Lettres québécoises se meurt (sans doute) et tout le monde s'en fout...
Il semble que, politico-showbiznissement parlant, on n'ait d'yeux ces temps-ci que pour le projet de loi C-32 et que l'on passe sous silence les coupures qui ont eu lieu à Patrimoine canadien. Pourtant, le geste du gouvernement Harper de retirer ses subventions à toutes revues tirant à moins de cinq mille exemplaires représente un véritable coup de massue administré directement sur les fondations même de notre culture.
Une revue comme Châtelaine a reçu en 2010 deux fois la subvention maximale (800 000$ - une fois pour sa version anglaise, une fois pour sa version française) alors que quarante-quatre des quarante-cinq revues membres de la Sodep, qui tirent à moins de cinq mille exemplaires et qui ne commandaient en moyenne que 20 000$ par année, ont été évincées du programme de Patrimoine canadien!
Quelles sont ces revues? Des revues spécialisées. Et donc, à première vue, des inutilités. Genre Espace, qui parle de sculpture. Ou Art le sabord, qui fait, entre autres, dans les arts visuels. Ou encore Lettres québécoises... C'est tout cela qui est menacé par les nouvelles dispositions du gouvernement Harper.
L'immense majorité des gens que je connais ignorent l'existence de revues comme Inter ou Esse. Mais l'immense majorité des gens que je connais se targue d’appartenir à une culture qui est propre à ce pays, distincte. Cette culture, c'est aussi, nécessairement, ces disciplines où nous devons développer notre savoir-faire, et ce savoir-faire doit avoir un lieu pour pouvoir s'épanouir. Or, ça ne saute peut-être pas instantanément aux yeux du profane, mais, pour créer un écosystème propre à cet épanouissement, il faut au Sujet certains appendices. De la même manière qu'il faut à un organisme vivant des poumons, il faut à certains milieux des revues.
Et c'est elles – ou eux, si on poursuit l’analogie - qui sont directement attaquées par le changement de régime à Patrimoine canadien.
Cette mesure fait un bien plus grand dommage aux nations francophones du Canada que n'a fait de bien la reconnaissance de la nation québécoise par le gouvernement Harper. Je parlais récemment avec Gaston Bellemare, du Festival International de poésie de Trois-Rivières, pour ma prochaine chronique « Célébration ». Ce ne sera pas dans mon article, mais le membre fondateur des Écrits des Forges m'a fait remarquer alors qu'avec ces coupures, toutes les nations étaient traitées, pour une fois, trop équitablement. « Oui, qu'on soit huit millions ou vingt-cinq millions de personnes, me disait-il, l'horizon est toujours de cinq mille copies... » (Il a avoué tout de suite que son propos, éclairant, était démagogique; pour ma part, un mois plus tard, je cherche encore ladite démagogie, mais c'est sans doute que je suis un peu idiot...)
Vous n'êtes pas un esprit chagrin. Pourtant, j'imagine déjà des gens me dire que ces revues spécialisées relèvent d'un autre siècle. Mais je ne retrouve pas ces revues (ni même sous une quelconque forme mutantifiée) sur les interwebs (où j'ai pourtant un site sur la littérature québécoise...) J'imagine ces mêmes esprits chagrins philosopher et se dire que les revues ne sont pas éternelles... Ne voient-ils pas que nous sommes pourtant en présence d'un véritable génocide culturel où toutes sont passés à la hache, sans distinction de discipline et de pertinence?
Les différentes revues touchées réagissent différemment. Certaines vont publier moins de numéros; d'autres, moins de pages et, à terme, j'imagine que plusieurs vont disparaître... À Lettres québécoises, il nous est demandé de trouver nous-mêmes, parmi nos amis, cinq nouveaux abonnés et d'en abonner un sixième de notre poche. Ainsi, les collaborateurs rempliront 25 % du nombre total de nouveaux abonnés dont la revue a besoin afin de combler le vide laissé par l'abandon des subventions fédérales.
Or, je n'ai pas d'amis. Du moins, je ne connais pas un proche qui serait intéressé à feuilleter cette revue. Tout cela est pathétique, je sais bien...
À 42$ le feuillet, il faut être un intégriste de la littérature pour écrire dans Lettres québécoises... Personnellement, si j'y écris, c'est parce que je ressens le besoin de me distancier de la Bête en moi. Je suis tombé, jadis et par hasard, dans une littérature québécoise que je méprisais d'avance et j'y suis resté parce que, finalement, je la trouve captivante. Aujourd'hui, j'appartiens à un des derniers médias (à la masse ou non) qui s'applique à diffuser le propos et l'existence de cet Art noble, et ce média est désormais à son tour menacé.
Alors je vais abonner quelqu'un de mon entourage qui ne lit pas, m'amputer ainsi un peu de mon ridicule salaire et attendre l'année prochaine, où je vais sans doute apprendre, au train ou vont les choses, que ma revue cessera ses activités...
D'ici là, j'aimerais que les gens comprennent que leur pays, quel qu'il soit, ne peut exister sans un soutien minimal de l'État aux institutions culturelles, aussi bête et plate une telle assertion puisse-t-elle être. Et, du même coup, j'aimerais que le gens comprennent que la position du gouvernement Harper se résume à : « Si vous croyez en votre nation, soutenez vous-mêmes votre culture, parce que votre gouvernement ne le fera plus pour vous ».
C'est un ultimatum.
Ce que le Georges W. Bush du Nord nous dit est donc : « Vous êtes avec votre culture ou vous êtes contre votre culture! » « Acheter, c'est voter », disait Laure Waridel.
« Acheter, ce n'est d'abord qu'exister », répond sinistrement Stephen Harper.
C'est dire que, si vous vous aimez, vous vous devez maintenant d'acheter une revue culturelle, en plus de toutes vos autres obligations ordinaires.
Je sais ce que vous pensez, je pense pareil.
Sébastien Lavoie
Chroniqueur Lettres Québécoises
* * *
Je me suis informée ce matin, on prend encore des abonnements à 20 $ pour l'année (au lieu de 30 $) - 4 numéros. Une revue d'une telle qualité ... pensez-y !
Un nombre important de revues sont dans le même cas, c'est à dire en mode survie, avec le manque à gagner (moins de 5000 abonnés) : vous trouverez certains titres sur le site : La lecture en Revues.
17 commentaires:
c'est terrible cette façon d'assécher la culture d'un pays ! c'est impensable ! 20$ pour l'année, c'est pas cher le numéro, en plus, bon sang ! Faut que les gens s'y abonnent, quitte à le ranger au p'tit coin (même s'il m"rite mieux !)...vu que c'est souvent là qu'on fait les plus grandes découvertes, mine de rien......j'en ai lu, des trucs, chez les copains, pendant le...temps moral, et y a pas mal de fois où j'ai fait de jolies lectures.....:)
ça peut heurter, mais...pensez à mettre de la bonne littérature, dans cet endroit. Vous serez bien mieux inspirés que vous ne pensez !
@anne
Je ne sais pas si je trouve cela drôle.
Depuis le temps que l'on se bat...
Je trouve cette situation très triste.
En tout cas, on saura pour qui NE PAS VOTER.
@ Ginette : Ce n'est pas une moquerie du tout. Je le dis certes assez espièglement, mais ce n'est pas de la dérision. Si certains relèguent là ce qu'ils ne veulent pas voir dans leur salon, ils ont tort. Car c'est là, finalement, qu'on rêvasse et qu'on....s'ennuie, aussi. Alors, prendre machinalement un truc à lire....et oublier soudain tout parce qu'on est captivé....pour moi, ce qui est basse qualité, ça se jette, tout bonnement. C'est assez difficile à comprendre, je l'accorde, comme point de vue, mais je crois qu'aucun endroit n'est indigne de la bonne littérature.
Et il faut continuer de vous battre. Partout, les "petites" (de par le tirage....) revues de qualité sont aux abois. Partout, il y a des gens qui s'acharnent à les faire vivre, à les diffuser, qui y écrivent, et souvent très bien. Mes revues, quand j'en achète, d'abord je les lis - puis je les range "là", là où ça semble si insultant de les placer....et ? les gens qui viennent chez moi, parfois, s'isolent. Prennent un titre machinalement...et.....lisent, ma foi. Lisent ! n'est-ce pas ce qui importe, avant tout ? Ici. Ou là. Mais que ce soit lu. Chez moi, même "là", ça mérite des lectures intéressantes. Il n'y faut voir aucun mépris, surtout.
Et, acharnez-vous à faire vivre VOS revues de qualité. C'est nécessaire.
Oh! que tu me fais réfléchir! J'ai déjà été abonnée à cette revue que j'aimais beaucoup.
Ça me touche de près. Pour changer le monde, je n'ai que mon droit de vote, et mes pauvres petits mots sans poids, est-ce que ce sera suffisant?
La culture, décidément n'est pas un produit comme les autres.
C'est sûr, Anne, qu'on se débat. Le gouvernement canadien n'a certainement pas la culture dans ses priorités. Dans aucun "petit coin" de sa vie d'ailleurs.
Si ce Harper et son équipe peut juste servir à ce qu'on réalise jusqu'à quel point, elle est importante notre culture, il aura eu son utilité !
Ginette : C'est sûr qu'on ne trouve pas ça drôle et je connais assez Anne pour savoir qu'elle ne trouve pas ça drôle du tout.
J'ai jamais eu autant hâte aux élections fédérales. Un quatre ans qui est très long.
ClaudeL : En ce moment, si tu aimes cette revue, tu as une manière concrète de mettre ton poids dans la balance : 20 $ au lieu de 30 $. C'est le temps d'en profiter et de faire profiter Lettres québécoises, pour qui c'est une question de survie.
Merci de faire écho à ma lettre, dame Landry. À voir mon texte dans votre blogue littéraire, je m’en veux toutefois de n’avoir pas nommément nommé les autres revues littéraires affectées par ces mesures. Ne soyons pas égoïste, sont touchées aussi :
-ENTRE LES LIGNES
-LES CAHIERS DE LECTURE
-LIVRE D'ICI
-LURELU
-SPIRALE
Je me suis fait dire, c'est à prendre au conditionnel, que NUIT BLANCHE serait épargnée; ce serait la seule des 45 revues à tirer à plus de 5000 exemplaires… Mais, dans les faits, je n’en sais rien, ils sont peut-être touchés aussi.
Sébastien : Très contente que vous ayez rajouté le nom d'autres revues. Ça tombe bien, et j'en parlais justement en coulisses, parce que oui, aussitôt qu'il y a une scène, il y a des coulisses, que je regrettais d'avoir omis le lien que vous aviez ajouté menant à d'autres revues qui sont dans la même situation que Lettres québécoises. Ça rapetisse un peu trop la problématique qui s'étend pourtant largement.
Ça y est, c'est fait, j'ai rajouté dans mon billet le lien vers la "Culture en Revues", qui donne un excellent aperçu de plusieurs revues à petits tirages.
Ohlala, Venise, merci de publier ce texte. Je n'étais pas du tout au courant. Je collabore à Lurelu, que je juge importante... et je m'en vais de ce pas voir ce qu'on peut faire pour aider sa survie.
Merci de "passer le mot"!
Andrée
Andrée P. Tu sais combien c'est valorisant de passer le mot quand certaines causes nous tiennent à coeur. Tu le fais très bien toi-même.
@ Sébastien : Nuit Blanche ne tire pas à plus de 5000 exemplaires, je confirme. Et le public ne dépasse par les 2000 lecteurs. Et je suis généreux.
J'ignorais ce déplorable changement. Merci pour l'information. Espérons que les gens voteront deux fois : en s'abonnant, puis en se rendant aux urnes le moment venu.
Marie-Josée : Oh que c'est bien dit !
J'admire.
J'ai rajouté votre blogue à ma liste.
Merci Venise!
Si c'est possible Sébastien, je passerais le mot aussi! (nous sommes quand même sur le passe-mot et j'ai un blogue pardi!) Ais-je la permission? ;-) J'avais reçu cette invitation "20$ au lieu de 30$" il y a quelques mois, mais je crois qu'elle s'est perdue dans ma boîte de réception, merci de me rappeler à l'ordre. Et je seconde Ginette : on saura pour qui NE PAS VOTER!
Publier un commentaire