Notre rédactrice de la Recrue, Catherine Voyer-Léger n'a pas son pareil pour relier et colorer chaque numéro de notre webzine. Encore ce mois-ci, son mot m'épate. Personnellement, comme je n'avais pas voté pour le titre de la Recrue du mois, j'ai couvert le premier roman de la très prolifique femme de théâtre Évelyne de la Chenelière en repêchage (3 repêchages à chaque mois)
Exercice de jonglerie
« Avec une énergie loin du désespoir, lucide et vitale, Évelyne de la Chenelière explore dans son premier roman le gouffre qui éloigne et sépare, malgré eux, les êtres les plus semblables. » Je suis assez d’accord avec cette assertion trouvée en quatrième de couverture. Ce qui n’est pas toujours le cas, vous en conviendrez. Mais l’affirmation peut être prise dans plusieurs sens, vous allez voir.
Ce qui m’a le plus charmée est indéniablement le style de l’auteure, ces tournures de phrases qui retentissent comme des vérités d’où l’on peut prélever à loisir maintes et maintes sentences qui font réfléchir. Il y a dans ce texte continu une pensée qui porte. Il est clair que la voix narrative mature a du vécu, de l’expérience et donc des opinions, et du talent pour les écrire.
Mais l’histoire, elle ? Comment se fait-il que je n’en ai pas encore touché mot ? C’est que la trame est bien mince. On suit les pas d’un homme à travers la ville, il se dirige vers la femme avec qui il a, ou a eu, une histoire d’amour. Elle l’attend dans un restaurant. Immobile dans son corps, mobile dans son esprit. Ils font chacun de leur côté le bilan de leur histoire de couple.
Abordons la forme maintenant. Je ne parle pas du style, mais comment est présenté le texte. Il y a trois parties dont je n’ai pas su détecter les contours. Il n’y a pas de chapitres. L’auteure donne la parole à un et à l’autre avec comme seule division un interligne de plus. Confondant. En tout cas, moi, j’ai été confondue, d’autant plus que l’on nous annonce des êtres semblables, tellement semblables que j’en ai perdu leur identité, leur individualité. Est-ce l’homme qui s’exprime, ou la femme ? Est-ce si nécessaire de faire la distinction ? Est-ce que cette confusion est désirée ou désirable ? Comme je ne peux répondre à ces questions, la confusion demeure. À moins que la réponse se trouve dans l’incipit ? « Je reste bouche bée devant la langue française qui a eu la fantaisie de donner un sexe à toutes les choses. »
On s’interroge sur tout dans ce texte et on répond à tout, sans trop en avoir l’air, avec cet art consommé du flou. Du trouble. Du troublé. Ce qui en fait un exercice de jonglerie pour amoureux des sens de la vie.
« Tu te souviens quand on répertoriait, ensemble, tout ce qu’il faudrait changer, et qu’il faudrait arracher les sexes de l’érotisme, les langues du langage et les biens de leurs propriétaires. Il faudrait extraire l’encre des livres, et l’ivresse des bouteilles, et la clarté de la lumière, et l’amour du cœur des hommes … »
À lire si on accepte le flou et d’être un peu floué sur l’histoire qu’on attendait.
La concordance des temps, Evelyne de la Chenelière, Leméac, 2011, 140 p.
17 commentaires:
ça rend curieux de savoir si c'est fulgurant, ou nébuleux - ou les deux ensemble en même temps ?
Oui, tout comme Anne, ça m'a fait cet effet!
Toi, ça t'as beaucoup dérangé, Venise?
En partant, le titre ne m'attire pas. En fait, oui, il m'attire, mais j'ai cru à un précis de grammaire. Je me demandais bien pourquoi tu aurais lu ce livre, mais je vois que c'est bel et bien un roman.
Je jetterai un coup d'oeil.
N'empêche un livre sur la concordance des temps, j'en aurais bien besoin, c'est une de mes (nombreuses) faiblesses.
Anne : Le style est remarquable, l'histoire beaucoup moins. En fait, je vois son style comme un prétexte pour écrire. Mais cette femme avait beaucoup à dire et de l'intelligent.
Bonjour helenablue ! Je m'ennuyais de tes commentaires ;-). Le temps emporte nos heures un peu trop loin de soi, on manque de temps pour se fréquenter.
Si tu aimes les exercices de style, tu aimeras. Si tu t'attends à de l'histoire dense, tu seras déçue. Ça s'approche presque du carnet de réflexions mais qui décolle du terre-à-terre.
Claudel : Je pense Claudel que tu préfères les romans avec une histoire forte (à moins que je me trompe !). Est-ce que un style va te chercher assez pour te garder captive ? Ce sont les questions à te poser. On est bien loin de la grammaire, sa question est à la limite du philosophique.
On manque de temps parce qu'on ne le prend pas! C'est dommage.
Ta plume, ton regard, ton ressenti comptent, pour moi.
Et même si je ne suis pas toujours active, je suis.
Avec toute mon amitié.
Helenablue
( parfois je me dis qu'Hélène aurait été suffisant!, mais c'est sûr moins personnage de roman!)
Hélène ! Je me permets ce Hélène puisque tu le permets. Maintenant que je te vois comme un être de chair et d'os, pourquoi alimenter le roman quand la réalité est si satisfaisante.
J'ai pris le temps, quitte à l'arnaquer pour aller faire visite chez vous, chez Blue.
Ce sujet m'intéresse; je veux dire le gouffre qui se produit entre des êtres semblables; je vais essayer de trouver le livre à ma bibliothèque. C'est quelque chose que j'ai constaté dans ma vie, alors je suis intéressée à lire quelqu'un qui en parle; avec un si beau nom, cette femme. Il arrive que certains voient comme une menace les relations qui peuvent exister entre personnes qui se ressemblent beaucoup, croyant que ces personnes vont se liguer contre eux, vont devenir un peu trop fortes dans leur genre, alors ils s'évertuent à empêcher ces relations. C'est comme ça que je vois ça.
Amical Support : Ce que je peux rajouter est que dans ce bref roman, c'est un tête-à-tête avec ces deux personnes, alors personne essaie de les séparer, à part eux-mêmes.
je trouve intéressant comme partage
Remarquez que je parlais plutôt de relations amicales entre personnes du même sexe, alors qu'ici c'est un couple homme-femme; je veux tout de même lire le livre. Est-ce qu'elle a plusieurs oeuvres cette femme?
Je viens de le terminer et j'ai été complètement séduit. J'avais de hautes attentes suite à de bonnes critiques et le livre a supassé ces attentes! Ce n'est pas peu dire. J'ai adoré la confusion entretenue entre l'homme et la femme et aussi les jeux avec le passé et la personnalité des personnages qui s'en sont trouvés affectés. J'ai adoré.
Je viens de terminer ma critique sur mon blogue, alors je me permets de vous glisser le lien: http://maxxximee.skyrock.com/3011689999-Confusion-sexuelle-et-temporelle.html
Il y a vraiment des personnes qui disent n'importe quoi dans les commentaires.
Davide de http://www.assurance-sante.fr
Davide : Il faut de tout pour faire un monde et j'aime le monde !
Bienvenu ici, votre visite me fait plaisir.
Merci pour cet analyse, je ne manquerai pas de lire ce livre si j'en aurai l'occasion
Merci pour le partage c'est très intéressant.
Louise de http://www.mutuelles.org
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