Une primeur, une entrevue à trois têtes ! Trois blogueurs Lucie, Phil, Venise, s'adonnant aussi à être des rédacteurs de La Recrue ont lu "Un monde mort comme la lune", le premier roman de Michel Jean. Plusieurs questions nous taraudaient, pourquoi ne pas les mettre en commun ? L'auteur s'y est prêté avec entrain.
Lucie
1. Vous avez couvert de nombreux conflits dans le cadre de votre travail de journaliste. Pourquoi avoir décidé de choisir cette page de l'histoire d'Haïti en particulier comme trame de fond de votre roman?
R.: J’aime Haïti. J’aime les haïtiens. Malgré toutes les difficultés ils arrivent à trouver le bonheur là où nous ne voyons que du malheur. Ça peut paraître bizarre à dire, mais j’y vois une force de caractère. C’est un peu ce qu’incarne le personnage de Bia. J’ai choisi la période du départ d’Aristide car j’y étais, je l’ai rencontré à ce moment et donc je pouvais en parler en connaissance de cause. J’avais aussi un bon souvenir du « feeling » qui régnait dans le pays à l’époque. Certains évènements comme lorsque Jean-Nicholas tombe par hasard sur Bia et passe près de la frapper, et la scène de la livraison de drogue dans le rues de Port au Prince, sont inspirés de faits vécus.
2. L'écriture journalistique et romanesque ont des codes différents. Comment avez-vous su basculer de l'une à l'autre?
R.: Écrire Envoyé spécial m’a aidé à faire la transition. Le plus difficile pour moi a été de m’ouvrir, de faire une plus grande place à l’émotion. À mes émotions devrais-je dire. J’avais trop de pudeur au début. Mon éditeur m’a aidé de ce côté. Quand j’ai commencé à écrire mon roman, la transition s’est faite naturellement. Le plus dur était fait.
3. Votre prochain roman aura-t-il lui aussi un fond journalistique?
R. : Non
4. Si demain, vous deviez faire le choix entre l'écriture de fiction et journalistique, pour laquelle opteriez-vous et pourquoi?
R.: Je serai toujours un journaliste. C’est dans mon ADN. Mais je ne crois pas que je doive choisir…
Phil
1. Dans quelle mesure le sujet du reportage est inspiré de faits réels ? Aristide a-t-il été complice du trafic de drogue entre la Colombie et l’Amérique du Nord ? Bref, quelle est la part de fiction et celle de faits réels ? Ou si vous préférez : Le roman est-il un véhicule littéraire qui permet de contourner la difficulté de prouver des allégations de crimes gouvernementaux ?
R.: Je n’ai pas voulu faire un roman politique. J’ai voulu utiliser la réalité pour rendre la fiction encore plus réelle et donc plus crédible. Un peu à la manière de Mario Vargas llosa dans La fête au bouc. Sans me prendre pour lui!!!! Dans Un monde mort comme la lune, le contexte politique est réel. La crise en Haïti, le trafic de drogue qui passe par le pays pour entrer en Amérique. Les liens avec Aristide ont souvent été dénoncés et ont fait l’objet de nombreux reportages. Mais mon roman ne cherche pas à dire des choses que je ne pourrais dire autrement. Il utilise une réalité pour mieux servir une fiction.
2. On sait que les reporters sont amenés à prendre des risques pour recueillir certaines informations. Mais encourent-ils aussi des risques suite à la diffusion de leurs reportages comme cela est décrit dans le roman ?
R.: Je ne connais pas de journalistes qui ont subi le même sort que mon héros. Heureusement! Mais on a tenté de tuer Michel Auger au Québec. On m’a déjà menacé. Qui sait ce qui peut arriver ?
3. À la lumière de la réalité décrite dans le roman et de la triste actualité d’Haïti qui nous parvient au Québec, qu’est-ce qui permettrait d’améliorer la vie des Haïtiens ?
R.: Oh là là…. La réalité c’est que je ne crois pas que les conditions de vie des haïtiens s’améliorent de façon significative à court ou à moyen terme. Les problèmes sont trop profonds et généralisés. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille baisser les bras. Simplement qu’il faudra être patient. Et aussi je tiens à dire que ce n’est pas uniquement la faute des haïtiens. Bia et Marie sont toutes les deux la même femme. Elles incarnent les même valeurs. Une est née au Québec, l’autre à Cité Soleil. L’une est devenue enseignante, l’autre se prostitue. Chacune est totalement dévouée à sa fille. Je voulais montrer que la même personne placée dans deux mondes différents, aura une vie totalement différente. De la même manière, on juge souvent les haïtiens, mais quand on naît dans ce pays, c’est très difficile de s’en sortir.
Venise
1. Lorsque vous désirez vous détendre, que lisez-vous ?
R.: Romain Gary, Soljénistyne, Marguerite Yourncenar, Hemingway, Gabrielle Roy, des classiques comme Le grand Meaulnes ou Les hauts de Hurlevent. Jamais de polars ou de thriller. J’aime qu’un livre me plonge dans un univers différent du miens. Qu’il propose une réflexion ou un point de vue. Si c’est juste pour suivre une histoire, je préfère le cinéma. La qualité de l’écriture compte aussi beaucoup pour moi.
2. Combien de temps avez-vous mijoté l’idée d’écrire du romanesque ? Quels sont les outils ou les qualités d’un écrivain aguerri ?
R. : J’y pensais depuis plusieurs années. Je ne sais pas si j’aurais été capable de commencer directement par un roman. Ça me paraissait toujours trop gros. De commencer par un guide de consommation, puis d’enchaîner avec un récit m’a permis d’apprivoiser l’écriture, d’y aller par étapes. Je ne suis pas un écrivain aguerri. Mais je pense qu’on ne peut le devenir sans beaucoup de sensibilité.
3. Quelle serait votre définition de l’inspiration ? Comment l’attirez-vous afin qu’elle vous rende visite ?
R. : Je suis journaliste et l’angoisse de la page blanche est un luxe que je ne peux me permettre. Comme disent les américains « dont make it pretty, make it by six. » Je pense à mon histoire avant de m’installer devant mon écran. Je la développe mentalement et quand j’écris je suis à peu près prêt. Sinon je n’y arriverais pas. Je suis une personne créative et de nature rêveuse. Alors laisser vaguer mon esprit ne m’est pas très difficile. C’est ainsi que j’imagine mon histoire. Reste à l’écrire.
4. Y a-t-il un livre de fiction que vous avez lu deux fois ? Pourquoi ? Quel roman aimeriez-vous avoir écrit ? Lisez-vous de la poésie ?
R. : Je n’ai jamais lu un livre deux fois. Je me dis qu’il y a tant de livres à lire. Si je le faisais, je relirais Les mémoires d’Hadrien que j’ai tant aimé et dont la lecture remonte à plusieurs années. J’aurais aimé écrire La promesse de l’aube de Romain Gary. Ouf! Tellement puissant et émouvant. Je ne lis pas de poésie. Ça ne me rejoint pas.
5. Qu’est-ce qui vous rend le plus fier d’un Monde mort comme la lune ?
R. : Chaque fois qu’une personne me dit qu’elle l’a lu et qu’elle y a pris plaisir. C’est tout. Mais c’est beaucoup.
4 commentaires:
J'arrive pile sur ton blogue, Venise, pour lire cette intéressante entrevue avec Michel Jean!
Un monde mort comme la lune attend dans ma bibliothèque... j'ai hâte de m'en faire ma propre idée!
Je viens à la fois de découvrir ce blogue et cette nouveauté!
Bonne idée cette entrevue à trois.
Merci!
@ Danaée : C'est un plaisir de te voir ici. C'est aussi un plaisir de se faire sa propre idée sur un roman.
Personnellement, j'en suis à adorer les entrevues avec les auteurs. Ils ont tant à dire ! Il y a tant de vie entre ces lignes ! Tant de vie entres les chapitres aussi ... Et même entre les romans, n'est-ce pas chère Julie Gravel Richard ?
Groopie et Mister B. Voilà que avez "retontis" ici. J'aime les nouveaux visiteurs, je leur donne le meilleur fauteuil, histoire qu'ils reviennent j'avoue. Plus on est de personnes à s'intéresser à la littérature et à notre littérature et plus on est riche.
L'idée de trois interviewers est venue spontanément. J'y ai pas réfléchi et parfois, se sont les meilleures idées. En tout cas, l'auteur a eu trois visions de questions, et de lectures ce qui, j'imagine, est appréciable.
Vous reviendrez ... j'espère.
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