Faites comme chez vous

Faites comme chez vous
c'est recevant !

mardi 11 août 2015

Grand entretien avec Serge Bouchard aux Correspondances d'Eastman

Serge Bouchard est un conteur
L'arrivée...
« Comment allez-vous ? » est la première question de Catherine Voyer-Léger. Pensez-vous qu’un Serge Bouchard va répondre en s’épanchant sur ses petits bobos ? C’est mal connaître l’anthropologue qui entraine dans ses réponses toute la société avec lui. La question « Comment ça va ? » est un code, une clé sociale qui ne veut pas dire grand-chose. Quand ça va mal, c’est déjà rendu trop loin pour en parler et être corrigé.

La salle était bondée. L’homme attire. Faut dire que c’est un conteur hors pair. Je le réalise plus que jamais en rédigeant ce Café à l’aide de mes notes. Je réalise que rien d’extraordinaire n’a été dit, mais pourtant, nous étions tous subjugués, car la manière de le dire n'est pas sur ni entre ces lignes. C’est une question d’amour, nous aimons cet homme. Et s’il y a une personne qui comprend ce que j’avance là, c’est lui. Quand il parle de son amitié indéfectible pour son compère Bernard Arcand mettant de l’avant combien ils étaient des êtres différents, leurs avis divergeaient couramment, son ami était religieux, conventionnel, mais qu’importe, ils s’aimaient tous les deux.

Complicité
Quel beau sourire !
S'il n’a pas tout de suite répondu comment il allait, au cours de l’entrevue, il dira qu’il a de la misère à se trainer (sic) et qu’à 68 ans, le camion de la vie lui a passé sur le corps. À notre époque, si tu es malade, c’est de ta faute, si tu en meures, c’est de ta faute. On est loin de nos ancêtres qui se berçaient sur le balcon en contemplant le paysage, il faut faire du ski, jouer au tennis, au bridge… On augmente le temps d’être vieux.

Heureusement, son travail se situe au niveau intellectuel, avance l’animatrice (peut-être pour l’encourager !). Il tombe rapidement dans la dérision : « Ah oui, maintenant, il faut muscler son cerveau » (rire devant son ton très sarcastique). La peur de perte de mémoire est intense, s’il oublie ses clés, il atteint d'Alzheimer !

La peur est normale, saine. Il est recommandable d’avoir peur. Si on rencontre des ours par exemple, vaux mieux en avoir peur, sinon on est à risque (autre rire). Le courage est une suspension temporaire du jugement. J’ai admiré Catherine V.L. qui le ramène sur le courage intellectuel. À cette voie qui s’ouvre devant lui, il s’allume, avance vers l’engagement. Un courage souhaitable est celui de s’engager, ce qui implique nécessairement, l’endurance. Devenir quelqu’un, c’est long, ça exige du temps. Il haïssait l’école pour mourir (C’est plate l’école, et on devrait le dire aux jeunes au lieu de faire semblant !) et il a été se chercher un doctorat.

Catherine Voyer-Léger a mis l'homme en lumière
Chez lui, il y avait un seul métier qu’il était exclu qu’il choisisse : camionneur. C’était le métier de son père qui n’avait pas été à l’école. Pour ses parents, les études avancées de leurs enfants, c’était leur vengeance. Ses parents étant anticléricaux, ce sont les études qui faisaient office de religion dans la famille, par exemple, il devait rédiger des rapports de ses lectures. Il a été élevé dans l’Est, près des raffineries, toutes ces cochonneries-là sont soufflés vers l’Est, tandis qu’à l’Ouest, l’air est pur pour les riches. Il a bouffé de la pollution toute sa jeunesse, a jamais porté un casque de vélo et même pas eu de frein quand il pédalait. Il s’en est sorti vivant.

Tout jeune, il est parti au Labrador avec le désir ardant d'apprendre la langue Innu. Il est arrivé sur ces terres, neuf et ouvert sur l’autre, et il a été accueilli à bras ouverts. C’est un peuple moqueur, où le rire est important, ce n’est pas toujours l’idée que l’on s’en fait. Quand il est revenu au Québec, c’était la crise d’octobre, il s’est senti déconnecté, d’autres paysages s'étaient imprimés sur son iris.

Il a des enfants, des petits-enfants, il dit vivre sur une autre planète que la leur. Sa petite-fille est branchée, elle se promène reliée à des fils, comme à un soluté…. Je vais me faire tuer en sortant, dit-il en catimini. Contraste frappant entre son enfance où, pour attraper un morceau de musique de 2 minutes 4 secondes, il fallait écouter les émissions de radio qui en intercalaient et maintenant où un petit gadget en contient des centaines. Il s’exclame sur la liberté de son enfance. Pas de camp de jour ou de soir, juste de la liberté du 23 juin au 6 septembre ! Le temps lui appartenait.

Concentration, pas question d'écrire n'importe quoi...
On n’était pas accaparé par les écrans dans son temps, il y en avait un, le téléviseur, et il fallait le ménager et ménager ses yeux. On pouvait s’abîmer les yeux à regarder la télévision, disait la croyance populaire. Une émission de prédilection chez lui, la lutte du mercredi avec des petits nains. La menace planait toute la semaine, il fallait être sage pour y avoir droit !

Longue file pour la dédicace après la causerie
Il se donne le droit d’être nostalgique, même si elle a mauvaise presse. Elle est bonne à consommer, c’est une manière de s’inscrire dans la temporalité. Une manière de faire ressortir l’actualité. Car, après tout, quelle est la définition d’un jeune ? Un jeune n’est rien d’autre qu’un futur vieux.

Pour ceux et celles qui aiment le suivre, il est à l'émission C'est fou à Ici Radio-Canada tous les samedis de 19 h à 20 h. Catherine Voyer Léger y a parfois des chroniques. D'ailleurs, leur complicité était palpable.

8 commentaires:

anne des ocreries a dit...

Un monsieur intéressant ! Tu les enchaînes, là, les belles soirées.

Nomadesse a dit...

Il est venu à Lévis aussi, pour parler de Guillaume Couture. C'était plein! Et tellement intéressant.
http://nomadesse.blogspot.ca/2015/04/guillaume-couture-raconte-par-serge.html

Je suis une grande fan, surtout depuis que j'ai interviewée par M. Bouchard dans son émission "Les chemins de travers", à propos du Japon. Il prend le temps d'être avec ses invités. Il m'avait même fait la surprise d'avoir fait enregistrer par une comédienne l'histoire japonaise que j'ai écrite à la fin de Passion Japon! Un moment que je n'oublierai jamais!

Venise a dit...

Anne : J'ai tenté de le rendre captivant mais c'est comme saluer l'ombre d'une personne. Il est un conteur authentique, un grand grand conteur. Tu aurais ri à plus d'une reprise. Il rend drôle ce qui ne l'est pas.

Venise a dit...

Nomadesse : Combien tu aurais savouré cette causerie ! C'est un homme qui offre à l'autre une présence intense. Au moins, tu l'as rencontré en personnes, je te souhaite qu'il soit de nouveau sur ton chemin, ou toi, sur le sien !

Sam@Les Insonorisations a dit...

Très gentleman..Impression ? lol mignon

Venise a dit...

Sam : mignon ? Ah, mignon.

Grand-Langue a dit...

Très intéressante cette entrevue. Bravo!

Je ne suis jamais allé à Eastman, je ne saurais pas quoi y faire.

Au salon de l'automibile, je peux touj=cher aux voitures, à celui de l'habitation, on touche aux matériaux mais à Eastman, je toucherais aux crayons?

Grand-Langue

Venise a dit...

Grand-langue : Aux Correspondances d'Eastman, vous touchez non seulement à la plume-stylo que l'on vous offre, vous touchez à la grâce et la magie des rues d'un village débordant de personnes qui ont un livre à la main et qui parle de littérature. Vos pieds toucheront aux sentiers agrémentés d'endroits inspirants pour écrire ou pour rêver. Vous toucherez à des feuilles d'arbres, ou à des feuilles de papier pour écrire ou les regarder s'envoler. Vous toucherez à une parole d'écrivains qui se dira une seule fois et qui résonnera ensuite dans vos oreilles. Vous ne toucherez à aucun timbre car Postes Canada veille à affranchir tous vos enveloppes quelque soit la partie du monde à laquelle vous les destinez. En gros, vous toucherez à la passion de la lettre prise dans son sens le plus large. Il y a des expositions et des spectacles et des paroles conteuses. Vous vous assoyez au pied de la lettre et du Mont Orford.