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mardi 12 mai 2009

Paul à Québec - Michel Rabagliati

Je ne savais pas que l’on pouvait éprouver des émotions aussi fortes en lisant une BD, peut-être parce que toujours marquée par mon enfance où la BD, c’était des comiques, les Tintin seulement trouvant un peu grâce aux yeux des adultes. Et encore ! On demandait à l’enfant : Est-ce que tu lis ? Il répondait « Oui, des BD ». Non, je veux dire des livres, avec une vraie histoire ...

La BD rejoint aussi les amateurs d’histoires bien écrites à saveur humaine, et après cette lecture, j’en suis convaincue plus que jamais. Dès les premières pages, je me suis plu à voir un auteur expérimenté installer son histoire, préparant le terrain avec beaucoup de naturel. Sans effort, comme le souffle qui sort d’une bouche pour parler. Comme les conteurs d’antan qui réchauffaient la salle avant de se lancer au cœur de leur conte. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas les fils maniés par un auteur que l’habileté n’est pas là, ce serait même le contraire.

Case après case, on s’invite doucement dans la belle-famille de Paul. C’est le temps ou jamais de le dire ainsi ; on se familiarise. On crée des liens, on s’attache. Il est facile de se mirer dans leurs habitudes, cette famille est comme tout le monde, assez pour douter que ce ne soit pas de la nôtre. À mes yeux, c’est fort. Avec des dessins, des mimiques, des dialogues, je les entendais, vivais avec eux, projetée dans cette histoire qui devenait la mienne.

Dès les premières pages se dégage un parfum de nostalgie du temps qui passe, se déroule sous nos yeux son fil que l’on remonte pour attraper des événements emportés sans possible retour en arrière, le non à l’indépendance du Québec étant un de ceux-là. Par des dessins pleine page, le bédéiste nous montre le avant et le maintenant du village St-Nicolas. Tout l’album est empreint du mouvement du temps qui passe et pousse à agir, du petit logement rudimentaire abandonné pour l’achat d’une maison délogeant une vieille dame, l’avènement de l’Internet dans la vie professionnelle de Paul (vraiment trop drôle !). Le bédéiste met la table, nous sert des apéritifs, nous réchauffe pour bien accueillir le summum des affres du temps qui passe : le cancer de Roland, le beau-père de Paul.

Une histoire axée sur la perte pourrait se qualifier de trop dure à lire et à regarder mais ce n’est pas le cas. C’est un art accompli que je lui trouve à Michel Rabagliati de donner au quotidien ses lettres et images de noblesse. On ne se bat pas contre l’inévitable, c’est plutôt l’acceptation de la quotidienneté des liens entre les êtres. C’est ce qui m’a renversée. Quand on y pense, quelle force a cette histoire de se tenir si près des règles de la vie qu’elle suscite un intérêt fort malgré très peu de suspense puisque, dès le départ, nous savons que cette famille perdra un gros morceau, le patriarche. On tourne les pages avec avidité, ouvrant les yeux et le cœur, comme dans la vraie vie où notre intime conviction de finir par en mourir ne nous empêche pas d’en jouir. En autant que l’on ne soit pas seul, la famille faisant toute la différence. Ce Paul à Québec est un hommage non caché à la force familiale.

La progressive détérioration de l’homme fort se vivra enveloppée de l’amour des siens. Le temps qui passe, use et détruit est raconté avec un réalisme cru qui se prend sans la déprime, juste de la saine tristesse. Justement parce qu’il y a plusieurs mains tendues vers cette dureté. La rumeur disait que ce Paul était à lire avec près de soi des papiers mouchoir trois épaisseurs, j’aimerais dire que non mais tout mon souvenir en dormance s’est subitement éveillé, moi c’était une matriarche, et à ma surprise, la digue s’est ouverte. C’est donc bien vrai, mais je l’ai vécue comme une libération de plus pour tout le côté paisible apporté par la présentation de cette perte.

Une histoire si bien racontée qu’elle nous démontre le plus naturellement du monde que nous sommes l'humanité entière à vivre des deuils.

Lien : Le lancement vu par Venise ici.

Paul à Québec, Michel Rabagliati, Éd. La Pastèque, 2009, 187 p.

11 commentaires:

Beo a dit...

Eh oui! Le deuil est tellement parfois tabou.... et pourtant: comme d'avancer en âge; on est tous à la même enseigne!

C'est tout le talent de Rabaliati, de totalement nous insérer dans ses récits.

J'ai un grand ami, français qui a adopté la série dès son arrivée au Québec. Il y a de cela plusieurs années.

Ce fut pour lui une belle manière de découvrir nos qualités, nos travers, nos sacres: notre vie quoi!

Rabagliati nous offre Paul qui est le parfait miroir d'un gars de chez-nous qui bûche honorablement dans sa vie

Bûcher dans les sens d'équarrir ce qui lui barre la route, d'arrondir les angles plus ardus de la vie, de foncer avec optimisme dans son couple, d'avoir toujours cette ouverture d'esprit qui lui fera comprendre bien des choses au fil des albums, d'aussi confirmer ses convictions et d'en sacrer un coup quand c'est le temps! ;)

Karine :) a dit...

Je suis tout à fait en accord avec tout ce que tu dis. J'ai beaucoup aimé la BD, lue avec la larme à l'oeil par moments. Je me doutais bien que ça te plairait!!

Phil a dit...

Je n'ai pas encore lu celui-là mais j'ai dévoré tous les autres Paul. Michel Rabagliati a vraiment du talent pour toucher le lecteur.

réjean a dit...

Ce sont là des propos bien sentis.

Allie a dit...

J'adore le travail de Michel Rabagliati. Je le suis depuis quelques années et je me sens proche de ce qu'il fait... Je te conseille les autres titres, qui sont tous très bien. Ils me rappellent tous des souvenirs, des périodes de ma vie...
(Celui-ci m'attends, je le lirai bientôt :))

linerouge a dit...

A moi de te conseiller un auteur de bd, Kim Dong Hwa, un coréen. Il a écrit un série: La bicyclette rouge qui sont comme des haïkus en bd. Ces dessins sont sensibles et simples, on sent presque l'odeur des fleurs qu'il dessine avec une grande sensibilité, les arbres également. Le facteur qui est le personnage principale n'est que le spectateur du quotidien d'une vie rurale pauvre mais remplie de poésie. Mon chouchou.

Venise a dit...

@ line rouge : Comme c'est amusant ! Ma belle-soeur m'a justement donné une de ces BD, en se disant que j'aimerais étant donné le facteur ... facteur. D'ailleurs, c'est cette même belle-soeur qui nous avons conseillé le village d'Eastman quand nous nous cherchions un terrain en Estrie.

J'ai bien aimé. Comme tu dis, de la poésie au quotidien. À part les Tintin de mon enfance, c'était ma première BD d'adulte, et on dirait que je m'attendais à un peu plus d'action. Mais une fois qu'on se fait à l'idée de la quiétude, et qu'il n'y aura pas de rebondissements spectaculaires, on se met à l'apprécier.

Les line rouge aime les bicyclettes rouges !

Venise a dit...

Correction "nous a conseillé" ...

sarah a dit...

Je me suis convertie à la BD en rencontrant mon homme il y a quelques années..
avant ça pour moi aussi c etait tintin, luky luke et cie...

Il faut dire que les propositions en matière de BD sont de plus en plus riches et variées.

As tu lu Persepolis?
Et le chat du rabin?
Ce sont les premières BD qui m'ont vraiment "accroché".

La BD dont tu parle me fait tres envie... même si là, je viens de lire "dautres vies que la mienne" de Carrere sur le deuil et que donc, je vais faire une pause, car le sujet est toujours un peu lourd malgré tout.

Venise a dit...

Sarah : Ta première phrase peut s'appliquer à moi. Je te l'emprunte alors ! Par contre, j'y mets pas assez de temps et pourtant ces BD sont à portée de mon bras, juste dans la bibliothèque de Marc (Marsi, nom de bédéiste), les deux auxquels tu fais allusion notamment.

J'ai VU Persepolis et j'ai beaucoup aimé, alors j'aimerais le lire. À chaque fois, je me demande sérieusement et sincèrement pourquoi je n'en lis pas plus, puisque mes expériences sont bonnes.

Je vais te donner une primeur. Fin juin, Marsi et moi ouvrons un nouveau site (en construction) et il y aura inclus un blogue consacré exclusivement à la BD. Le principal commentateur sera Luneau, un passionné, un féru de BD et qui adore en parler dans le détail. Marsi se joindra à lui de temps en temps même si son apport sera surtout l'illustration, puisque c'est son essence la plus concentrée.

Merci de ton commentaire et de ta visite et à la prochaine !

Moka a dit...

Quelle claque magistrale je viens de me prendre en lisant cette BD.938 piuhire