L'Écrivain Dieu
On avance dans cette histoire précise, réglée comme une horloge, en compagnie de P.
Voyez-vous ; P. ? Nous n’aurons même pas l’ombre du prénom de cet être qui nous entraîne avec lui dans sa mission : aller quérir le chapeau de Kafka pour son patron. C’est un chapeau, cela aurait pu être un crayon, un mouchoir, qu’importe l’objet, tout dépend de l’importance qu’on lui accorde. Comme de notre mission sur la Terre ! P. fait de cette simple course une question vitale. En rapportant ce chapeau à son employeur, sa vie va se transformer.
Il est un homme précis, méthodique et extrêmement rationnel. C’est une machine humaine. D’après le portrait, les êtres rationnels s'enfargeraient un peu trop dans les détails. De tenir au contrôle, avant tout et sur tout, est la meilleure manière pour qu’il nous échappe. C’est amusant d’observer quelqu’un qui, avec concentration et méthode, travaille pour contrôler une situation ultra simple, et de voir que plus il y travaille, plus elle s’embourbe. Avec une totale absence de spontanéité et de gros bon sens, P. fonctionne sur le pilote automatique, avec des mécanismes qui se mettent en branle devant un problème X. Alors que voulez-vous, dans un édifice à bureaux, en présence de cet employé robot, calepin et mission en mains, j’étais continuellement ramenée au fonctionnement de certains fonctionnaires, un sourire en permanence au coin des lèvres.
Cet être sans émotion ne m’en a pas inspirée, c’est donc l’histoire qui a pris le dessus. Si P. se prend au sérieux hors de toute proportion possible, l’histoire, elle, pas du tout. Elle se suspend, a des échappées, des coupures, des parenthèses où s’imbrique une autre histoire, des personnages qui arrivent sans crier gare, et s’éclipsent. Règne une fausse confusion car au final de ces histoires gigognes, on découvre que rien n’est gratuit, tout avait été réglé au quart de tour. Par l'écrivain Dieu.
Pour le genre, le style est impeccable. À l’image du récit, clair, net, précis et par là, efficace. C’est audacieux, donc original. Il y a plein de clins d’œil sur les écrivains et leurs manuscrits, c’est la saveur accentuée de l'histoire qui comprend les autres. J’ai un peu moins goûté certaines lues par P. mais appréciées d’autres dont celle où un personnage féminin émotif apparaît, une serveuse déchue, me démontrant que Patrice Martin sait aussi manier l’émotion.
HUIT autres opinions à La Recrue.
6 commentaires:
Comment ne pas avoir envie de découvrir ce roman à notre tour avec un tel avis qui nous y incite? Et hop un de plus s'ajoutant à ma liste.
Belle journée.
@ Suzanne : J'ose à peine imaginer ta pile, tour haute et chambranlante que l'effleurement d'une pensée peut projeter par terre.
Au nom de l'amour pour l'absurdité intelligent, ta tour peut se coiffer du Chapeau de Kafka.
Venise, mon intervention n'a pas de rapport. Je voulais juste vous rappeler que c'est le centième anniversaire de la naissance de Gabrielle Roy cette année. Une petite pensée pour cette grande écrivaine.
@ Réjean : Parler de Gabrielle Roy a toujours rapport ;-), surtout que le 22 mars est la date anniversaire (mais, on s'entend que la célébration va durer toute l'année). Elle aurait 100 ans. Bon. Je crois que toutes les occasions sont bonnes de célébrer, pour rentabiliser l'investissement sur la Maison Gabrielle Roy.
Ma manière personnelle de la fêter serait bien de mettre la main sur le fameux documentaire de Léa Pool que vous me conseillez tant. Et puis, continuez de la lire, car j'ai heureusement pas terminé !
Plus je lis les commentaires sur ce livre, plus il me tente... je note pour ma prochaine visite en librairie! J'aime les trucs absurdes, normalement!
Bizarre. Autant j'ai tripé sur Kafka lorsque j'étais adolescente, autant ce pastiche m'a laissée froide. L'arbitraire et l'absurde y sont pourtant présents mais... faut croire que j'ai vieilli ? Tous ces tours et détours n'ont plus l'art de m'embarquer. Je suis restée sur le quai.
Publier un commentaire