Après Hadassa, voici 33, chemin de la Baleine. Une adresse ... j’aurais dû me douter qu’il s’agirait de correspondance. C’est une histoire d’amour, une grande, une forte, une mélodramatique. J’ai tellement embarquée ! ... incroyablement, à en perdre ces questions que je me pose au fil de mes lectures sur le « comment » l’histoire est écrite, pourquoi j’y réagis, l’analyse quoi ! J’ai été une réaction sur deux pattes. Cette histoire d’amour inassouvie m’a atteinte. J’en suis sortie rapetissée ... Ça mérite explication mais, avant tout, je vous situe.
L’histoire d’amour se déroule sur deux époques, les années 50 et maintenant. Le maintenant est la rencontre avec Éva, une femme esseulée, amoindrie, vivant dans une résidence où l’on prend bien soin d’elle, ne serait-ce que parce qu’elle est tout à fait charmante. Le vrai charme, candide, sans calcul ou aux calculs si gros que le clin d’œil à la complicité s'impose. Tout part d’un visiteur qui arrive avec un cadeau, une mystérieuse correspondance qui deviendra le livre de chevet de vie de cette Éva au cœur tendre. Elle s’accrochera à la lecture que le visiteur lui fera de ces lettres, les entendant comme du «déjà vu », poignant, un genre de film se déroulant sous ses yeux ébahis ... en même temps que les nôtres bien entendu.
Comment vous en dire assez, mais pas trop, je me méfie un peu de mon enthousiasme. Revenons à la question essentielle ; pourquoi ai-je tant embarqué ? Pour les émotions vécues, intenses, devant le suspense de l’attente si bien décrite. J’ai attendu, cru, espéré, me suis insurgée, j’ai été bouleversée, ébranlée par la vigueur de l’inépuisable sentiment d’amour de cette femme, que l'on classerait maintenant dans la catégorie de « femme qui aime trop ». Voyez une femme vivant que pour l'amour de son homme, et n’entendez aucune voix moralisatrice essayant de la raisonner, voyez-la fonçant sans la moindre logique, ou brin de raison. En 1950, qui se souciait des femmes qui aiment trop ? Elles étaient pour ainsi dire la norme ou, en tout cas, cet excès d’effacement derrière l’homme, pouvait passer pour une vertu. Surtout quand l’homme "aimé trop" est un écrivain riche, prolifique, réputé au point d’en être une vedette. Les femmes se l’arrachent et, pourtant, il l’a choisie pour la marier, elle, Éva, cette jeune et peu cultivée femme de bas étage. Elle a des atouts, que l’on devine, voilà le charme discret de cette correspondance qui nous entre en catimini dans les couloirs de leur intimité, nous laissant complète liberté de se faire une opinion. À travers ces lettres, libre à nous de juger, de dénigrer, de condamner. Ou de compatir.
Si je me suis fait bien comprendre, la correspondance date de 1950, tandis que le maintenant se déroule dans la chambre de la vieille femme. Les remarques d'Éva font partie du charme, rajoutent des informations et en même temps, nous fournissent un recul, je dirais, nécessaire. J'ai apprécié ce dosage, d'entrées et de sorties, à bon escient. Je rajouterais que Jacques, l'homme qui lit a un lien avec cette correspondance. Pendant un certain temps, une soignante aimante y assistera et un lien naîtra entre le lecteur et la soignante, cette histoire est restée secondaire pour moi.
La correspondance se présente avec une très habile progression, devenant de plus en plus déconcertante. Lorsqu’une lecture nous kidnappe, j’imagine qu’elle va chercher des émotions troubles en nous. Cela doit être le cas ici, je n’irai pas jusqu’à me psychanalyser, mais il faut bien que je revienne au mot que j’ai laissé tomber « rapetissée ». Si je me suis fondue en Éva - c'est la faute au talent de Myriam Beaudoin (!) - en vivant de trop près ce qu'elle vivait, j’ai été engloutie par le mystère : va-t-il revenir ? Est-elle folle ? (on dit bien, folle de lui ?).
Est-ce que cela veut dire que ce roman n’a que des qualités ? Bien sûr que non. Il n’est pas si original, la voie empruntée est courante et je m'interroge un peu sur la pertinence de l'histoire secondaire (lecteur et soignante). La raison est probablement que l'intrigue principale m'a comblée. Mais, qu'importe, quand la plus grande qualité est d’embarquer au point de perdre son sens critique !
J’imagine qu’être écrivain, c’est ce que je me souhaiterais ; que tous mes lecteurs perdent leur sens critique !!!
33, Chemin de la Baleine, Myriam Beaudoin, Leméac, 192 p. (avec une belle couverture en plus !)
8 commentaires:
Je n'ai même pas encore lu Hadassa!! Tu peux me critiquer pour ça... j'assume!
Bon, ça y est, tu m'as convaincue!!! Noté dans ma petite liste! J'adore les trucs épistolaires!
Vous qui aimez les correspondances, vous avez été servie à souhait, si je comprends bien.
@ Quant à te chicaner :-), je te chicanerais pour 33, chemin de la Baleine. J'ai aimé Hadassa, mais plus comme une riche mine de renseignements que comme un roman enlevant.
Karine, je suis contente de t'avoir convaincue. Parfois, je tremble de convaincre une lectrice de peur qu'elle soit déçue mais j'avoue que cette fois, je n'arrive pas à m'inquiéter. C'est peut-être prétentieux de ma part !
Plus que servie, Réjean ! J'aime le genre épistolier mais à chaque fois, j'ai des appréhensions plus intenses que pour un roman. Cette fois, je ne me suis pas douté que c'en était le centre à ce point.
C'est ma lecture de lettres la plus captivante jusqu'à date, et depuis le temps que j'en lis, c'est dire ! Je ne fais pas de distinction avec un roman avec intrigue qui nous tient en haleine. La manière de présenter cette correspondance est habile et ingénieuse. Je donne à Myriam Beaudoin ses lettres de noblesse pour le genre.
Oh, oh, moi qui partage ton goût pour les correspondances, en voilà une qui au travers de tes mots m'émoustille et me charme...
Hum et cette dernière phrase de ton texte, la perte du sens critique, écrivain pour faire perdre la tête ou à l'inverse pour réveiller les consciences, en tout cas faire tomber les défenses, oui, j'aimerais cela aussi je crois, toucher et remuer.
Mimi Beaudoin, c'est pas de la gnognote. Plus rien ne l'arrêtera. J'applaudis sans réserve.
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