Quel plaisir de lire ce recueil, que je tiens entre mes mains, comme un objet précieux. Je le nomme recueil pour la phonétique qui amène au mot recueilli. Kim Thúy a un style qui appelle le recueillement, probablement pour sa cueillette amoureuse et méticuleuse de chaque mot.
Chacun des mots et des phrases qu’elle pose sous nos yeux ont un poids qui se sent à qui sait sentir. Dans la marge de droite, à presque chaque page, un mot ou une expression sont déposés en vietnamien avec en-dessous son équivalent en français : « rose et parfois rouge, « miroir », « sel », « respirer », « saluer les ancêtres ». Cela m’a fait penser à des titres de poème.
Sa vie de femme mariée, de maman, d’amie et de cuisinière, par sa plume, sonne comme une poésie du quotidien. Son écriture est pesée et posée, ses silences laissent respirer les mots. Ce qu’elle nous livre est concentré et concis, avec un tel style, on s’attendrait à de la retenue et de la pudeur et, surprise, non. Dans man, elle lève le voile sur ses émotions intimes. Je l’entends encore préciser à Josélito Michaud, qui l’interrogeait dans On prend toujours un train pour la vie, que Ru n’était pas un roman qui parle d’elle, tandis que le prochain le serait. C’est le cas.
Là où je l’ai trouvée la plus touchante est dans la relation avec sa mère, qu’elle fera venir au Québec, et un homme qu’elle rencontre en France. Cette dernière histoire lui fera découvrir des émotions inconnues d’elle jusqu’à ce jour. Viendront-elles troubler la quiétude de sa vie familiale, jusqu’où laissera-t-elle cet homme bouleverser sa vie rangée ? Avec son mari, c’est l’entente tacite, le convenu prévaut et les émotions ne sont pas à l’honneur.
Elle nous offre ces filets de confidences, à saisir entre deux fumets de mets vietnamiens, qu’elle cuisine pour gagner plus que honorablement sa vie. Pendant que son cœur est monopolisé, elle remplit son temps en accomplissant des journées de 15 heures de travail, en plus de ses rôles de maman et d’épouse. Avec Julie, sa complice, sa sœur d’adoption, elle est totalement elle-même. Elles iront loin dans leur ambition d’offrir un service de traiteur à la hauteur de toutes les attentes.
Ceux qui aiment la finesse d’esprit et de style, les curieux de la nourriture vietnamienne, les dégustateurs de discrètes histoires d’amour seront avides de lire man, et plus encore s'ils craquent pour la personnalité pétillante de Kim Thùy.
5 commentaires:
Alléchant ! voilà vraiment une auteure à découvrir !
Je ne connaissais même pas son nom. J'ai regardé. Elle est née au Vietnam, l'une des pires années, 1968, et au pire endroit, Saïgon. Elle est partie à dix ans dans un de ces boat-people. Une enfance qui vous fait un homme, quoi !
Je vais noter ce titre.
J'ai adoré Rû, et celui-ci est dans ma PAL aussi. La couverture canadienne est raffinée... beaucoup plus jolie que la française.
J'ai beaucoup aimé ce livre. Et j'aime beaucoup l'auteure aussi. :)
J’ai encore une fois été totalement conquise par cette écriture dépouillée mais pleine, autant que charmée par cette façon qu’elle a de nous prendre délicatement par la main pour nous initier aux subtilités de sa langue et de son peuple. Car pour bien saisir toute l’hérésie que peut comporter pour une vietnamienne le fait d’aimer passionnément – d’autant plus en dehors du mariage, il faut d’abord comprendre de quelle argile elle a été façonnée.
« Un amour est un amour qu’il soit nommé ou vécu dans le silence » soutient-elle, car là d’où elle vient, tout se vit et s’exprime dans la retenue. Sa nouvelle terre d’accueil lui réservera toutefois bien des surprises quant à ce postulat qui ne sera nullement démenti, mais prendra bientôt des ramifications insoupçonnées pour s’exprimer.
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