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vendredi 24 avril 2009

Raphaëlle en miettes - Diane Labrecque

Mais il me semble qu’être encore heureuse après sa mort serait la plus grande trahison à notre amour. C’est rare que je commence par les mots de l’auteure, cette phrase m’a frappée, pour ce qu’elle centre du message entendu dans cette histoire.

C’est la confession d’une femme à sa fille, qu’elle ne connaît pas. Cette mère, en état de souffrance aiguë, l’a abandonnée à sa naissance, incapable d’en prendre soin sans lui faire plus de mal que de bien. Bien sûr, ce n’est pas ce qu’une mère désire pour son enfant. Toute démarche de retrouvailles est déchirante, on s’en doute, encore plus si le parcours d'une des personnes en cause est torturé. C'est le cas de la mère, et pas à peu près.

Quand s’annonce la souffrance d’une personne, qu’elle soit couchée entre les feuilles d’un roman, ou sur ses deux jambes, on s’inquiète : Aurons-nous, en soi, la force de supporter la souffrance de l’autre, de s’en détacher assez pour la transcender ? Eh bien, dès les premières pages de la vie de Raphaëlle, j’ai su que je n’aurais aucune difficulté. J’avoue avoir été étonnée jusqu’à quel point cette histoire a coulé en moi, s’est lovée en moi. Je me suis bien sûr demandé pourquoi. Cette mère relate pourtant avec force détails son tumulte intérieur, s’adressant à sa fille Hania qui aurait 15 ans en ce jour, et ce qu’elle a à lui confier est une longue suite d’épreuves et d’erreurs, ce qui aurait pu me rebuter. Le ton sur le mode intime décliné avec une remarquable aisance a su conserver mon intérêt, en plus du rythme des mots, des phrases si faciles à suivre qu’on la suit cette femme qui se noie, s’efface, s’enfuit d’elle-même. Se liquéfiant dans son rhum brun, ou s'évaporant dans ses séances de sexualité détente.

Le « moi » de Raphaëlle ainsi avalé est raconté avec une claironnante lucidité par Diane Labrecque. Sain regard qui se recule pour voir en face les gestes perturbés de son passé, et on en devine le mobile, accueillir l’indulgence de sa fille. Bien évidemment que lorsque nous en sommes à s’incliner pour recevoir le pardon s’est qu’on se l’est soi-même accordé. J’ai enfilé les épreuves, les bévues, les trahisons sur le parcours de Raphaëlle, sans trop frémir, l’acceptant comme elle aimerait que sa fille l’accepte. Une belle démonstration de la force du détachement menant à la transcendance.

J’aurais d’ailleurs apprécié que l’auteure pousse sur ce lien avec sa fille Hania. En considérant que le récit se prend comme une confession, j’aurais aimé un peu mieux sentir la présence de celle à qui s’adresse la missive. En fait, j’ai abordé le récit comme une longue lettre, d’où les repères temps seraient un peu difficiles à cerner par contre. Le propre d’une lettre est de sentir aussi bien le destinataire que l’expéditeur, et Hania est restée dans la nébuleuse. J’aurais aimé que sa présence soit si ardente dans le cœur de la mère qu’elle se transmette à nous, lecteurs. Peut-être que ce tour de magie de l’imaginaire aurait fourni à l’auteure assez de chair émotive évitant ce que je considère ici comme un piège, faire défiler une grande quantité de drames afin d’être sûr que le lecteur croit à la perturbation profonde de Raphaëlle.

Avec un tel talent pour dire et raconter, avec une capacité remarquable à manier l’histoire avec cette fluidité que l’on attend en vain dans certaines premières œuvres, je n’avais pas besoin d’autant d’épreuves pour croire à une Raphaëlle en miettes.

J'ai aimé cette lecture et j'espère de tout coeur que Diane Labrecque va récidiver, j’attends son deuxième roman avec impatience.

***
Je réalise à l'instant que Tristan Malavoy-Racine, chef de pupitre section littéraire du Voir donne une excellente critique.

Raphaëlle en miettes, Diane Labrecque. Édition Hurtubise. 192 p.

8 commentaires:

Da Laloup a dit...

J'attendais votre critique avec un peu d'anxiété, car, parce que je fréquente votre blogue assez régulièrement, je savais vos goûts sûrs et votre critique pertinente. Je suis donc profondément soulagée que vous ayez aimé, mais je prends aussi bonne note des faiblesses que vous soulignez. Car la critique pour moi, lorsqu'elle est pertinente, est une occasion que je dois saisir pour m'améliorer.
Merci.

(vous n'êtes pas obligée de publier ce commentaire. Je ne recherche pas de visibilité. Je ne voulais que vous remercier.)

Venise a dit...

Da Laloup : Me voilà récompensée au centuple de vous trouver ici parce que je n'aurai pas à attendre si longtemps que je le croyais pour vous relire, vous êtes à quelques traces de pas de chien loup. Je vous suivrai au jour le jour, et en plein jour.

Da Laloup a dit...

Je ne laisse mes traces sur mon blogue que très peu souvent, accaparée que je suis entre mes enfants, mes chiens, mon chum, l'enseignement, la lecture et l'écriture et autres activités secondaires. Mais je vous accueillerai dans mon univers (très cynophile, vous l'aurez remarqué) avec grand plaisir.

Blue a dit...

Oh! Une fois de plus tes mots , Venise, inspire.
Et j'ai hâte de la lire.

Dominique Blondeau a dit...

Bonjour Venise,

après la méchante critique qu'a reçu ce livre dans le Devoir la semaine dernière, j'ai bien hâte de me faire une idée sur ce roman. J'ai été agréablement surprise par votre commentaire tout à fait inverse.

J'ai lu aussi l'élogieuse critique de Tristan Malavoy. Quel changement de ton, ça fait du bien !

Venise a dit...

@ helenablue : Contente de titiller une fois de plus ta curiosité pour notre littérature, qui ne demande qu'à faire de grandes enjambées jusqu'au Nord de la France.

Venise a dit...

@ Dominique Blondeau : Heureux changement de ton, à qui le dites vous ! Ce genre de critique lue dans le Devoir, sans subtilité et déclarée sur le ton de la vérité, m'horripile.

Va sans dire mais je le dis, j'ai très hâte de lire votre opinion.

alex a dit...

Merci pour ce billet qui m'a donné envie de lire ce livre hier, a bientôt !