Avec ma manie de ne pas lire les quatrièmes de couverture, j’ai parfois l’impression d’être projetée dans un pays que je n’aurais pas pointé sur le globe terrestre. À la lecture des premières pages, je me suis entendu crier « Mais où donc suis-je abouti ? ».
Le personnage avec qui on fera corps est Ambroise, cuisinier dans un camp de mine d’or à même la terre de Baffin où il nous relate un pan de sa vie. L’histoire commence le jour où il apprend le meurtre de son frère avocat, Rosaire, vivant à Iqaluit, à deux jours de traineaux de la mine. Il vivra son deuil à la manière introspective, définissant mieux sa relation fraternelle en reconstituant la vie de cet aîné qu’il a toujours envié pour son panache. Nous apprendrons à connaître jusqu’au détail de la vie sexuelle de celui qui est décédé, accidentellement ou par meurtre, telle est la question à élucider par une enquête à laquelle Ambroise tient à se mêler. En fait, nous apprendrons à connaitre aussi bien, sinon mieux, le disparu que le survivant.
Avez-vous déjà pensé que, même si nous sommes le personnage principal de nos rêves endormis, rarement y sommes nous bien définis, ce sont plutôt les autres s'articulant autour de nous qui nous définissent. Avec Ambroise, même chose ! Une intimité dans le ton s’installe, créant l’impression de partager une même bulle, sans autocritique. Donc, pas de recul et la difficulté qui en découle de ne pas cerner le sujet, en l’occurrence, le personnage principal.
Le repère temps m’a parfois échappé. Un tel foisonnement de pensées habitaient Ambroise que j’avais l’impression que des jours s’écoulaient, tandis que c’était des heures. On l'accompagne dans son malaise progressivement, je dirais timidement. Il nourrit la ferme intention de se rendre sur les lieux du crime, mais tout l’en empêche. Son patron qui lui commande, comme si de rien n’était, un grandiose festin pour son mariage, son attraction envers Marcelline qu’il observe et adore en silence, avec la peur de la perdre avant de la gagner.
Cette lenteur, ce peu de mots, cet écart de temps entre les décisions et les actions, rende bien l’ambiance des grands espaces où l’on est confiné à un froid excessif qui ralentit, immobilise, gèle gestes et actions. L’effet de mystère s'amplifie par les doutes et tergiversations du cuisinier qui nous fait danser sur place. Son sentiment d’amour vis-à-vis la belle glaciologue, Marcelline est-il assez fort pour vivre au plein air ? La complicité entre les deux est amicale, est-ce qu’elle en restera là ? C'est une part d’intrigue se rajoutant à celle de l’enquête.
Aimez-vous cuisiner, aimez-vous vous pencher sur la gastronomie ? Eh bien, vous serez royalement servi si c’est le cas. Une gastronomie nordique puisant dans les denrées du terroir alimente grassement le récit et nous ménage des surprises. L’auteure s’arrête et prend le temps d’expliquer dans le détail, ne brisant pas tant le rythme qu’il est déjà lent.
Nous pénétrons les mœurs et coutumes du Nord avec ce quelque chose tout à la fois surprenant, rafraichissant et instructif. Quoi demander de plus pour ma première visite dans le Grand Nord ?!
15 commentaires:
Le titre lui-même est inspiré par quoi? C'est très grec, en fait, et ça m'intéressait... mais maintenant que je vois quelle est l'histoire, et ce que tu en dis, ça m'intéresse pas mal moins...
Voici ce que dit Wikipedia de la polynie. Merci à Mélanie Vincelette de nommer la réalité nordique: lire Polynie, c'est aussi découvrir un territoire qui, en raison d'un hiver si long, vit ses règles. Et voici wikipedia: Une polynie est une zone qui reste libre de glace ou couverte d'une couche de glace très mince au milieu de la banquise en Arctique ou en Antarctique. On retrouve les polynies d'une année à l'autre à peu près aux mêmes endroits, même si leurs formes peuvent varier. Les polynies peuvent atteindre plusieurs centaines de kilomètres carrés. Les polynies de la mer de Weddell sont particulièrement remarquables.
Le mot polynie est un emprunt lexical au russe, le nom russe полынья signifiant « trou dans la glace ». Les explorateurs polaires du XIXe siècle ont adopté ce mot pour désigner les zones libres de glace.
Anne Brigitte Renaud
ah, je me demande, je me tâte, je ne sais pas....en même temps, c'est tentant......j'hésite ?
Ah, mais tu as déjà une réponse très complète de Anne Brigitte.
Qu'est-ce qui te fait supposer que Polynie est une réalité grecque ? Ça m'intrigue.
J'ai aussi aimé ce qui en a été dit dans la critique de la journaliste Chantal Guy : c'est le nom que l'on donne à ces trous «éternels dans la glace». "Une source de vie et de nourriture inespérée dans l'hiver polaire".
Le symbole est de toute beauté. La nourriture pour la survie mais surtout pour le plaisir du palais est un thème omniprésent.
Anne Brigitte @ Un gros merci. J'ai pensé à plusieurs reprises en parler dans la critique, j'ai hésité, tellement je voulais être juste dans les termes. J'aurais aimé retrouver les passages où l'auteure en parle, mais j'aurais dû relire le roman au complet, ce qui ne serait pas déplaisant mais j'en ai tant d'autres à lire !
Anne : Ça a bien l'air que j'ai sorti une critique où tout le monde hésite. J'en ai su quelque chose par les coulisses !
Plus je te lis, plus c'est ce que tu écrit qui m'intéresse, souvent plus que le livre dont tu parles.
Cette fois, tu écris: "Avez-vous déjà pensé que, même si nous sommes le personnage principal de nos rêves endormis, rarement y sommes nous bien définis, ce sont plutôt les autres s'articulant autour de nous qui nous définissent."
Rien que pour cette phrase que j'ai relue trois fois pour bien la comprendre et en saisir toute la portée, je te dis merci. Qu'il vienne d'un livre ou de la vie, ça paraît que tu aimes l'humain, tu le connais, tu nous le présentes sous différentes facettes, toujours du beau côté.
Zut: "ce que tu écris".
entièrement d'accord avec Claudel !
Et elle a parfaitement raison notre gentille Claudel!
Euh concernant «Polynie», je l'ai commencé il y a quelque temps et je l'ai refermé après quelques chapitres. Je n'ai pas souligné cet abandon car très honnêtement, je n'avais rien à dire sauf peut-être que dans le peu que j'en ai lu, j'avais l'impression de tourner en rond....
Tout est dit, bien présenté par Venise. Mélanie Vincelette devrait en être contente, selon moi.
ClaudeL : Tu es le bon génie de l'encouragement ! J'apprécie beaucoup tu sais. Je pense d'ailleurs que tu sais, tenant toi-même un blogue. On se nourrit de ces appréciations. Merci beaucoup.
Tu vois juste, l'être humain est ma toute première passion.
Merci à toi aussi, Anne, ma si fidèle !
Suzan : Je comprends ce que tu veux dire, cette sensation m'a atteinte légèrement au début. Faut croire que j'étais très curieuse, ce que je n'ai pas regretté en bout de ligne.
Andrée : Contente de t'entendre dire que Mélanie Vincelette en sera satisfaite. C'est mérité !
Elle a un style et quand je parle de style, je ne comprends pas seulement la manière d'écrire mais ses sujets.
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