Un titre qui m’attirait sans que je comprenne exactement pourquoi. J’aurais pu me contenter de l’émission « Tout le monde en parlait », où l’on s’est souvenu collectivement de la bière qui tue. Cette période de huit mois durant les années 1965-66 où des patients se présentaient à l’Hôtel-Dieu de Québec avec tous les mêmes symptômes et la même position. Quoi de plus mystérieux que 48 cas de maladie cardiaque, dont 20 morts (44%), en un si court laps de temps, dans la ville de Québec, chez de gros buveurs de bière d'une marque en particulier. Une voix me poussait à lire ce roman signé de la main même du cardiologue qui a traité ces cas. Je sentais que j’y découvrirais les dessous de cette affaire qui m'apparaissait encore nébuleuse. Je m’en félicite aujourd’hui ! J’ai trouvé ce livre pas moins que passionnant. Le médecin qui a soigné « Les cœurs tigrés » en avait long dire, il en avait gros sur le cœur.
Tout l’intérêt vient que le cardiologue Yves Morin a su présenter cette histoire, basée sur des faits vérifiables, sous l’angle du roman. Ce qui n’empêche pas que le texte soit parfois parsemé d’explications médicales assez pointues, mais toutes accessibles de la bouche de ce médecin habitué d’expliquer en langue simple. Ça laisse aussi supposer qu’il a assimilé, songé, mijoté sa matière à un point qui laisse entendre que cet empoissonnement collectif a hanté ses jours et ses nuits. Le fait qu’il connaisse l’histoire sur le bout de ses doigts a élevé son art de la raconter aussi haut qu'un conteur à la langue déliée, y ajoutant des rasades de mauvais sang qu’il s’est fait à cette époque. En tous les cas, si vous ne comprenez pas instantanément les explications médicales, elles reviendront, soyez-en certains. On pourrait reprocher les répétitions. À certains moments, on aurait pu ne pas exposer de nouveau au lecteur ce qu’il savait déjà parce qu’un nouveau personnage avait besoin d’explications. Personnellement, j’ai pris le parti de lire rapidement à ce moment-là.
En fermant cette couverture, vous saurez toute, toute la vérité, et plus encore. Le « plus encore » est tout aussi intéressant et est tiré de 1665, cette année où un premier médecin, Jean de Bonamour, a mis les pieds en Nouvelle-France, accueilli par l’intendant Jean Talon. Ce dernier aurait inauguré une brasserie à laquelle il tenait beaucoup. La consommation de la bière évitait celle de l’eau-de-vie qui faisait des ravages chez les hommes qui s’y adonnaient alors. Un parallèle est ingénieusement tiré et le phénomène de la bière qui tue éclipse « trois siècles » sous notre nez. Une manière habile de mettre l’emphase sur le fait qu’une erreur non élucidée a tendance à se perpétuer.
Nous nous promenons donc de l’an 1965 à l’an 1665, accomplissant ce gigantesque bond à l’intérieur du petit bureau de la sœur Augustine en chef, sœur Ste-Geneviève de l’Hôtel-Dieu. Des bilans sporadiques (chapitres nommés « petit entretien) entre le cardiologue et la clairvoyante sœur Ste-Geneviève serviront de prétextes pour nous raconter l’histoire du docteur Jean de Bonamour, encore plus isolé dans son combat contre l’ignorance, que ne le fut le docteur Yves Morin.
Me voici maintenant plus savante sur les mœurs médicales du 17e siècle, de l’usage des herbes cultivées dans un jardin attenant à l’hôpital L’Hôtel-Dieu ou sur la côte Sillery, par exemple. Comme cette histoire occupe pas loin de la moitié du roman, j’ai été heureuse de m’y intéresser autant qu’aux années 1965. Bien sûr, la lectrice n’était pas dupe, il est peu plausible que la religieuse ait raconté cette longue et détaillée histoire durant de tels entretiens, mais la matière est si captivante que l’on se prête volontiers à cette astuce d’auteur.
Sur la quatrième de couverture, on parle d’un « roman historique aux allures de thriller médical » et je ne trouve pas l’assertion trop forte. Le suspense est précieusement conservé, l’auteur nous tient en haleine. Chaque voile occultant la réalité est soulevé progressivement par d’honnêtes et consciencieux hommes de science. Ils forment un petit escadron isolé puisqu’ils doivent garder secrète leur découverte, jusqu’à ce que les preuves soient irréfutables. Une nouvelle maladie qui, soit dit en passant, sera nommé cardiomyopathie des buveurs de bière québécois, ne nait pas officiellement en criant seulement « bistouri » !
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Je découvre à l'instant que la Librairie Vaugeois a sorti son commentaire pour ainsi dire en même temps que le mien. Ça vaut la mention !
14 commentaires:
Un autre titre à ajouter à ma liste déjà grande.
Sur ma liste depuis quelques jours. Je vais le lire c'est assuré. Mais ouf, quel beau billet! Merci dame Venise.
Ce que tu en dis me donne vraiment le goût de lire ce roman. D'autant que ça intéresserait mon doux-précieux. Vendu ! ;)
Ginette : Vous ne pouvez décidément pas passer à côté de ce volume.
@Suzan J'avoue avoir travaillé fort sur celui-ci. Un tel livre ne se traite pas comme un roman. Je tenais à bien situer les personnes qui entendent parler de cette histoire pour la première fois de leur vie.
@Sylvie : Un deux pour un alors ! Je le recommande chaudement, sans l'ombre d'une hésitation.
Ah oui, j'avais entendu parler de cette "bière qui tue" - il y a quelque chose là-dessus, sur wikipédia je crois, ou est-ce ailleurs que j'ai lu un long article à ce sujet ? oh, ce livre doit être passionnant !
Avec tout le côté 1665, il me tente encore plus, ce livre dont tu m'as tant parlé! Très bon billet, bravo!
Ce n'est pas un roman à priori facile, il faut d'abord passer les 100 premières pages où je me demandais où tout cela allait. Mais une fois ce cap franchi, je me suis laissée embarquer par l'histoire. Je tournais assez avidement les pages parce que je voulais savoir ce qui arriverait. J'avais vu le reportage à Tout le monde en parlait, mais j'étais restée sur ma faim. Je suis contente d'avoir pu connaître le fin mot de cette histoire. Et comme j'adore l'histoire et la médecine j'ai aussi beaucoup aimé la partie de 1665. J'ai eu quelques frissons en pensant aux "magouilles" de ces brasseurs de bière qui avaient ajouté cet additif mortel et à l'espèce de conspiration avec le gouvernement fédéral qui existait alors. Autre temps, autres moeurs? Je l'espère très fortement. Bref, un roman passionnant et instructif, malgré le premier abord.
@Anne : Il y a vraiment pas grand'chose qui t'échappe ! Oui, c'est passionnant.
PG Luneau : Peut-être te décideras-tu à le lire le jour où tu auras du temps. Mais auparavant, Le pays insoumis d'Anne-Marie Sicotte t'attend. Et bien entendu, tu seras un invité d'honneur du Passe-Mot, ton commentaire de lecture y sera publié.
@Opaline : Merci pour ton commentaire de lecture. C'est intéressant plusieurs avis, c'est un privilège pour les lecteurs, l'éditeur, l'auteur.
Perso, je n'ai pas éprouvé ce cap des 100 premières pages. J'ai tout de suite été intriguée.
Je partage tout à fait l’engouement pour ce livre que j’ai trouvé non seulement intéressant, mais fort bien écrit. Ce docteur Morin a vraiment tous les talents! J’ai été captivée d’emblée. Et s’il est vrai que passé la moitié du livre, j’ai moi aussi lu en diagonale certains passages redondants, c’est parce que je m’exaspérais que ça n’aille pas plus vite! Bravo à l’auteur et à sa passeuse de mots!
N'est-ce pas, Danielle ? C'en est presque surprenant. Je ne veux pas diffamer les médecins, mais ils n'ont certainement pas tous ce talent d'écrivain. Par contre, je tiens à préciser que ce médecin a eu un excellent directeur littéraire qui s'implique énormément dans cette maison d'édition. Ah, ces travailleurs de l'ombre ...
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