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vendredi 1 mars 2013

La fille qui n'existait pas - Denis Thériault

J’ai le trac, bien sûr que j’ai le trac, et si j’en parle c’est pour le traquer, afin qu’il disparaisse, que je puisse vous parler convenablement de ce roman que j’ai tant aimé. Un gros coup de cœur. Ce n’est pas la première fois que je trouve Denis Thériault remarquable ; l’Iguane et Le Facteur émotif, ses deux premiers romans m’ont frappée. Mais, pour moi, ce troisième est le meilleur. Pourtant, le titre me laissait indifférente et l’apparence du roman ne m’attirait pas. Heureusement que je connaissais l’auteur !

Au début de ma lecture, j’étais remplie d’appréhension. D’après le résumé, s’y trouvait quantité de personnages hors norme, « étranges et fascinants » disait-on. Une squeegie, une prostituée muette, un ex-prof alcoolo, un nain exhibitionniste, le naïf, Mollusque, le dur à cuire, Frigon, Matsheshu, l’Indien et le fragile Ozzy que sa sœur, Aude (la squeegie) protège. Déjà, en partant, le lecteur sait qu’il va perdre ses repères. Pas trop... espérais-je, que je m’y retrouve à la fin. Oh que oui, je m’y suis retrouvée ! La fin est géniale, c’est à en pleurer, mais le chemin pour y arriver, tout autant.

Nous partons d’un lieu qui prend beaucoup d’importance tout au long de l’histoire, un immense bunker que des itinérants squattent, les personnages ci-hauts mentionnés en étant. Il y a des personnages plus importants que d’autres, Ozzy et sa sœur, ce que l’on réalise rapidement. Une fête se prépare pour Ozzy, dont c’est l’anniversaire, et l’événement  laisse supposer qu’Ozzy est le personnage central. Il serait le centre de la tribu mais ne la dirige pas. Ce beau monde a conféré à Aude l’autorité, toute l’autorité. C’est une tribu, d’accord, aux liens tissés serrés, d’accord, mais pourquoi Aude en serait-elle la chef, plus que des personnages plus imposants ?  Déjà, ce mystère, en partant.

Les mots « tribu », « bunker », « autorité », suggèrent qu’un danger menace, la vie est précaire pour des itinérants. Une vie quotidienne en apparence réglée au quart de tour se déroule sous nos yeux, chaque membre de la tribu s’acquittant d’un rôle dans ce bâtiment rudimentaire. Une mini société s’est organisée, jusqu’à ce que des éléments extérieurs viennent perturber ce semblant d’harmonie. Des menaces d’expropriation du bunker squatté et l’arrivée d’une femme qui fascine Ozzy. Cette femme commencera sa vie sur les murs du bunker, Ozzy crée des personnages, il est peintre. Ce qui perturbera grandement Aude, sa sœur. Par jalousie ? Par esprit de protection trop fort ? Ou est-ce une réelle menace ?

À partir de là, tout bascule. Je me suis demandé à un moment donné si l’histoire ne s’était pas transformée en haletant suspense policier. D’innombrables questions m’assaillaient mais, fébrile, je ne m’arrêtais pas pour les confronter. L’auteur a fait en sorte qu’il en soit ainsi. Il arrive à entretenir l’attitude que l’on a devant un rêve ; ne pas remettre en questions les personnages créés dans notre tête, les laisser agir selon leur propre logique interne.

Ce n’est pas pour rien que j’avais le trac, comment communiquer ce que j’ai ressenti devant cette histoire «  à la poupée russe » pour ses couches soulevées, une à une, dévoilant une réalité autre que celle que je croyais ? Je conserve intacte l’intrigue qui repose sur des clés, ouvrant des portes, qui elles ouvrent d’autres portes. Vous allez dire que jusqu’à date, vous devez me croire sur parole. C’est vrai, je m’avoue prudente, ne prenant aucun risque d’en dévoiler trop, évitant à tout prix d’arracher le rideau exposant les ficelles.

Ce que je peux dire est que les amateurs de psychiatrie, dans ce qu’elle a de meilleur à donner, seront servis sur un plateau de symbolismes. Qu’une solide et sordide histoire de famille sert de trame de fond. Que les amants de symboles lourds de sens et faisant du sens seront projetés au septième ciel, encore plus s’ils sont ouverts à la mythologie.
 
Le style ? À la hauteur de l’histoire, ce qui n’est pas peu dire.
Un roman qui démontre avec force et imagination l’instinct de survie d’un esprit gravement perturbé et jusqu'où peuvent aller les aberrations d’un cerveau traumatisé. Si vous privilégiez les romans convenus où vous ne vous sentez jamais égarés, passez votre tour pour celui-ci.    

J'ai trouvé une vidéo d'une trentaine de minutes où Denis Thériault est interviewé en profondeur par Caroline Le Gal. Il y parle du travail entourant ce roman. Il est très délicat, aucune intrigue n'est divulguée.

23 commentaires:

Le Papou a dit...

Ce n'est pas juste, avec un titre comme ça, je suis resté zen et puis j'ai lu ton billet et maintenant je le veux. Comme si je 'en avais pas déjà assez.
Le Papou

Venise a dit...

Ah, Le Papou, je vous connais un peu, à peine, je vous devine un être original qui fouille du jamais vu, alors comment ne pas vous dire : "celui-ci, il vous le faut".

anne des ocreries a dit...

J'en salive d'envie. Noté !

Réjean a dit...

J'ai lu ses 3 romans et je trouve que c'est un très bon auteur dont l'imaginaire rejoint les grands mythes de l'humanité.

Suzanne a dit...

Et dire que je m'étais promis de ne plus me laisser tenter, du moins, tenter de... Mais comment résister après un tel commentaire?

Sylvie a dit...

Ben là, d'après ton billet, il est pour moi, ce roman !
Je vais attendre le SILQ et si l'auteur y est, j'irai le lui acheter et lui dire que c'est à cause de TOI, vlimeuse !
Merci de me faire connaître un nouel auteur. ;)

Venise a dit...

Anne : J'ai pensé à toi en le lisant. Nous ferons un échange, d'accord. Tu me remettras le titre Mademoiselle Personne, et je te remets celui-ci !

Venise a dit...

Réjean : Cet auteur vous a satisfait avec ses trois titres ? Ce n'est pas rien !

Je ne savais pas que vous l'aviez déjà lu. Ça veut tout dire, quand vous aimez un auteur, vous lui êtes fidèle. On se souhaite qu'il ne vous déçoive jamais et ni moi non plus quant à ça !

Venise a dit...

Suzanne : Ne résiste pas ! Tu ne peux pas et pour deux raisons. La première : pour la lectrice friande que tu es. La deuxième : pour l'auteur, trop méconnu.

Je t'en mets encore plus sur les épaules, n'est-ce pas ? (J'arrive à être pas mal audacieuse avec toi !)

Venise a dit...

Oui, oui Sylvie ! Dis-lui que c'est de ma faute !

Après ma lecture du roman Le facteur émotif, je n'ai pu m'empêcher de lui écrire, et il m'a gentiment répondu. J'ose croire qu'avec mon prénom, il me reconnaitra, surtout qu'à mon grand dam (je ne comprends rien à ce fait) les médias ne courent pas après ce grand auteur. Après trois romans réussis, on peut commencer à parler de grand auteur. Je suis confiante, l'avenir le dira.

Venise a dit...

À Réjean et à tous ceux et celles que ça intéresse, Denis Thériault parle de la Fille n'existait pas pendant environ 30 minutes à Caroline Le Gal. Sans jamais dévoiler un punch mais en nous entretenant de son travail, de ce qu'il a voulu faire. Cette vidéo a été vue que 117 fois :
http://www.youtube.com/watch?v=FTGyVh5F6eY
Je vais également l'intégrer dans mon texte, si je peux.

Venise a dit...

Ah oui, c'est embarrassant pour moi de le rappeler, mais lorsque vous achetez un livre en passant par le Passe-Mot, vous encouragez votre librairie indépendante (Rue des libraires peut l'acheminer à votre librairie la plus près de chez et vous allez le quérir pour éviter les frais postaux) ET vous m'encouragez puisque l'on m'accorde 4% de pourcentage.

Je vous en prie, sentez-vous complètement libre, je voulais tout de même vous en faire part.

Amélie a dit...

Le titre ne me disait rien moi non plus, mais avec ce billet si enthousiaste...! Je pense que je vais l'ajouter à ma liste. ;)

Réjean a dit...

Je suis effectivement très fidèle aux auteurs que j'aime. Thériault en est un. Ce roman aurait été un bon titre pour le combat des livres. Vous auriez pu le défendre. Je vous y verrais.

gaétan a dit...

Nul n'est prophète dans son pays faut croire... Denis Thériault est originaire de 7-Iles et je n'ai lu aucun de ses livres. J'ai portant tenu L'iguane dans mes mains mais mon dévolu s'est jeté ailleurs mais là je me reprend...grâce à toi.
Dommage que Rue des libraires s'arrête à Baie-Comeau j'aurai donné suite aujourd'hui même. Ce sera donc pour ma prochaine sortie de commissions à 7-Iles. Bon dimanche et bonne semaine.

Venise a dit...

Amélie : Coeur de camomille, je viens d'ajouter ton blogue à ma liste. Tu lis des titres hétéroclites, tes goûts variés te font butiner. Un papillon de jour. Il me semble qu'un blogue tel que le tien manquait à ma liste.

J'ose espérer que tu vas lire "La fille qui n'existait pas".

Venise a dit...

Réjean : Imaginez-vous la scène deux secondes, un titre inconnu, un auteur méconnu, une fille inconnue qui le défend ! C'est pas mal anti Radio-Canada ... Malheureusement, on en est là.

Merci de votre confiance. Eh oui, je me serais prêtée au jeu, à ma manière, sans démolir (pas évident à ce jeu !).

Venise a dit...

Gaétan : Oh que je suis contente ! Ça me fait plaisir que mon commentaire t'incline à passer à l'acte pour Denis Thériault. Je te souhaite de le rencontrer un jour (je parle comme si je ne doutais pas une seconde que tu aimeras sa prose !) au Salon du livre de par chez vous. C'est un être assez timide, humble, qui ne joue aucun jeu de vedette. C'est la marque des grands !

Si je comprends bien, si les librairies indépendantes se seraient rendues jusque par chez vous, tu serais passé par le Passe-Mot ? C'est gentil tout plein, merci de l'intention, Gaétan.

gaétan a dit...

C,est ça Venise d'après le site de rue des libraires n'inclue pas les 2 librairies de Sept-Iles.

Venise a dit...

Gaétan : C'est plate. Un jour peut-être que une des librairies de Sept-Iles se joindra à cette association qui est tout à l'avantage des petites librairies.

Merci quand même, et j'ai bien sûr hâte d'avoir des nouvelles de tes lectures, dont La fiancée américaine bien sûr.

Danielle a dit...

Ah la la ! Toi qui disais être remplie d’appréhension au début de ta lecture à l’expectative des personnages hors norme, moi, c’était tout le contraire parce que normalement, j’adore ça ! Sauf que ça ne collait pas. Je n’arrivais pas à y croire. Et pour cause ! Alors que toi tu as réussi à te laisser porter « sans remettre en question les personnages », moi ça m’a contrariée. Et quand j’ai fini par comprendre pourquoi tout cela sonnait si faux, j’avais déjà perdu des plumes en cours de route.

Ton analogie avec les poupées russes est on ne peut plus juste. C’est tout à fait ça. Moi j’avais fait un parallèle avec les membres typiques et hautement caricaturaux d’un cirque, déambulant au son désaccordé d’un orgue de barbarie : Le nain, le chef indien, le dompteur de fauve, le manieur de poignards, l’obscure funambule, le maître de cérémonie, la femme à barbe et bien sûr, l’illusionniste, avec la fille tranchée et le fameux chapeau d’où entrent et sortent non pas des lapins ou des colombes, mais des créatures imaginaires. Show que j’ai d’ailleurs trouvé précipité vers la fin, comme si tout ce beau monde était tout à coup pressé de quitter la scène au plus sacrant.

Je salue cependant l’imaginaire qui a généré tout ça. La tendresse et l’ingénuité qui persiste malgré et au delà de l’horreur et de l’invivable. La beauté de la langue et le secret bien gardé.

Venise a dit...

Danielle : J'aime la manière dont un en parles. Tu respectes le mystère et tu arrives à dire ce que tu en penses. Je dirais même qu'à force de mystère tu donnes le goût de le lire.

Tu vois bien les qualités de l'oeuvre, dont la qualité de la langue, même en ayant buté sur les personnages hors normes.

Danielle a dit...

C’est assurément un livre à lire! Toutefois, ce ne sont pas les caractères atypiques comme tels qui m’ont fait décrocher. C’est plutôt que j’étais en porte-à-faux par rapport à ce que je CROYAIS qu’on tentait de représenter.

Le côté carnavalesque très marqué, voire même parfois loufoque des personnages m’agaçait, parce qu'il brossait ce que je considérais comme un portrait type édulcoré des anticonformistes affirmés et des squatteurs dont nos villes regorgent à profusion.