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jeudi 16 avril 2009

Trahir pour mieux traduire ?

J’ai longtemps hésité, trop, je le réalise. Là, ça y est, je me lance dans le sondage ! Vous sonder, vous mes lecteurs, toujours en rapport avec la lecture, promis, je ne vous demanderai jamais comment vous vous brossez les dents ! Vous trouverez donc régulièrement ici à droite une question "souriez, on vous sonde".

Aujourd’hui, c’est le vaste et intriguant sujet de la traduction. Je m’y arrête. Patrick Masbourian m’y aide avec sa table ronde d’où tourne trois traducteurs (Paul Gagné, Sherry Simon, Luise Von Flotow), pas toujours du même avis, voilà l’intérêt. Presque une demi-heure d'entrevue à écouter leurs voix feutrées émettre leurs opinions avec une ferme douceur. Est-ce le hasard des personnalités ou est-ce qu’il en faut une certaine pour se tenir avec bonheur à l’ombre d’une œuvre ?

Ils se tiennent à l’ombre, je ne sais pas s'ils y tiennent, mais en tout cas ils tiennent à leur nom. Et avec raison ! Pour Paul Gagné, traduisant à quatre mains avec sa conjointe, Lori St-Martin, plus de quatre œuvres par année, ce n’est pas parce qu’une bonne traduction est transparente que le nom du traducteur doit être invisible.

Pour les plus pressés, je vous offre un compte-rendu, jamais aussi fidèle qu’une bonne traduction. Je n'aurais pas les qualités d’une traductrice, je le réalise plus que jamais après l’écoute attentive de cette entrevue !

Compte-rendu télégraphique :
  • Il ne s’agirait pas de se mettre dans la peau de l’écrivain, plutôt de l’œuvre. Trouver la voix du roman. Preuve de l’impossibilité de se mettre dans la peau d’un écrivain, impossible de les remplacer dans une entrevue par exemple (ce qui leur a déjà été demandé !)
  • Des attributs pour se décrire ; aventurier, découvreur (Paul Gagné, préfère passeur). Va chercher une autre réalité, pas seulement la rapporter. Jeter des ponts, pas seulement tirer des traits d’union.
  • Est-ce qu’il faut être un bon écrivain pour bien traduire ? Non mais avoir une belle plume, oui (quelle est tant la différence … aucune mention)
  • A la question récurrente « Est-ce que traduire c’est trahir », ils tiennent à parler de perte, de déplacement mais pas de trahison.
  • Pour la définition d’une bonne traduction, il y aurait deux écoles ; invisible ou au moins transparente, ou tout le contraire, présente.
  • À la question, est-ce qu’une bonne traduction améliore l’œuvre, les opinions un peu divergentes au départ se sont ralliées : ponctuellement, mais pas de l’œuvre en général.

Saupoudrons du saugrenu :
  • On précise que ce n’est pas le mandat du traducteur d’améliorer l’œuvre. Clarifier le propos, oui, seulement si c’est tellement ambigu que le traducteur n’arrive pas à traduire. Ils doivent donc consulter l’auteur (via l’internet) et il arrive parfois que l’auteur finisse pas dire « Je ne vois pas qu’est-ce que j’ai voulu dire ! »
  • Une des traductrices va jusqu’à suggérer à des maisons d’édition des œuvres à traduire (elle va au devant des contrats !) surtout que celle-ci se spécialise dans les livres écrits par des femmes.
  • La perplexité était palpable à cette question : demander à un même traducteur de traduire la même œuvre à différentes époques, serait-elle différente ? Quel traducteur pourrait bien accepter une telle proposition ? fut la première réaction. Et puis, on a pensé à la poésie et oui, la chose s’est déjà faite, et même à plusieurs reprises pour le poème Tombeau des rois d’Anne Hébert par Frank Scott et cet échange s’est transformé en « Dialogue sur la traduction » (Bibliothèque québécoise). On peut en conclure que la langue est bien vivante puisqu'elle change à ce point !

N’oubliez pas de répondre à mon petit sondage, en haut à droite, ça me fait tellement plaisir !

25 commentaires:

Tiphaine a dit...

En fait, dans le sondage, aucune des réponses ne me convient (oups!). Je regarde le nom du traducteur, ça ne m'empêche pas de lire le livre si j'en ai envie.
Oui. Je sais faire des commentaires pertinents aussi parfois, promis la prochaine fois j'essaierai !

Venise a dit...

Tiphaine : Je le trouve pertinent ton commentaire. Tu sondes mon sondage ! Je vais tâcher de m'améliorer et offrir du choix pour tous. Je suis une sondeuse toute neuve et on ne m'a jamais sondé à savoir si je suis une bonne sondeuse ;-)

Tu vois, mon commentaire est-il si pertinent ? Peut-être même un peu impertinent. Ce qui compte est d'échanger, moi, c'est ce qui me fait plaisir. Et j'en profite pour te dire que je suis très contente que tu viennes me visiter !

Trader a dit...

J'ai étudié en traduction. Suffisamment longtemps pour comprendre que cette discipline - c'en est une au véritable sens du mot - ne me convient pas du tout. Je me serais senti dans une camisole de force à longueur de journée si je m'étais astreint à cette pratique.

Par contre, j'admire les bons traducteurs. Et un bon traducteur passe inaperçu...

Moi je tiens compte de la maison d'édition avant de me lancer. Une bonne maison d'édition est garant d'une bonne traduction.

À moins que ce ne soit Brice Matthieussent... une valeur absolue... ;)

De la part de l'intrus Trader!

Venise a dit...

À Trader mon intrus préféré : J'étais très intriguée par la vocation de traducteur (je vais jusqu'à parler de vocation). Et je dois avouer que cette table ronde a satisfait presque complètement ma curiosité qui était grande pourtant. À trois traducteurs, avec ce si bon animateur qui laisse la place qu'il faut, j'ai mieux saisi cette tâche mystérieuse. Ces écrivains de l'ombre ... la seule question qui n'a pas été fouillée est le pourquoi ils ne considèrent pas qu'ils feraient de bons écrivains. La réponse a été effleurée, et par le traducteur masculin seulement. Les dames enseignent la traduction, peut-être avaient-elles des idées différentes à ce sujet.

Ceci dit, je ne te vois pas du tout dans un métier de l'ombre, cher Trader. Tu as besoin de place, de TA place !

Trader a dit...

Mon meilleur ami est un traducteur. Et, bien évidemment, j'ai déjà abordé la question avec lui. Pourquoi ne pas écrire?

Le métier d'écrivain a ses aléas - et ils sont nombreux -, ne serait-ce qu'en raison de la difficulté à percer dans ce milieu et d'en vivre.

Cet ami a besoin de sécurité et un emploi de traducteur le lui donne. Pour sa femme et sa fille, en tout premier lieu.

Ensuite, il y a la question de la créativité. L'écrivain s'en sert comme d'un pilier dans son travail, tandis que pour le traducteur c'est un outil neutre. Un bon traducteur fera preuve de créativité pour d'autres, non pour lui-même.

Ça me fait penser à une entrevue récente à la télé sur le travail de traduction en anglais d'une oeuvre de Sartre, Huis clos. Comment le traduire? "No escape" "Closed doors"? Non. Je pense que le traducteur a choisi - avec justesse - "No way out". Je deviendrais fou s'il me fallait m'astreindre à cette discipline du mot juste. Par contre, je m'amuse avec les mots déviants, les mots inattendus, les mots perturbants, sauf que le traducteur doit respecter l'esprit du texte. Tout est là...

Je soupçonne les femmes, en moyenne, plus douées pour ce genre de travail. Généralement, elles sont plus disciplinés que les hommes, sauf mon grand ami... Une idée comme ça.

Eh bien, à l'heure actuelle chère Venise, je pratique un métier très anonyme... et j'en suis assez satisfait. ;)

Venise a dit...

@ Trader : C'est ce que je pensais, la créativité. Et le pognon, parce qu'il en faut et ça semble assez intéressant les sommes que reçoivent les traducteurs. Paul Gagné nous en a donné une idée disant qu'ils touchent des droits d'auteur à peu près seulement si ça sort du pays et quand le pourcentage du droit d'auteur dépasse la somme reçue pour leur travail initial.

Est-ce à dire que la création ça coûte cher ? Quasiment du luxe ...

Et puis "assez satisfait", c'est pas assez pour toi ça !
:)

Lucie a dit...

La traduction reste un monde unique, avec ses contraintes certes mais aussi ses plaisirs.

Tu parlais de belle plume, c'est effectivement essentiel. En fait, pour traduire adéquatement, il ne faut pas tant être parfaitement bilingue (les dictionnaires peuvent pallier à certains manques) que de maîtriser entièrement la langue d'arrivée et en comprendre les moindres subtilités.

Et si la traduction ne peut pas « améliorer » un texte (ce n'est pas le propos), elle peut certes le magnifier. Quand un texte coule de source dans la deuxième langue, on peut affirmer que le texte était suffisamment puissant en langue originale. Pour avoir beaucoup traduit (et avoir été traduite), ce constat s'est imposé de lui-même. Une chose est certaine, comme le dit le titre du livre de Jacques Poulin: « La traduction est une histoire d'amour ».

Trader a dit...

Tout à fait d'accord avec Lucie: un bon traducteur n'est pas tant bilingue que maître dans la langue de traduction, à savoir connaître sur le bout des doigts les expressions et autres outils de la langue, de manière à pallier (à) (sic: "pallier, verbe transitif direct) aux différences de structure entre les deux langues.
;)

Lucie a dit...

Ouch! En effet, elle m'a échappé celle-là. Ce que c'est de ne pas avoir assez de temps pour se relire! ;-)

Trader a dit...

T'inquiète, Lucie. L'usage est seulement critiquée, non condamnée...

;)

réjean a dit...

Venise, c'est Mavrikakis qui a gagné le prix des collégiens.

Venise a dit...

@ Lucie : Très intéressant. Tu dois être plus sévère qu'un autre quand tu lis une traduction. C'est le prix à payer pour exceller dans plusieurs domaines, on ne se contente pas de peu. Je pense à la musique aussi et surtout bien sûr ;-)

Venise a dit...

@ Trader : On a affaire à surveiller la faute d'orthographe ici ! Je vais m'en tenir à peu de mots, y a moins de risque.

Venise a dit...

@ Réjean : Est-ce que la surprise se sent de loin ?

Comme ce serait intéressant d'apprendre leur avis sur chacun des romans en lice et ainsi saisir pourquoi Le Ciel bleu de Bay City.

helenablue a dit...

Ne peut-on rapprocher cela de la musique?
Un bon interpréte est quelqu'un qui se met au service de l'oeuvre en y mettant sa sensibilité , serait-ce la même chose pour un bon traducteur?
Le traducteur n'est pas écrivain , l'interpréte n'est pas compositeur, mais pourtant l'amour des mots chez les uns et l'amour des sons chez lez autres créent des ponts.
N'est pas écrivain qui veut, ni compositeur.
Question de créativité, oui, de flamme, d'inspiration , de travail aussi.
Je dirais sans vouloir offusquer qui que ce soit , que traducteur est un métier, écrivain un don.

Oh ! J'ai répondu au sondage, chére Venise ...

Trader a dit...

HUmmm..., l'interprète met des trucs personnels dans son interprétation - des émotions et une palette bien particulière -, ce que le traduction ne peut se permettre de faire.

Mais le parallèle est intéressant.

;)

Blue a dit...

M'est avis qu'il le fait malgré lui ...
Juste une supposition.
Suis pas experte en traduction, ni en quoi que ce soit d'ailleurs...
Juste expérimentale!!
:-)

Gaétan Bouchard a dit...

Tous les beatniks ont été mal traduits: Kerouac, Ginsberg, Burroughs.

Les Français traduisent l'américain comme des pieds.

Blue a dit...

Hum, faudrait pouvoir le lire dans la langue, alors !
Bien dommage ça , qu'ils soient mal traduits !

L'intérêt d'être bilingue.
Sigh !

Pimpi a dit...

Je suis traductrice. De formation, de métier et de carrière. Je baigne dans les mots tout au long de la journée. Savoir traduire et être capable d'écrire un roman sont deux choses totalement différentes. On peut être très bon traducteur, mais être très mauvais écrivain. Il faut de l'imagination pour écrire. Il faut avoir des choses à dire...
Moi, je fais partie de celles qui pensent que la meilleure traduction est celle qu'on ne voit pas... celle qui donne l'impression que le texte a été écrit dans cette langue. Cela demande une maîtrise de sa langue maternelle assez pointue. On ne s'improvise pas traducteur. Ça demande du temps! J'en sais quelque chose! :)

Ginette a dit...

Je pensais qu'il était trop tard pour ajouter un commentaire.
J'ai décidé d'oser. On verra.

Rien ne va plus.
J’ai essayé de lire : FUGITIVES
d’Alice Munro
Ce sont des nouvelles. Elle est une auteur canadienne.
Elle écrit en anglais mais je la lis en français. Je ne saurais lire en anglais. Du moins ce serait trop long.

D’après mes recherches, elle est récipiendaire de plusieurs prix dont le prix du gouverneur général. Donc ses livres doivent être formidables à lire dans la langue d’origine mais en français...
peut-être que je lis mal. Je ne lis pas seulement pour lire une histoire. Pour moi, les mots ont de l’importance, les mots et leur alignement.

Exemples :

p. 68

Elle parle qu’elle a eu un petit accident c’est-à-dire ses menstruations.
Je n’ai rien à redire avec cela.
Alors, elle s’en va aux toilettes pour changer sa garniture

« Le visage en feu, prise de crampes, la tête lui tournant un peu, le coeur soulevé,
elle se laissa tomber sur les toilettes, ôta sa garniture trempée, ...

Quand elle se leva, elle fixa la nouvelle garniture... »

Depuis quand appelle-t-on des serviettes sanitaires des garnitures ?

J’ai vérifié le mot dans le dictionnaire, je me suis dit, il y a peut-être un sens caché.

Nada!

Et un peu plus loin cette phrase que je trouve bizarre:

« Des bretzels et des cacahuètes furent tout ce qu’elle put obtenir et elle les engloutit de telle façon que la conversation réfléchie teintée d’un peu d’esprit de contradiction qu’ils avaient eue jusqu’alors ne put reprendre. »

Est-ce que j’ai la berlue ?

Toujours est-il que j’ai écrit aux Éditions Boréal.
Je leur ai demandé s’il y avait relecture des livres après la traduction.

Je n’ai pas encore eu une réponse.

Peut-être que quelqu'un peut me répondre.

Venise a dit...

@ Ginette : Il n'est jamais trop tard pour poster un commentaire d'intérêt public :-)

Je suis contente que vous apportiez à notre attention certaines mauvaises traductions. Ces deux extraits l'illustrent bien. Ce serait tout à l'avantage de Boréal de vous répondre, une maison d'édition sérieuse. Les avez-vous contacté par courriel, par la pose ou par téléphone ?

Pour votre dernière question, oui, il y a relecture, ça fait partie des étapes avant l'impression finale. Mais peut-être que les correcteurs n'osent pas intervenir, même quand ils ont des doutes. Voyez comme garniture, vous avez quand même vérifié, des fois que ... La langue française étant complexe au point qu'il y ait d'innombrables significations à un même mot.
La dernière phrase est vraiment maladroite, je dirais emberlificotée. Ça m'écorche de la lire !

J'espère que vous nous ferez savoir si jamais vous recevez une réponse de Boréal.

Ginette a dit...

Oui, j'ai contacté Boréal par courriel.

Pour le mot garniture, j'ai même regardé dans le dictionnaire historique de la langue française.

Venise a dit...

@ Pimpi : Absolument contente de recevoir ton témoignage. Premièrement, j'apprends du coup que tu joues avec les mots toute la journée. Je t'envie en quelque sorte, malgré tout ce que j'imagine de tracas à trouver le mot juste. L'agencement de la phrase qui garde la musicalité d'un texte. Il faut être animé d'un grand respect, une écoute hors du commun, et savoir judicieusement s'effacer.

Même si j'adore jouer avec les mots, je n'ai pas les qualités susmentionnées. Sache Pimpi (j'adore ton pseudo !) que j'ai un respect infini devant le travail de traduction. Je ne dis pas devant les traducteurs puisque comme dans tous les métiers, il y en a qui ne bûchent pas suffisamment. Ce qui n'est sûrement pas ton cas (et je ne parle pas à travers du chapeau que je ne porte pas !), car j'ai déjà rencontré Pimpi. Qu'on se le dise !

Pimpi a dit...

Merci Venise, pour ton gentil mot... mon métier au quotidien est moins glorieux que ce que tu penses. Je suis quand même traductrice technique, donc je baigne dans les manuels de maintenance et les sites internet toute la journée. Le seul moment où je peux jouer vraiment avec les mots, c'est quand je dois traduire un communiqué de presse. Mais traduire est une activité difficile. J'ai un regard très très sévère sur mes traductions, même si elles sont techniques, et un regard encore plus sévère sur les traductions littéraires. La traduction dont il est question au-dessus est mauvaise. Tout simplement. Et pour une maison d'édition qui se respecte, c'est inadmissible. C'est le travail du traducteur littéraire de faire en sorte que sa présence n'influe sur le texte en aucune manière, ni en mieux, ni en pire. Et là, c'est en pire. Mais admettons que le traducteur ait dû travailler dans des conditions horribles, comme cela arrive souvent. Le travail du relecteur est de vérifier que le traducteur n'a pas fait de faute, ni de contre-sens, et que la traduction est bonne à être publiée. Il y a également eu un manque, là! Avec des romans, dont la visibilité est quand même importante, la qualité du texte doit rester l'objectif principal. Je suis sévère, je l'ai dit. J'en suis consciente! :) Mais les lecteurs le méritent, tout simplement parce que quand on achète un livre (au prix où ils sont en plus), on veut en profiter. Et une mauvaise traduction peut tout gâcher...