Anne-Marie Sicotte m’a marquée avec les trois tomes des Accoucheuses, pour ainsi dire mon initiation au genre historique. J’y ai appris l’histoire des sages-femmes à travers les âges en m’attachant à des personnages dont je conserve un net souvenir. Une fois qu’une auteure nous a procuré une telle expérience, on tend la main vers le prochain les yeux fermés. Eh bien, cette fois, j’ai abandonné ma lecture à la moitié du bouquin (p. 245).
Le passé nous arrive transformé selon le regard qui l’interprète : « Notre histoire a été en grande partie écrite et transmise par le clergé qui avait très peu d’affinités avec les Patriotes, pour la plupart anticléricaux » indique la romancière dans une entrevue. Pendant trois ans, elle a approfondi les faits historiques des années 1827, cette période de résistance préparant la rébellion des Patriotes. C’est la trame de fond du quotidien de Vitaline et de sa famille immédiate : son père, maître potier considéré, sa grand-mère, judicieuse maîtresse de maison remplaçant sa fille affublée d’une lassitude extrême et son jeune frère étudiant au Collège de Montréal. Ils sont tous impliqués jusqu'au cou par la question politique, l’entourage et le voisinage également.
Qu’est-ce qui a fait que ma patience a atteint ses limites ? La complexité de la situation politique, ses infimes rouages, sa palette de politiciens hiérarchisés, m’ont embrouillée par mon manque de connaissance de la répartition du pouvoir à cette époque. Le pointilleux de l’histoire a fini par éclipser la pertinence des personnages. J’aime les dialogues touffus, mais l’impression que l’on me donne une leçon d’histoire plus que l’on me raconte une histoire s’est accentuée au fil des pages. Les personnages ont fini par m’apparaître comme des marionnettes mises au service de la vérité historique. J’ouvre au hasard pour vous, lisez cette réplique adressée à Gilbert, 12 ans :
« Rentre-toi une chose dans le cabochon, p’tit... je veux dire, Gilbert. Les Canadiens qui nous ont précédés, pis ceux qui avaient le moindrement d’instruction, y ont compris que la Conquête par les Anglais leur faisait un cadeau sans prix. Lequel ? Celui d’une Constitution qui offrait la liberté à chacun de ses citoyens. Cette Constitution, elle les a fait passer de sujets, victimes de l’arbitraire, à citoyens anglais protégés par l’éventail des lois les plus justes et les plus avancées de toute la planète. Et Gilbert, de répliquer : « C’est à la chambre d’Assemblée que le pays doit ce régime libéral !
Voilà qui était une parcelle des innombrables dialogues échangés à toute heure du jour.
D'un vif désir de mettre au présent la vérité du passé est né ce texte chargé où j’ai fini par me demander si je lisais un traité d’histoire déguisé en roman. Ça m’énervait d’autant plus que je me suis spontanément attachée à cette Vitaline, jeune femme forte et ambitieuse comme dans Les Accoucheuses. Que j’étais intriguée par les relations entre les membres de cette famille. Que j’aimais leur langage typé, très « Nouvelle-France ». A.M. Sicotte confie avoir voulu refléter le rythme d’antan. L’intention est louable et en présence de scènes quotidiennes, c’est assez réussi, mais aussitôt que se lève le vent politique, et il souffle fort et fréquemment croyez-moi, le rythme s’alourdit par un trop-plein d’informations glissées dans n’importe quelle bouche même de bas âge. Tout en considérant la maturité des jeunes de l’époque, leur crédibilité est ébranlé. Ils échangent entre eux, et même dans la banalité du quotidien, un langage aussi savant que le plus averti des politiciens. Quand il s'est agit de doyens s’entretenant entre eux, ou de politiciens, j’arrivais à y voir plus de naturel.
C’est cependant l’histoire idéale pour réaliser que ce soit au 19e siècle ou maintenant, la nature humaine au pouvoir, c’est facile à corrompre comme de la ferraille au dépotoir. Ce roman a pêché par un trop grand souci de vérité historique, à mon avis. Il est à mettre, soit entre les mains de personnes férues du temps des Patriotes ou de celles qui ont, et le goût et le temps de s’informer sur l’histoire, simultanément à leur lecture. Comme je n’ai jamais étudié, à ce point, les rouages pointus de notre politique actuelle, je ne suis pas la clientèle cible.
Je vous laisse sur ces mots d’Anne-Marie Sicotte :
Mais moi, je m’en tiens aux faits. Personne ne peut me dire que je dis des médisances et que ce n’est pas fondé. Dans ce cas, je répondrais que telle chose est écrite dans la Montréal Gazette de 1831, et telle autre aussi»
Le pays insoumis - tome 1 : Les chevaliers de la croix, Anne-Marie Sicotte, VLB Éditeur, 587 p.
8 commentaires:
C'est quand même un long billet pour un livre abandonné! :) Je ne suis jamais allée plus loin que le premier tome pour Les accoucheuses, je ne pense pas tenter la lecture de celui-ci!
Et bien, ton avis me confirme que j'ai bien fait de ne pas le prendre lors de ma dernière virée en bibliothèque. J'aurais dû aussi ne pas prendre «Flora, une femme parmi les patriotes T1 de Mylène Pion». Je viens de l'abandonner et je n'ai même pas envie d'en parler sur mon blogue tellement j'ai trouvé ce que j'ai lu d'un ennui mortel!
Est-ce possible que certains romans soient plus pour les hommes? Faudrait savoir si...
La fureur et l'enchantement de Georges-Hébert Germain m'avait fait cet effet aussi.
De plus, peut-être que le succès des Accoucheuses a permis à l'éditeur d'être moins sévère pour celui-ci, ou peut-être juste parce qu'il aurait aimé, lui, en tant qu'homme.
De toute façon, ce n'est parce qu'on ne finit pas un livre qu'il est pas bon, il ne nous convient pas, c'est tout.
Moi aussi j'avais aimé le premier volume mais les autres je les ai lus en diagonale.
Jules : C'est vrai qu'il est long, et il était encore plus long, je l'ai coupé !!
Ce roman comporte tellement de travail, et j'aime cette auteure, alors j'imagine qu'il y a un petit fond de question "N'aurais-je pas pu me forcer un peu plus et le terminer ?".
@ Suzan : Au moins, je pouvais en parler ! Il m'est arrivé d'en abandonner sans jamais en parler et d'applaudir au fait que personne ne l'ait remarqué, vu que j'annonce mes lectures sur ma marge droite. Fiou ...
ClaudeL : Ton dernier paragraphe dit tout. Je m'emploie à ne jamais oublié cette sentence.
Ginette : Vous parlez des Accoucheuses j'imagine ? Je vais le redire ici, le deuxième tome avait des répétitions mais une fois dépassé cette stagnation, notre patience était récompensé par le troisième tome que j'ai aimé. Mais jamais autant que le premier il est vrai.
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