Les portes closes s’ouvrent sur les secrets d’un couple, Philippe et Catherine. Philippe est le personnage vedette du couple, peintre renommé et indépendant de fortune. Catherine, peintre elle aussi, se fait discrète. Ses toiles représentent des natures mortes, celles de Philippe éclatent de vie, de celles de femmes radieuses de beauté. Ses modèles, il en tire le meilleur, capture leur âme, les consomme, puis les jettent. Il leur indique la porte et elles ne reviennent pas.
Catherine a donné la vie en mettant au monde trois filles et a payé le prix de ce choix. Philippe n’en désirant pas vraiment (peut-être parce qu’il crée la vie en passant par ses tableaux), c’est Catherine qui en a principalement assuré la responsabilité. Elle a dû retrancher plusieurs heures de sa création pour les élever et accomplir les tâches ménagères, dont la préparation des repas, dont elle s’occupe encore, même les enfants partis.
Lori Saint-Martin nous ouvre les portes closes de chacun des ateliers d’artiste, celui de Philippe qui reçoit ses modèles et celui de Catherine, dans lequel n’entre habituellement personne. Précisons un fait important, les deux ateliers sont sous le toit de leur spacieuse résidence.
À tour de chapitre, Philippe et Catherine se confient au mode « je », comme à un journal. Le lecteur arpentera ainsi trente-cinq années de vie d’un couple partageant le même toit, le même travail, les mêmes enfants. La juxtaposition de ces deux visions est une manière captivante de dévoiler, pelure par pelure, la vie d’un ménage qui a persisté malgré la proximité. Jusqu’où doit s’étendre le jardin secret de personnes vivant si près une de l’autre ? Ce roman aborde de près les limites de l’intimité dans un couple.
Le roman est mené d’une main de maître, un striptease lent et efficace du couple, aux yeux du lecteur uniquement ; si Philippe lisait ce que Catherine écrit, le couple éclaterait-il ? Même question du côté de Catherine. Pas de cette sensation de voyeurisme pour le lecteur, la progression maîtrisée nous laisse du temps pour voir et du silence pour réfléchir. Pour anticiper. Pour extrapoler.
L’auteure expose à notre esprit un certain tableau de couple, elle ne le commente pas, nous laisse la liberté de le faire. Je la prendrai, cette liberté. Ce couple a fait mal à mon sens de la justice sociale, avec ses airs de femme à l’ombre du grand homme, se tenant quasiment dans la position d'une mère monoparentale. L’art de Lori Saint-Martin est de ne pas mener son propos par ce bout là des choses, je le répète, elle n’entre pas dans la chambre du jugement. Et, pour cela, je salue le savoir-faire. J’aime cette latitude laissée au lecteur.
Je lui ai trouvé un style sobre, assuré et précis, bref, un style des plus efficaces.
J’ai déjà hâte de lire le deuxième.
14 commentaires:
J'ai beaucoup aimé ce roman et j'avais bien hâte de lire ton avis :)
Les portes closes s’ouvrent sur les secrets d’un couple...c'est très beau !
Je garde aussi un très beau souvenir de ce premier roman très achevé.
Moi aussi j'aime qu'on laisse la place au lecteur. Je note, je note! Et je répertorie, of course, pour QUébec en septembre!
Voilà quelque chose qui me donne envie !! Un livre attirant !
Très bien en effet. Écriture contemporaine comme chez bien des auteurs québécois. Ou c'est contemporain dans le sens de vif, phrases courtes, au "je" et au présent qui s'harmonise bien avec le propos ou les auteurs retournent dans l'histoire et leur style plus classique, conventionnel avec le vous et l'imparfait et passé simple.
En tant que lectrice, j'alterne entre les deux, mais j'avoue que je passe parfois un peu plus vite sur le "moderne" pourtant très dynamique.
Topinambule : Je lis ton commentaire et m'interroge : est-ce que ce roman pourrait déplaire ? Laisser indifférent à la rigueur, mais déplaire...
Comme tu le dis si bien : c'est un roman achevé. On voit qu'une traductrice a l'habitude de se lire et se relire. Peut-être a-t-elle développé ce recul qui fait parfois défaut chez certains.
Karine : Dès aujourd'hui, j'ajoute la mini-bannière et annoncerai ma participation à Québec en septembre, cette bouillonnante initiative qui a récolté un franc succès l'an passé.
J'ai une vie un peu folle ces temps-ci.
Anne : Je t'imagine le lire, assise sur une roche, cheveux au vent te délectant de chaque idée, phrase, mot. Tu sais savourer la lecture, chère amie.
Claude : J'ai relu ton message quelques fois et je n'arrive pas à conclure si tu l'as lu, aimé ou pas.
C'est bête mais je n'ai jamais encore employé ce qualification "contemporaine" au sujet de l'écriture. Je m'y arrête à l'instant et continuerais mon chemin ensuite.
merci pour cette découverte
Tout le plaisir est pour moi, Denis. Merci de ta visite, et ne te gênes surtout pas de revenir, la porte est toujours grande ouverte.
ON dirait que j'aime entretenir l'ambiguité, rester vague, en parler sans en dire réellement et simplement ce que j'en ai pensé.
Alors oui, j'ai aimé. Il est très très rare que je n'aime pas tout ce qui est québécois: film, livre ou série télévisée, au sens où je suis vendue en partant. Je pardonne tout et encourage tout.
J'ai aimé et j'ai lu avec plaisir. Sauf que ce style de phrases courtes, chapitres courts, très "moderne-actuel-contemporain" (des mots attribués à l'art visuel), me semble que c'est vite lu. On peut en passer des bouts sans perdre le fil de l'histoire.
Riche quand même, pas superficiel du tout, supérieur à bien des romans publiés, tout à fait dans ma palette d'intérêts pour les relations humaines, mais l'histoire ne reste pas, aussitôt consommée, aussitôt oubliée. Mais peut-être est-ce moi qui cours ces années-ci, comme pressée de tout lire, ne rien manquer, prenant à peine le temps de déguster.
ClaudeL : Voilà maintenant qui est limpide. Merci !
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