Vous vous souvenez combien j’ai aimé « De père en fille » de Louise Simard et Jean-Pierre Wilhelmy ? Sarah est du même auteur mais, cette fois, la co-auteure est sa fille. Je m’étais alors interrogé, en lisant le billet Balades entres les lignes chez Suzanne, de la différence entre les deux romans. J’ai maintenant la réponse. Avec Sarah, le siècle est plus avancé, nous sommes autour de 1885 et l’histoire nous rappelle que la ville de Montréal a passé à travers un calvaire : la pire épidémie du Québec, la variole. La similitude avec De père en fille serait des thèmes communs : la persistante rivalité entre anglophones et francophones et le défi des femmes à devenir médecin.
Sarah, une femme, Canadienne française de surcroît vise les études en médecine. En partant, plusieurs entraves, et s’y ajoute les réticences de sa propre mère qui refuse la vocation de sa fille, et pas seulement parce que les études en médecine sont hors de leurs moyens. Sarah devra faire preuve d’une grande force de caractère pour quitter la campagne et aller poursuivre ses études en médecine à Montréal. Elle sera accueillie chez les parents anglophones de son amie, Esther qui, elle aussi étudie en médecine. Sarah exige d’être plus que parfaite pour ne pas décevoir sa grand-mère qui a devancé son héritage pour payer ses études.
En même temps que Sarah et Esther, nous suivrons deux frères nés d’un médecin réputé, riche et puissant ; un anglophone. La médecine est pour lui une affaire de pouvoir, c’est un despote, même avec ses fils qu’il élève seul. Un autre médecin, celui-ci francophone, père de famille et tendre époux. C’est le médecin de la pure vocation qui ne vit que pour la guérison même des moins bien nantis. Il est dévoué, humain, compréhensif ; un francophone. De ce fort contraste (noir et blanc) entre le médecin anglophone et francophone, s’en ajoute un autre, cette fois entre les propres fils du médecin anglophone. Un des fils est confiant, généreux, honnête tandis que l’autre est tout son contraire, malhonnête, hypocrite et d’une jalousie maladive vis-à-vis son frère, beaucoup plus apprécié par son père. Les deux deviendront médecins. Un autre personnage de médecin est en jeu, dont je vous révélerai peu, même pas son sexe, pour respecter son mystère qui étonne grandement et qui donne tout son sens au roman. Et n’est même pas encore entré en scène ce que je considère un personnage à part entière, la variole. Nous suivrons l’évolution de la maladie dans ses moindres détails, en même temps que l’implantation du premier bureau de santé de la ville de Montréal. Avec ces personnages typés et une catastrophe imminente, il y a de quoi vivre des rebondissements.
Le côté historique du roman m’a plu. J’ai plongé allègrement dans les aléas de cette épidémie de la variole qui m’est apparue fort bien documentée. Son évolution, parce que bien racontée est passionnante à suivre. L’injustice vis-à-vis les canadiens français, accusés de tous les maux, dont la variole, est on ne peut plus clairement démontrée et à plusieurs égards. Les croyances religieuses enferment les canadiens français dans un carcan d’étroitesse d’esprit lamentable à voir, le spectacle de la pauvreté est insoutenable. Il est captivant de constater jusqu’à quel point les journaux usait de leur pouvoir en cette période de crise où la paix entre Canadiens anglais et Canadiens français se trouble au fur et à mesure que la variole envahit la grande cité.
Cette Histoire avec son grand H contient une histoire d’amour que l’on découvre dès les premiers chapitres. Le scénario de la relation amoureuse ressemble à bien d’autres, avec ses péripéties d’usage : fusion, malentendu, obstacle, perte, éclaircissement. J’embarque facilement dans le genre, quand c’est bien raconté, et c’est le cas. Mais mon vif intérêt m’a joué un tour, l’histoire d’amour se dénouant et se concluant avant la fin, une tension tombe, ce qui a diminué mon intérêt pour les dernières affres de la variole. Vu que l’histoire d’amour de Sarah est forte et intense, il aurait été plus intéressant qu’elle suive de près l’évolution de la variole. Voilà ce qui me fait dire que la variole tient lieu de personnage principal.
Si vous ne vous formalisez pas devant quelques personnages tout noirs ou tout blancs, vous apprécierez ce pan de notre histoire, tant il contient de rebondissements complexes et dramatiques qui ont certainement déposé leurs marques sur notre peau collective.
3 commentaires:
Les personnages ne sont-ils pas manichéens jusqu'à la caricature ? Une question que je me pose ; l'ouvrage suscite néanmoins mon intérêt.
L’histoire se lit bien, même si j’ai parfois eu le sentiment de piétiner un peu, sous les multiples coups fourrés et manipulations du perfide Edward. J’ai aussi regretté que le titre se justifie autant, car bien qu’on ait amorcé le récit en mettant la lumière sur le désir de Sarah d’être médecin, elle est bien vite éclipsée par tous ces docteurs, journalistes, harangueurs, détracteurs, politiciens et autres agitateurs mâles, qui n’en finissent plus de s’exciter les uns contre les autres, alors que la variole décime le peuple par centaines dans les bas quartiers.
Le combat féministe est donc nettement dilué au profit du conflit séculier opposant les anglais aux français, les premiers accusant les seconds de propager la variole par leur insalubrité et leur refus de subir la vaccination, tandis qu’à plus large échelle, l’affaire Riel continue d’attiser les affrontements.
Bien d'accord avec toi, Danielle, que Sarah est à l'ombre, pas seulement des hommes, mais également de l'histoire elle-même.
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