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mercredi 11 mars 2009

Éloges

Rare que je m’offre un « beau livre ». Remarquez, je sens le besoin de mettre l’expression entre guillemets pour l’exceptionnel de cette soudaine unanimité sur les critères de la beauté. Qu'est-ce qui détermine la qualification de "beau livre" ? N'est-ce pas tout simplement le dispendieux du livre, l’épaisseur du papier, le glacé des photographies qui le déterminent ?

Je vous désenchante peut-être, pourtant je désire fort faire l’éloge de Éloges. Ce cadeau à offrir ou se laisser offrir (mon cas !) pour se faufiler dans des loges de théâtre, de cinéma, de télévision. 85 comédiennes y sont photographiées, sur ce nombre, 21 s'y livrent généreusement : Andrée Lachapelle, Josée Deschênes, Isabelle Blais, Macha Limonchik, Céline Bonnier, Béatrice Picard, Maude Guérin, Marie-Hélène Thibault, Pascale Montpetit, Guylaine Tremblay, Louise Marleau, Rita Lafontaine, Élise Guilbault, Anne-Marie Cadieux, Sylvie Léonard, Sylvie Drapeau, Anne Dorval, Fanny Mallette, Marie Tifo, Catherine Trudeau, Sophie Cadieux.

De ces entretiens, nous n’entendons pas les questions, nous recevons les réponses. Elles se lisent dans un souffle passionné, du spirituel proche du rituel. Du singulier aussi, se tenant près de la bizarrerie. J’imagine le doigté qu’il a fallu à la photographe, Martine Doucet, et à la journaliste intervieweuse, Ariane Émond pour arriver à ce que chacune s’épanche à ce point, nous révélant des secrets d’alcôves de scène. Elles nous confient tout, comme si elles déversaient un trop-plein depuis longtemps endigué : leurs tics, leurs tracs, manies, habitudes, superstitions, vision de la vie et du métier, et bien sûr comment elles s’approprient leurs loges. Comment elles l’habitent. Comment et elles la vivent ; en réclusion, en communion, en silence, en état de veille, en effervescence, chacune connaît les balises de ses besoins et les respectent religieusement. Il y a du sacré dans l’air.

S’il y a un éloge qui ne tarit pas, c’est l’éloge des loges. Elles sont unanimes, elles vénèrent ce lieu, cet entre-deux, cet antichambre consacré à la passation de l’imaginé vers l’incarné. Toutes s’y enfoncent comme dans un cocon, c’est l’utérus qui protège le personnage à naître. C’est le vase clos où tous les miroirs les renvoient à leur soi qui se mire.

La photographe mire l’omniprésence du miroir qui double les reflets d’un sourire tendu, d’une crinoline, d’un châle, d'une perruque, un filet à cheveux, une plume, un sourcil arqué et méchant. Apparaît sous nos yeux furtivement et par brides le personnage en composition, morcelant la femme qui s'abandonne à cette décomposition avec sérénité. Laissant apparaître l'incongruité de la tête bigarrée de mère Ubu sur une Marie Tifo encore en jeans de ville. Ni tout à fait elle, ni tout à fait son personnage. Comme le lieu de la loge, ni tout à fait la vie, ni tout à fait la scène.

Même si les superbes photos occupent une place maîtresse, la femme de mots que je suis a été rassasiée, comblée. Les confessions sont longues et sans retenue. Laissée au pas de la porte, la pudeur. Les prêtres auraient dû confesser dans des loges, elles ont un effet magique !

La permission d’entrer dans une loge est rare, de là j’imagine cette sensation persistante de voyeurisme. Les photos éclatent de vérité, les comédiennes se donnent à l’image, habituées de se donner en représentation, une aura surnaturelle enveloppe chaque pore de leur peau nue. Elles se laissent capturer, jusqu’à quelques minutes avant leur entrée en scène. C’en est presque indécent, un peu gênant en tout cas, de longer avec elle la coulisse de leur vulnérabilité, juste avant le saut dans le vide.

Martine Doucet, une voleuse d’âme ? Plutôt, une chasseuse d’images qui voit l’âme voler.

Extrait d'un article de Claudia Larochelle - Journal de Montréal, paru le 22 octobre 2007.
Pascale Montpetit se couche par terre les pieds contre le mur pendant plusieurs minutes. Andrée Lachapelle fait un signe de croix et énumère tous les gens de sa famille qui sont décédés. Guylaine Tremblay est si zen qu'il lui est déjà arrivé de rater une entrée parce qu'elle discutait tranquillement avec le metteur en scène. Marie Tifo fait la sieste. Céline Bonnier est capable d'avaler un rôti de porc frais, Sylvie Léonard ne laisse rien sortir de sa loge avant la fin de toutes les représentations, quitte à y laisser pourrir le bouquet de fleurs reçu à la première...

Éloges – Photographies Martine Doucet – Entretiens Ariane Émond – (en bonus, une nouvelle de Évelyne de la Chenelière). Éditions du Passage, 276 pages, 39.95 $

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Ah sirop je ne déteste pas m'offrir ou me faire offir,(grand sourire), ce genre de petit trésor qui semble tout à fait magnifique d'après ton commentaire. (Hum...réflexion).

Danaée a dit...

Un univers que j'aime beaucoup, le théâtre. Beau livre...