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dimanche 10 mars 2013

Un léger désir de rouge - Hélène Lépine

Toulouse n’est pas une ville, dans ce roman, c’est une trapéziste de vingt-huit ans. Malheur : atteinte d’un cancer du sein invasif, elle doit passer sous le bistouri. Horreur : son amoureux et compagnon d’acrobaties l’abandonne après l’ablation. Trois pertes à assimiler : la carrière de trapéziste, la vie de couple, et un corps complet.

Où se réfugier ? Où retourne-t-on quand la vie est trop dure ? Dans la maison de son enfance ? Mais on n’y trouve pas toujours du réconfort, ça dépend de ce qu’a été notre enfance. Toulouse l’écrira avec des mots qui sentent la rancœur à plein nez, son enfance n’a pas été souriante. Elle en veut à ses parents de leur avoir offert, à ses frères et sœurs, l’absence, qu’elle a reçue en plein cœur « vous n’êtes pas assez importants pour que l’on arrête de voyager à travers le monde ».

Écrire un journal est un geste de repli sur soi, presque une nécessité en période intense de deuils. Ces confidences, Toulouse les adressera à Mamboula, un nom qu’elle a inventé, un être qui habiterait Casamance au Sénégal. La jeune femme en traitements de chimiothérapie doit enterrer sa vie de jadis. La grosse question qui sous-tend toutes les autres : a-t-elle encore le désir de vivre ? Pour désirer renaitre, il faut choisir de nouveau la vie. Elle doit se refaire, pas une beauté, une vie, autant physique que psychologique.

Ce journal nous fait suivre un pèlerinage ardu, douloureux, initiatique. Avoir besoin de s’inventer d’autres yeux pour voir la réalité d’une autre manière. Elle renoue avec ses souvenirs, par sa sœur et son frère qui résident encore la maison. Ce dernier est atteint de problèmes psychologiques sévères, et sa sœur et elle, sont en conflit. Rien qui puisse encourager le rebond d’une personne qui se bat pour la vie. Elle fuira les souvenirs qui affluent, partira camper dans le bois, reviendra, toujours aussi mal dans sa peau. Elle aborde la question de sa famille désunie, peu de solidarité, surtout du silence. Bien pire, un frère violent semble lui en vouloir d’habiter la maison des parents. Toulouse écrit ses émotions pour tenter de transcender sa douleur, voir plus clair, elle ira vers la sérénité d’une compagne de traitement, celle-ci pourtant plus amochée qu’elle.

Hélène Lépine aborde une réalité dure, sombre, contraignante, avec un style aux fortes empreintes poétiques qui appellerait normalement la sérénité si les circonstances n’étaient pas si étouffantes et le destin si lourd. J’ai fini par vouloir m’en échapper. Une si jeune femme, vivant trois deuils de cette ampleur qui doit se débrouiller sans compassion, sans appui, et même, tout au contraire, de l'hostilité. La lectrice que je suis avec ses humeurs du moment a éprouvé un vif désir de rouge. Un désir de vie, de lumière. J’étouffais, prête à me rendre les mains liées, détachez-moi, j’en ai assez lu. Un détail, mais qui ne m’a aidée, je me suis lassé de l’interpellation, « Mamboula » revenant inlassablement dans le texte, comme un mantra. À mes oreilles, cette interpellation a fini par frapper comme une plainte sur le mur des lamentations.

J’ai donc vécu une situation inconfortable : admirer cette prose poétique extra lucide, en même temps qu’opposer une résistance au côté affligeant du propos.

Je ne voudrais cependant pas laisser supposer que l’histoire stagne dans la mare du malheur, Toulouse évolue à travers ses cris et ses écrits, mais j’ai eu de la difficulté à m’en sortir, plus que le personnage, semblerait-il.

Danielle Laurin - Le Devoir fait un recensement admirable de ce titre qu'elle a apprécié.

Finaliste du Prix France-Québec

6 commentaires:

Julie GravelR a dit...

Bonjour Venise!
C'est si étrange comme on peut diverger d'opinion lors d'une lecture! Moi, je me suis laissée bercer par cette histoire toute en poésie et par le fleuve gris sous les glaces. J'ai surtout beaucoup aimé le personnage de Blanche, si sereine. Et l'ami jardinier, Ulysse. Et pour ma part, les lettres à Moumbala sont ce qui m'a le plus agacée. J'en aurais eu assez de l'histoire elle-même.

J'ai lu ce livre à la fin de l'été et je me promets une critique dans les jours qui viennent (il est temps!). On pourra comparer nos points de vue!

Bises affectueuses, ma chère!

Venise a dit...

Julie : Nous nous en sommes déjà parlés, et je gardais bien en mémoire combien tu avais aimé, aussi, tu me vois très heureuse que tu ne viennes le dire ici. En fait, je l'espérais ! Ça confirme jusqu'à quel point les regards sur une histoire divergent.

anne des ocreries a dit...

trapéziste, jeune, cancéreuse, larguée : pas assez crédible pour moi, on a l'impression (fausse ?) que l'auteur a choisi d'emblée la situation improbable pour nous parler son texte - trop de pathos ? Pas sûre d'être tentée...mais ça se peut que, tombant dessus en librairie, je le feuillette un bout quand même, pour voir si des fois....

Julie GravelR a dit...

Voilà enfin ma propre critique, chère Venise!
J'ai eu sans doute plus de plaisir avec cette écriture que toi... Ayant lu deux fois plutôt qu'une ce roman!
Bises!

http://soleildencrier.canalblog.com/archives/2013/03/13/26643467.html

amicalsupport a dit...

C'est bien écrit. Prendre encore le temps d'écrire, lentement...

Unknown a dit...

Est-ce que ça tient au fait que j’ai tout d’abord cru que Toulouse venait du Sénégal qu’il m’a semblé retrouver une rythmique et une musicalité propres à la prose africaine tout au long de ce récit ? Une écriture tirée de l’oralité, où chaque mot, chaque expression est pensée pour faire image et durer longtemps. Une esthétique particulière qui substitue la relation conteur/public, à la relation auteur/lecteur, dans des propos tels que : « Moumbala, je ne me lamente pas. Je dis ce que savent ceux qui ont chaviré, qui auraient préféré mourir et retrouvent un paysage délavé. Il faut l’apprivoiser ainsi, sans nuances, sans coloris. Parfois me vient un léger désir de rouge. Alors mes doigts se posent sur le comptoir et effleure la farine du jour nouveau qui veut lever. Qui ne lève pas. » Parce que celle qui s’était rabattue sur le corps comme seule source de savoir, ne sait plus, depuis que ce corps l’a trahie. Viendront heureusement se greffer quelques êtres humainement doués pour raviver ses couleurs…