Ce recenseur, qui se pense discret mais qui ne l’est pas tant que ça, nous fait entrer dans la Chine profonde, une face cachée que l’on découvre sous l’angle social et politique. Curieux quand même que ce mélange, un style poétiquement absurde et joyeusement humoristique servant un message grave, révoltant même, l’asservissement au silence de millions de Chinois.
Ratisser par le nombre ce « pays pluriel », comme se plaît à le répéter Max Férandon, auteur d’un premier roman. Celui-ci se singularise, à mon avis, par son style. J’ai lu et relu certains passages, paragraphes, en n’en faisant une substance succulente pour taire mon trop de surprise devant tant d’humour fin. Si fin, à me demander parfois si je rêvais. Si fin, que je devais parfois repeigner les mots un à un, pour en extraire le suc favorisant l’assimilation d’un propos pas toujours digeste par le message. C’est qu’au fil de cette escapade en train, on découvre tout le vil du Très-Haut lieu de Pékin, et ça s’adonne que le fonctionnaire Ho le représente. Mais ne l’endosse pas. Et pour cause ! Son père en ayant été la première victime, il se range plutôt du côté des paysans. Des chefs de gare aussi.
Je serais tenté de classer cette histoire dans la « road-novel » malgré ma peur que l’étiquette reste collée sur le bout de mes doigts. Le voyage se passe autant à l’intérieur de Monsieur Ho, qu’à l’extérieur dans ces champs Chinois et mongoliens, desquels Max Férandon nous dévoile beaucoup, plus ou autant qu’un sociologue démographe.
J’ai remarqué que la trame, et le suspense, arrivent par à-coups. Le train avance, entre dans le paysage, s’installe une situation, une question surgit, on se dirige vers la réponse qui résout la dite question, jusqu’à la prochaine. Et on continue ainsi d’avancer jusqu’à la dernière « question », qui se pose plus longuement, le train s’arrêtant dans une gare désaffectée, en Mongolie. Et ce chef de gare arrêté dans le temps se fera surprendre par l’histoire !
Mais est-ce que j’ai aimé ? Disons que j’ai essayé d’aimer beaucoup, mais c’était au-dessus de mes moyens, j’ai donc aimé moyen. C’est délicat de le dire car les personnes plus sensibles que moi à l’histoire de la Chine seront probablement enchantées de ce roman, si bien servi par son style intelligemment absurde. Je me reprends donc, j’y suis sensible mais disons que mon intérêt se réveille plus par le quotidien d’un individu, avec tout le prosaïsme de sa concrétisation, que par une « fable grinçante » (quatrième de couverture). Monsieur Ho est marqué par son passé, mais son présent lui ? Sa femme et lui prennent le thé en première page et ensuite elle disparaît totalement. Une petite pensée à sa fille durant son voyage, et c’est tout. Tous les détails qui nous rattachent au quotidien sont éliminés, même le temporel. Voyez comme je suis terre à terre ! Je me situe à vos yeux dans le désir que vous vous situiez vous-même, pour que vos besoins de lecture s’accordent avec vos envies. C’est bien le but de l’exercice ici, non ?
Mais suffit mes mots, seulement et toujours les miens, je vous laisse sur ce style que j’ai tant apprécié, à cette étape, il saura parler mieux que je ne saurais le faire :
[…] la dame qui lisait le même livre depuis des mois sans tourner une seule page mais qui, dans un étrange souci de coquetterie, changeait de chaussures tous les jours. À moins que ce ne fût le livre qui lisait la dame en tournant les jours ?
Tout au long de la journée, monsieur Ho visita ainsi plusieurs cellules pareilles les unes aux autres. Une seule question, plusieurs histoires, plusieurs questions, une même histoire.
Il finirait donc sa mission, pour ses concitoyens avant tout, pour les rapprocher d’eux-mêmes. Le travail du commissaire Ho n’était-il pas, en fait, celui d’un défricheur de pluralisme à qui l’on demande de dresser le portrait le plus fidèle possible d’une société mosaïque en réfléchissant en sourdine aux promesses de cette chose insolente que l’on appelle ailleurs, parfois tambour battant, la démocratie ?
- Vous, commissaire, avez-vous aussi une gare dans votre tête ?
- Oui, je crois. Une gare, mais aussi une prison, un orphelinat et une rangée d’arbres de quatre milles kilomètre.
Max Férandon est né en 1964 dans une jolie carte postale du centre de la France, un petit village du département de la Creuse. Il garde de son enfance un imaginaire poétique dont il s’inspire pour écrire ses histoires. Une première traversée de l’Atlantique, en 1988, l’amène au Québec, où il réside depuis et où il a pratiqué plusieurs métiers. Il vit aujourd’hui dans la vieille capitale.
Alto, 160 pages.
5 commentaires:
Ton billet m'inquiète un peu cas je l'ai acheté au salon du livre, ce roman et avec l'état actuel de mon cerveau, j'ai un peu peur de ne pas être à la hauteur, même si l'histoire de la Chine m'intéresse à prime abord... je pense que je vais attendre d'être plus disponible!
C'est vrai que ton mot nous laisse dubitatif... C'est un des rares romans qui ait attiré mon regard, à la librairie, récemment. La couverture est très jolie, assez pour que j'en lise le résumé, au verso. Le thème m'a intéressé... Je ne l'ai pas acheté, mais il me trottait dans la tête... Maintenant, suite à tes commentaires, j'avoue que je suis moins chaud... Quoi que... Ça reste intrigant... Ne serait-ce que pour l'humour si spécial qui semble s'en dégager... On verra!
Karine : Vas-y comme tu le sens, parfois on préfère attendre, en autant que tu n'oublies pas que c'est un roman qui vaut la peine d'être lu.
@ pgluneau : C'est vrai que la couverture est vraiment charmante. C'est joyeux. C'est représentatif car vraiment, le ton employé est remarquable, d'une légèreté intelligente, pour nous entretenir de ces choses graves et très instructives sur la Chine.
Ce roman a assez de qualités pour se mériter d'être lu.
L'intrigue, comme l'intérêt pour ce livre, se déploie au rythme poussif de la vieille locomotive ministérielle. Lentement, presque secrètement, comme un sourire qui atteindrait les yeux sans effleurer les lèvres.
Dans cet univers sino-kafkaïen où l’absurdité n’a d’égale que la démesure des systèmes, l’auteur parvient d’une plume suavement philosophique, à nous faire croire en l’authenticité du récit. Mais dans la mesure où lui-même n’a jamais mis les pieds en Chine, on peut toutefois se demander s’il ne s’agit pas là d’un ramassis d’idées préconçues, si solidement ancrées dans nos perceptions occidentales, qu’on ne les distingue même plus de la fiction…
Publier un commentaire