Me voici impressionnée de casser la glace, avec cette tenace impression de m’attaquer à un icône. Attaquer, le terme est un peu fort c’est vrai, mais de la faire traverser le filtre de ma subjectivité équivaut à me l’approprier. C’est le respect que je porte à l’oeuvre, qui peut porter fièrement son titre de classique quant à moi, qui me fait m’avancer avec circonspection. Pourtant, il ne s’agit pas d’une œuvre parfaite, mais forte, ce qui est encore plus grand à mes yeux.
Mon film intérieur s’est braqué sur le couple Agaguk et Iriook, en mode survie dans l’immensité de la toundra, je pourrais dire ces êtres seuls, mais je dirai plutôt marginaux. Parce que s’ils avaient été seuls, l’histoire aurait perdu une dimension importante : la vie en collectivité. La vie dans ce village qu’ils ont quitté, qui semble très loin de leur habitat (igloo 8 mois, hutte 4 mois), tellement les distances s’étirent par les intempéries qui sévissent régulièrement. Les règles barbares et rustres de la tribu, dont le chef est le père d’Agaguk, m’ont servies de repère pour mesurer le degré d’évolution de ce couple que l'on peut traiter d’avant-gardiste.
J’ai été extrêmement frappée d’assister à leur progressive et constante évolution. Au commencement était l’instinct à peine dompté et, au fur et à mesure de cette vie quotidienne, faite de chasse et de débrouillardise, j’ai vu grandir l’apprivoisement des corps par l’esprit. Un peu moins de silence, un peu plus de parole. À ce jeu, la femme, Iriook, même si, dans les faits, suit et obéit, marche un pas devant son homme. J’ai retiré un immense plaisir, qu'Yves Thériault me laisse vivre leurs us et coutumes, en ce qui a trait à la nourriture, la conservation des denrées, l’habitat, et considéré comme un privilège d’assister à leur amour charnel, à l’accouchement, à la transformation de leur relation par l’enfant né comme un fruit mûr.
Mais il y a tant encore dans ce roman ! Les mœurs des Inuits sont exposées, comme si nous y étions et y avions toujours été. Leurs habitudes de vie est passionnante à découvrir. L’action se déroule sur un terrain inconnu d’une civilisée, comme moi, qui va chercher son steak haché maigre chez IGA ! Toute description s’avale goulûment, on veut savoir, on veut apprendre, comprendre, et respirer de grands espaces blancs.
Je reviens à la vie de village, cette dimension non négligeable car s’y trame une enquête policière féroce, suite au meurtre perpétré sur un Blanc. Pour le commerce des peaux, l’abus des Blancs est légendaire, gardant le peuple Inuit dans une pauvreté crasse, ce qui part bien mal l’enquête du policier de race blanche qui arrive dans la bourgade pour faire respecter sa loi. Il en découlera un tortueux jeu de pouvoir entre le chef de la police et le chef des Inuits. Même si cette histoire se déroule en parallèle de la vie du couple, un élément les relie ... je n’en dis pas plus.
Yves Thériault mérite mon admiration pour cette histoire qui reste accrochée au cœur. Il y a ajouté une symbolique qui imprime l’imaginaire d’une force qui traverse le temps. La description du cadre de vie est si précise, si ancrée dans une réalité, n’ayant en cela rien à envier à tout documentaire peaufiné, mais qui, pourtant, reste vouée au seul but de prêter vie éternelle aux personnages.
Agaguk, Yves Thériault, TYPO, 346 pages. (Première édition Bernard Grasset Paris-Québec en 1958)
30 commentaires:
Ma dernière lecture d'Agaguk remonte à un long moment déjà.
Je l'avais découvert à l'école à l'occasion d'une lecture obligatoire, car je n'étais pas un avide lecteur à ce moment-là (et ne le suis presque plus ces temps-ci).
J'avais non seulement aimé l'aspect aventure, mais aussi le côté survie individuelle, une fois que la tribu te rejette (ou que le héros rejette la tribu!) pour toutes sortes de raisons appartenant aux contraintes des groupes ou aux idéaux individuels.
Le plus étonnant dans ce roman - qui se distingue apparemment du reste de l'oeuvre de Thériault - c'est la gageure à la base de sa rédaction. En effet, Thériault aurait voulu provoquer son entourage littéraire en disant: "Moi aussi, je vais écrire un best-seller!"
Cela reste à confirmer...
Moi, j'ai lu ce livre presqu'à sa sortie. Cette phrase ne me rajeunit pas. Je dirais même plus, à sa sortie.
Je dévorais déjà les livres. Par chez-nous, il n'y avait pas de bibliothèque et j'avais convaincu mes parents de m'abonner à un club de livres.
Et un mois, j'ai reçu Agakuk. Que j'ai lu et beaucoup apprécié. Mais, il faut que je vous dise que je me sentais un peu, beaucoup même, à l'index, un peu comme si je lisais quelque chose que je ne devais pas lire.
J'étais la plus vieille de la famille dans ce pays très catholique de l'époque et déjà la plus instruite et une sorte de filtre pour mes frères et ma soeur, disons-le, j'étais une censure. Et il y avait des bouts assez osé dans ce livre pour l'époque...
Quelques 15 à 20 ans plus tard, ce livre se lisait dans les écoles. Nous avons beaucoup changé en peu de temps.
Je me répète, si vous tombez un jour sur Cul-de-sac, n'hésitez pas.
Je dois avoir lu ce petit livre une dizaine de fois...
C'est le premier roman québécois que j'ai lu à l'adolescence et ce fut un choc, un moment très important qui allait conditionner le reste de ma vie et mon intérêt pour la littérature québécoise. Depuis, j'en ai lu d'autres du même auteur qui, aujourd'hui, est presque tombé dans l'oubli. Ashini, La fille laide, Le dompteur d'ours, Contes pour un homme seul, etc. Je me souviens de l'avoir rencontré au Salon du livre dans les années 70. Je suis content que vous l'ayez apprécié.
Ashini, à mon avis, est meilleur qu'Agaguk. Mais c'est aussi plus minimaliste, moins spectaculaire et plus contemplatif que l'autre, malgré une fin tragique.
Je suis bien content que tu aies apprécié ce classique, chère Venise. Moi aussi, à l'époque (ça fait longtemps!!), je l'avais aimé. J'avais été aussi marqué que toi par l'importance accordée aux moeurs inuit, tant ils sont loin de notre quotidien. Reste à savoir la part de fiction et la part de véracité documentaire dans tout cela: avec le recul, je me dis qu'il faut fort probablement garder un oeil critique et ne pas tout prendre au pied de la lettre!
Néanmoins, j'avais été agréablement surpris par le récit, et m'étais laissé embarquer par l'intrigue. Un bon moment de lecture, quoi!|
Trader : Si vraiment, c'est la gageure qu'il avait prise, elle a dépassée ses espérances. Un Best-seller est une chose ponctuelle, mais s'inscrire dans le temps, endossant le titre de classique en est une autre.
Je suis contente de te lire, Trader.
C'est vrai, Ginette, si on recule dans le temps, facile de comprendre que certaines scènes aient passé pour osées, d'où votre sentiment de "désobéir" à quelque loi de morale !
J'espère que vous l'avez un jour relu avec plus de confort !
Ma mère a eu longtemps ce livre sur sa table de chevet, ensuite il a trainé partout dans la maison. Pourtant, ma mère ne lisait pas de roman. C'est dire !
Voilà un livre qui a traversé l'histoire avec nous, j'espère qu'il est encore lu par la jeunesse (?)
Enfin, vous, Réjean !!! Combien de fois je me suis posé la question, mais qu'est-il est advenu de Réjean ? Vous m'avez manquée :-).
Un roman marquant pour vous. Je le comprends aisément ! Je m'imagine que l'avoir lu jeune, il m'aurait fait cet effet. Pour moi, cela a été "Bonheur d'occasion".
Je dois absolument lire d'autres d'Yves Thériault, alors je retiens vos titres. Ils me disent tous vaguement quelque chose, je suis la preuve vivante qu'ils sont tombés dans l'oubli ! Difficile à comprendre, cet oubli, s'ils sont à peu près du calibre d'Agaguk.
Vous êtes chanceux de l'avoir rencontré.
Trader, Comme vous êtes deux à avancer ce titre, Ashini, je prends des notes. Merci.
Pierre-Greg : C'est plaisant commenter quand on a lu le titre, ça prend un autre sens. Cela ne m'arrive pas si souvent dans La Lucarne à Luneau, nous sommes donc quittes.
Pour la part de véracité, chez TYPO, ils ont cru bon rajouter cet avertissement :
L'action de ce roman se déroule chez les Esquimaux tels qu'ils étaient dans les années quarante. Que leur vie soit aujourd'hui modifiée par l'invasion du progrès dans l'Arctique est indéniable.
"L'invasion" du progrès : ça ne donne pas une idée si positive du progrès ! J'ai été surprise qu'ils utilisent Esquimaux pour désigner les Inuits. Marc me dit que c'est un terme un peu péjoratif, puisqu'inventé par les Blancs signifiant "Les mangeurs de viande crue".
Si j'ai bien compris, ce n'était pas une lecture obligatoire, tu l'as choisi de ton propre chef.
Ashini est sur les tablettes de la BNaQ.
Encore une fois, pas aussi spectaculaire (quoique...), mais j'aime bien son côté plus dépouillé.
Ashini ou Agaguk, dans les deux cas, il y a du Thériault: pleinement lui-même, authentiquement lui-même et condamné à être vivre en nomade parmi les siens.
Comme Trader j'ai découvert Agaguk par un travail scolaire obligatoire. Curieusement je me rappelle plus avoir laissé le livre dans un état pitoyable avec toutes les annotations que j'y avais fait que de l'histoire elle-même mais grâce à ton résumé tout me revient maintenant.
J'aimerais bien retrouver plus souvent de ces classiques québécois dans la boutique de livres usagés de ma région.... Y a bien un "vieux" Michel Tremblay acheté 1 écu cet été et qui traîne sur une tablette de ma biblio mais c'est tout.
Je ne voudrais pas faire désordre dans cet univers littéraire mais le film qui a été fait sur Agaguk est fidèle au roman dans le message et les émotions qu'il transmets par l'image.
C'est aussi une oeuvre qui date pas mal mais qui traverse très bien le temps.
Une lecture que j'avais bien aimée aussi.
Surprise!
Je ne sais trop comment mais Agaguk a été sauvé du déménagement.
Et c'est bel et bien l'édition de 1958.
Gaétan : Je suis d'accord, dommage qu'il ne s'en retrouve pas plus. Mais les romans dont on a aimé la lecture, on a tendance à les garder.
Je suis contente que mon résumé t'ait rappelé l'histoire. Je résume hâtivement, car je me dis qu'il y a le quatrième de couverture à consulter.
Le film. Béo, c'est gentil de me le rappeler, c'était vague dans mon esprit. Je ne manquerais pas une occasion de le voir.
Mais savais-tu qu'il avait aussi été fait en BD voici un peu plus d'un an ? Je l'ai achetée récemment, d'autant plus que je considère Yvon Roy l'illustrateur comme un ami. Je vais la lire bientôt.
Phil, J'ai essayé de retrouver ton commentaire de lecture et comme je ne sais pas quel mois ...
L'édition de 1958 !? Ginette, je vous trouve chanceuse. C'est précieux.
J'ignorais pour la BD, encore plus le fun pour diffuser cette belle histoire au sein de la jeunesse.
Béo : Exceptionnellement, je vais la commenter sur Le Passe-Mot. Je dis exceptionnellement, car je me sens un peu maladroite pour commenter des bandes dessinées. Surtout pour parler du dessin !
Je me souviens avoir lu ce roman, à l'époque où j'étais au Cegep, ainsi que la suite, Tayaout, quelques années plus tard (celui-ci ne devait pas avoir paru encore au moment où je lisais le premier). Agaguk c'est un souvenir, et nous devons être reconnaissants à Yves Thériault d'avoir raconté la façon de vivre de ces Inuits, la façon de vivre traditionnelle, mais avec quelque chose de plus encore puisque comme vous le dites Venise Agaguk avec sa femme ne craint pas de vivre une vie solitaire, loin du groupe, c'est un Inuit, mais vraiment un fort. La vie de Tayaout va déjà être pas mal différente, parce que tellement de choses auront changé. Il me semble me souvenir que ce livre était à l'étude au Cegep, c'est pour cela que je l'ai lu sans doute, mais j'ai aussi lu plusieurs autres livres d'Yves Thériault, qui est un auteur que j'appréciais beaucoup. Il me semble que j'ai lu un livre aussi de sa fille, une de ses filles, qui écrit elle aussi.
Le plus simple est d'utiliser mon onglet : liste des lectures et de chercher par auteur :-)
Voici le lien : Agaguk.
Mais ma foi, Phil, je l'ai pas trouvé le sapré onglet. J'y retourne ! Merci.
Tu en sais des choses, Amical Support ! C'est très vague dans mon esprit mais effectivement, il me semble que sa fille écrit.
Tu me donnes toi aussi le goût de lire d'autres titres. J'espère que je vais être chanceuse dans les bouquineries.
Sa fille c'est Marie José Thériault. J'ai lu L'envoleur de chevaux et autres contes, il y a deux ou trois ans. Elle écrit de la poésie, des nouvelles et des romans et elle a fondé une maison d'édition, Le dernier hâvre. Ça je le sais parce que j'ai cherché, j'ai donc retrouvé le titre du livre que j'ai reconnu et d'autres renseignements.
Bien du merci à vous, Amicalsupport, d'avoir été à la cueillette de renseignements. On ne peut pas dire que nous ayons beaucoup entendu parler de sa fille, auteure, Mari Josée.
Si je vois un de ces titres, j'ouvrirai l'oeil.
J'ai découvert ce classique il y a 11 mois (oui, oui, je me souviens précisément du moment de ma lecture car je l'ai tranquillement apprécié dans un petit chalet que nous avions fait l'an passé avec mini pitchounette). J'avais aimé la force du récit qui arrivait ;a me transporter dans le froid, la sauvagerie, une autre culture et le mode de survie.
Kikine : On y est tout à fait, hein ? Je l'ai lu pendant la canicule, c'en était rafraichissant.
Quand un auteur a le pouvoir de nous planter un décor - n'appelons plus ça un décor mais un univers, c'est un vrai !
Bon, va falloir que j'y passe, quoi, et que je m'y mette sérieusement !!!
Publier un commentaire