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vendredi 7 mai 2010

Tout bouge autour de moi - Dany Laferrière

Fait assez amusant, je l’ai lu en auto durant mon aller-retour pour la Gaspésie, donc au moment où tout bouge(ait) autour de moi. J’avais hâte de lire ce récit***. J’ai accepté comme un cadeau que Dany Laferrière nous invite à l’intérieur de lui à ce moment tragique de son existence. Par contre, je trouve aberrant que ce récit soit mon entrée dans son univers écrit. J’avais « L’énigme du retour » entre les mains, j’ai cependant préféré le « pendant » à « l’avant ».

Fébrile, j'ai lu goulûment ces chroniques et comme pour tout ce qui s’avale rapidement, je me demande à cette minute quelles empreintes a laissé ce livre sur moi. J'y ai nettement vu deux parties : le « pendant », ses pieds dans la terre de Port-au-Prince, le « après », ses pieds remarchant dans une vie organisée.

La partie « Pendant »
J’ai découvert jusqu’à quel point Dany Laferrière sait démanteler les instants pour nous les passer comme des clichés qui défilent et défient nos yeux. C’est ce que je désirais ; être là. Il m’y a amené et j’en ai eu les larmes aux yeux. Non pas pour la tragédie qui bouleverse l’être mais pour la reconnaissance qu’il me prête le regard de celui qui ne court pas le sensationnalisme, de celui qui donne priorité à la vie, de celui qui fait tomber l’événement sur ses pattes. Je vois comme une chance inouïe d’avoir vécu au même moment que lui cette minute fracassée en 60 secondes longues, comme si la terre se secouait pour se casser. Ébranlée d’entendre en même temps que lui le son prolongé du silence en écho à la catastrophe. J’avais besoin du regard d'un fervent de cette terre mais à l’œil détaché, nullement ému par automatisme. Ce qui donne un regard lucide qui devant la mort s’ouvre encore plus grand à la vie.

Cet homme a su donner un rythme à son récit, découpant ses souvenirs en diapositives projetées dans un phrasée poétique qu’il boucle comme autant d’histoires en soi. Il a lâché ses impressions par petites bribes titrées qui m’apparaissaient contentes de se libérer des murs de ses méninges. Ça, je l’ai senti. J’ai reçu sa fébrilité à donner ses impressions comme le serait un photographe effrayé par la possibilité de les voir s’engouffrer dans la mémoire de l’oubli. C’est là que se voit à nu son âme de journaliste, celui qui s’aime témoin pour laisser le haut parleur exprimer la beauté du survivant qu’il était déjà avant de survire encore.


La Partie « après »
Le ton change quand il revient au pays et à son agenda. J’ai eu l'impression de tomber, j’ai dû me relever pour m’adapter, peut-être autant qu’il a dû le faire, qui sait. J’ai pensé avoir perdu le fil, j’ai eu honte un instant de mon désir qu’il reste là-bas pour que j’y demeure encore un temps.

Après une transition de quelques pages qui m’ont fait perdre la notion du temps qui file vite (en même temps que l’auto), j’ai plongé dans le cœur de sa réflexion. Je l’accompagnais de nouveau. Il avait dépassé l'étape des observations, projeté au fil d’arrivée en vivant vibrant après une course où les jambes tremblent encore et bat trop vite le cœur. Après la première étape des observations, Laferrière tire ses conclusions droit sur les cibles. Cette réflexion profonde sur le sujet complexe du peuple Haïtien m’a impressionnée. Je l’ai lue les yeux écarquillés, autant que l’esprit. On n’a pas réfléchi à moitié, pensez à l’éditorialiste amusant que peut être Dany Laferrière, et rajoutez-y l’urgence du cri.

À la lecture de ce récit, au mieux, vous apprendrez beaucoup, au pire, vous réfléchirez beaucoup, mais une chose est certaine, l'indifférence est exclue.

Tout bouge autour de moi, Récit, Dany Laferrière --- Mémoire d'encrier ---

***
Tristan Malavoy-Racine, rédacteur en chef du Voir cerne ce récit en peu de mots. Je nourris une vive admiration pour son art de la concision, sa critique complète ici.

"Dans ces textes brefs, sobres, sortes de vignettes accompagnant les images d'un drame, Dany Laferrière - que le hasard ou le destin avait convoqué sur le sol de son enfance - dit le séisme à hauteur d'homme, les bruits d'une ville en état de choc, puis les premiers miracles d'une vie qui reprend ses droits".

9 commentaires:

Beo a dit...

Il écrit plus vite que son ombre :)

Ton appréciation me donne encore plus le goût de lire ce petit dernier. Je pense que si j'avais les 2 derniers en mains, je ferais comme toi et je me plongerait dans celui-ci.

Je trouve que c'est une très belle occasion de faire connaissance avec son style. Dans la majorité de ses romans: c'est du vécu et il nous amène précisément avec lui.

Venise a dit...

Merci de ton commentaire Béo :)

Je suis contente d'apprendre que je ne suis pas la seule à prioriser ce petit-dernier. S'il nous amène avec lui à chaque roman, je vais devenir une abonnée!

Beo a dit...

Je n'en doute pas une seconde Venise!

Anonyme a dit...

Si je ne me trompe pas, c'est ton premier contact avec Dany Lafferière. Je suis content que ça se soit bien passé :-)
Moi aussi, j'ai aimé le ton de ce récit tout en sensibilité (et non sensiblerie) et toujours juste.

Andrée Poulin a dit...

Venise,

J'admire votre franchise quand vous écrivez "J’ai eu honte un instant de mon désir qu’il reste là-bas pour que j’y demeure encore un temps."...

Je crois que bien des gens (y compris moi) ont pensé de la même façon et c'est peut-être pourquoi Dany Laferrière a été critiqué d'être revenu si vite au Québec après le tremblement de terre.

Mais heureusement qu'il est revenu et qu'il a si vite écrit sur l'événement, car nous qui avons lu ce livre écrit dans l'urgence en ressortons tous un peu grandi et un peu plus éclairé sur la situation si complexe d'Haïti...
Andrée

Arsenul a dit...

J,ai lu l'énigme du retour que j'ai adoré, ta chronique me donne le goût de lire celui ci aussi. Je crois que les profits aideront de jeunes auteurs haitïens à venir faire une tournée ou à être publié. Ces temps-ci je lis Gil Courtemanche qui me désole par sa lourdeur, malgré une si belle façon de dire les choses.

Venise a dit...

Tu fais bien Arsenul de rajouter cette précision, en effet, j'avais lu quelque part (?) que les profits iraient pour les jeunes auteurs haïtiens. Geste très honorable de la part de monsieur Laferrière, j'espère que ce fait va compter et que plusieurs opteront pour l'acheter au lieu de l'emprunter.

Bonne lecture !

Venise a dit...

Meslectures (ou Phil !), J'ai tout de suite été lire ton commentaire de lecture. Je n'avais pas réalisé que tu l'avais lu. D'ailleurs, je vais rajouter le lien à mon billet :-)

Venise a dit...

C'est vrai, Andrée, que j'ai été surprise qu'il revienne aussi rapidement mais en fait, dans mon commentaire de lecture, je faisais plutôt allusion au fait que sur le coup j'ai préféré la partie où il décrit ce qu'il vit sur les lieux. La transition vers la deuxième partie a été un peu ardue, et puis tout à coup, j'ai replongé. Il ne te laisse pas en plan, ce Dany Laferrière !

En plus, une fois le livre lu, on comprend très bien pourquoi il a accepté de revenir dès les premières avions mis à la disposition des visiteurs. Je pense que sans que ce soit aussi clair que maintenant, j'avais à coeur de comprendre pourquoi cette urgence de retour ... sans même avoir le temps d'avertir sa mère !