, croyez-le ou non, ce personnage extrêmement passif, reçoit tout de ces dames. N’est-ce pas là agréable fantasme !
Un roman qui a le mérite de ne pas se prendre au sérieux, les surprenants dessins qui y sont glissés nous mettant sur cette piste. Cependant, à mon avis, le fort sarcasme entre ses pages tombe à plat. De là un certain malaise, comme celui éprouvé devant la blague que personne ne rit.
La Solde, Éric McComber, Édition La mèche, 232 pages, parution 0ctobre 2011.