C’est le premier roman qui attend aussi longtemps mon commentaire. Les circonstances se sont mises de la partie oui, mais pour être tout à fait honnête, il y a aussi de l’embarras. Après un Parfum de poussière, tu as des attentes vis-à-vis un auteur. C’en est presqu’injuste ! Avoir lu « Le Cafard » en premier roman, sans aucune attente, je l’aurais peut-être encensé. Je suis absolument et entièrement ambigüe vis-à-vis ce roman. Comme s’il avait passé à un poil d’être un chef-d’œuvre.
On suit le parcours et les pensées les plus intimes d’un immigrant qui tâche de se frayer un chemin à Montréal, tout en transportant une lourde croix sur son dos. On s’y intéresse bien sûr, le talent de Hage ne s’est pas volatilisé, mais on s’y attache difficilement. Celui avec qui on a 385 pages à passer n’est pas du tout sympathique. Il est sombre et un peu dégoûtant. Je dis un « peu » et c’est quasiment pire que « beaucoup ». Quand un personnage est outrancièrement dégoûtant, on se sent à l’abri dans le fictif.
Celui à qui on doit s’intéresser entretient une relation avec les cafards dans son appartement. Il les tue ou les laisse vivre selon son humeur mais, toujours, les observe. En plus, à tout moment, il peut entrer dans ses phases « vision de cafard », des hallucinations où il devient lui-même un cafard. C’est trop trouble à mon avis. Ça dilue la force de la symbolique que de l’avoir transférée dans la réalité, parce que ces hallucinations sont des plus réelles. J'aurais préféré la subtilité de la métaphore. Hage a assez de talent pour nous faire sentir la vie misérable d’un immigré, comment il peut se sentir comme un cafard, sans le faire devenir un cafard.
Comme il a des problèmes de perceptions, on l’oblige à suivre une thérapie. Il pourrait vivre cette thérapie comme une bouée, accepter de fouiller son passé pour y rajouter une raie de lumière pour tenter de sortir de ses ténèbres. Il noircit plutôt son aidante, l’amène sous sa mire pessimiste où tout est déformé par sa méfiance. Attention, il ne laisse aucun espace au lecteur pour avoir du recul, on devient convaincu que cette psy n’est là que pour se faire donner des sensations fortes dans sa vie ennuyante.
Se comprend une telle paranoïa quand tu es un cafard, la vie peut être retirée sous n’importe quel coup de talon. On accompagne le protagoniste dans sa folie. De là un malaise. Si malaise il y a, talent il y a. Bien vrai !
N’empêche qu'une vie de cafard, ce n’est pas ragoûtant à suivre de près. Le regard part toujours de bas en haut, ne saisit aucune occasion de se hisser, se plaisant dans la saleté humide et humiliante. Aucune bonne volonté de s’en sortir. Par exemple, il possède une seule paire de bas de laine qu’il fait sécher à tous les soirs après une journée dans la gadoue. Il les enfile encore humides le matin. On pourrait dire, quelle vie de misère ! C'est sans savoir que ses premières payes iront pour sa consommation d’alcool, et même de drogue, au lieu de s’acheter une deuxième paire de bas.
Sa vie d’errance, fréquentant des immigrés aussi paumés que lui, nous est très bien décrite. L’état d’infériorité et de soumission dans lequel il est tenu par n’importe quel individu qui tient la caisse d’un restaurant aussi. J’ai aimé sa vie dans la « cave » où il devient lui-même (toujours le cafard !) avec la toute jeune fille du restaurateur.
Il y une histoire qui se trame autour des élucubrations de cet être cafardeux, et elle est intéressante, mais bien trop diluée à mon goût. Je crois sincèrement que si toute cette histoire avait été resserrée, ce roman aurait pris de l’impact. C’est son principal défaut à mon avis.
Le Cafard de Rawi Hage, aux Éditions Alto, 385 pages. Traduit de l'anglais par Sophie Voillot qui a accompli un si bon travail qu'elle a reçu le Prix du gouverneur général.
19 commentaires:
Ok, non, c'est pas du tout pour moi, ça. J'avais aimé Parfum de Poussière mais là, non. Je ne m'y risquerai pas.
Tiens, cette histoire de type halluciné se prenant pour un cafard....ça ne te rappelle rien, Venise ? Kafka, "la métamorphose"....serait-ce un clin d'oeil de l'auteur,, en même temps qu'un message ? Je n'ai pas lu, mais je pense que ta sensation de dispersion, de dilution, est sans doute justifiée. D'après ce que tu nous en dit, on dirait que l'auteur a eu le choix entre plusieurs angles pour parler du drame de l'immigrant, de son "ressenti", sans pouvoir se fixer sur un seul - d'où cette impression de flottement ?
Dans tous les cas, c'est un dépressif chronique, son personnage. Parce que quelqu'un qui "va bien", et ce, malgré les embûches du quotidien, se la serait achetée, en effet, sa deuxième paire de bas, au lieu de se vautrer dans le glauque avec tant de délectation ! Pour en avoir côtoyé, des immigrés de fraîche date, je te promets que ceux qui s'en sortent, sont ceux qui choisiraient l'option "2ème paire de bas" à l'option "saoûlographie/stupéfiants".
Un drôle de livre, en attendant, dont tu as su, comme d'hab, me rendre curieuse, en tout cas.....
Traduit de l'anglais (Canada) par Sophie Voillot
:)
Il y a des jours où je voudrais louer une chambre chez vous, avec accès à ta bibliothèque. Des jours de neige ou des nuits de lune ou des étés de petit vent, je m'assoirais, je feuilletterais tous ces livres que tu nous présentes. Je m'attarderais parfois plus longuement, je lirais attentivement ou en diagonale, je délaisserais souvent, comme ce livre que tu viens de nous présenter.
Mais je serais bien, tellement bien.
Karine:) Je crois que s'il y en a une qui se connait bien, c'est toi !
Moi, je ne dis pas ce que j'aurais envie de dire.
Semblerait bien, Anne, que Kafka en ait frappé plusieurs ! J'en ai pas parlé mais dans l'Appartement du clown, le personnage principal s'est continuellement comparé à un cafard. Et j'ai lu les 2 romans en consécutif ! Disons que j'ai eu ma dose de cafard pour un certain temps. Et ici, on parle de coquerelle ! Ce mot m'est plus familier et me donne encore plus le frisson de dégoût.
Malgré ce qui m'a dérangé le plus, la longueur, je continue à classer cet auteur parmi les grands.
Claudel : Ça a l'air tellement le fun la manière dont tu en parles ! Probablement parce que le souci du quotidien n'y est pas !
N'importe quelle bibliothèque qui est dans une autre maison a ses secrets et nous aimante.
Ginette : Vous ne le dites pas mais on l'a tous entendu !!
Volu : Un gros gros merci. Je me suis pourtant dit tout au long de ma lecture que je n'oublierai pas ce fait important. Une traduction réussie est essentielle. Je ne me serai pas vu traduire ce roman, oh que non ! Il a sa difficulté, ça parait !
Volu : Et bien entendu, l'ajout est déjà en fin de texte.
Excellente critique. Je suis entièrement d'accord... et c'est pour ça que je n'ai pas terminé la lecture de ce roman...
Andrée P
désolée mais j'ai adoré ce roman. L'ai lu deux fois avant d'en parler. Roman plein de subtilités qu'il faut savoir décoder. Étant moi-même immigrante, j'ai très bien saisi la démarche de cet homme. Et pourquoi pas un brin de surréalisme en se transformant en cafard ? Manière d'oublier sa condition de déchu... Kafka en est devenu célèbre!
Je passe mon tour. ;-)
Andrée P. Je me suis poussée à finir pour me donner la permission sans l'ombre d'un doute de commenter.
Merci de ton passage !
Dominique : Ne soyez pas désolée ! C'est bien tant mieux qu'il y ait d'autres critiques que la mienne. D'autres opinions. Si on posait tous le même regard sur les choses, ça serait bien ennuyant.
Merci beaucoup de l'avoir exprimé ici.
Suzanne : J'imagine que c'est ta Pile à lire ne va ne pas s'en plaindre ;-)
Chronique très intéressante. effectivement Parfum de poussière mettait la barre haute. Je lis Yasmina Khadra ces temps-ci, je te suggère l'attentat, mais j'aimerai connaître ton opinion sur Rachel Leclerc La patience des fantômes. On m'a offert ce livre et je vois des pubs partout. Bonne journée!
JE suis vraiment contente, Arsenul, que tu apportes à mon attention Rachel Leclerc. Je n'en avais pas du tout entendu parler. Une autre auteure québécoise à découvrir. Je suis allé voir ce qu'elle a fait et particulièrement le titre dont tu me parles, et elle me tente. Donc, je n'irais pas de reculons pour la rencontrer !
J'en reviens pas la quantité d'auteurs qui circulent. Trop de méconnus. Allez, bonne raison de continuer la mission que je me suis donnée !
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