J’ouvre mon carnet de note des Correspondances d’Eastman et réalise que j’en suis à l’entretien de Danielle Bombardier avec Dany Laferrière qui a eu lieu samedi, 5 août à 14 h 30.
Danielle Bombardier nous la sort d’entrée de jeu « Ce serait présomptueux de dire que l’on anime une rencontre avec Dany Laferrière ! » L’humilité du sujet concerné s’ébroue. Je suis d’accord, les réponses de Dany Laferrière vont au-delà des questions et en cela on peut dire qu’il mène les entrevues. Tellement, qu’il m’est arrivé de me demander s’il avait oublié la question, parce que moi, je les ai presque toutes oubliées !
Une manière de demander comment ça va « La vie est bonne pour vous ?! » et Dany Laferrière de répliquer « Oui, mais il faut la forcer un peu » (belle manière de répondre « ça va pas si mal » !). Suit une question ou une remarque, qu’en sais-je, mon carnet ne le dit pas et ma mémoire encore moins. Dany Laferrière se méfie du concept « progrès » comme il s’entend aujourd’hui, ce qui nous mène droit au pays de l’enfance. S’il est en exil, c’est de son enfance surtout, de cet endroit dont on ne revient jamais. L’écrivain aime recréer l’enfance afin d’inviter le lecteur à entrer de plain-pied dans la sienne. Au lieu de parler de littérature de l’exil, parlons de littérature du mouvement. Il n’y a que pour le folklore que les choses ne bougent plus.
Sa grand-mère a monté un cercle autour de l'enfant qu’il était, pour le tenir à l’écart de l’écho mauvais de Duvalier. Il savoure encore ce geste protecteur, même s’il a maintenant compris qu’elle s’offrait un cadeau car, ce faisant, elle se donnait la permission de s'en écarter elle aussi pour lui tenir compagnie.
Toujours sur le thème du temps qui passe, pour monsieur Laferrière, le talent est affaire personnelle, tandis que le génie est une histoire d’époque. Une élite, à un moment déterminé de l’histoire, définit les codes du génie pour ensuite les attribuer aux gens. Il est dangereux de fixer le talent dans une définition de génie, ça porte à inculquer une éducation de l’agenouillement. On s’agenouille devant les génies, amenant nos enfants dans les musées, on leur présente Renoir, cet incomparable génie, à un concert, Mozart, cet extraordinaire génie. Le message envoyé est qu’il n’y a qu’un Mozart, que la place est déjà prise. Bien sûr, il pousse l’image à souhait, mais je crois comprendre que ce qu’il défend est de laisser la vie fluide, libre, ne pas l’étreindre par des concepts qui endiguent son mouvement. Il n’y a pas plusieurs génies, il y a le génie libre des définitions d’époques.
Mes impressions
On s’attend toujours beaucoup devant un Dany Laferrière, et de plus en plus en fait. Ça peut devenir une spirale ascendante sans fin. Peut-être en est-on arrivé à lui demander d’être un génie de l’inspiration. Cette renommée peut être un poids, et je me suis demandé s’il ne trouvait pas ça lourd à porter. Il m’a semblé être dans un de ces moments où on ménage son énergie, après une période extravertie et exubérante. Vous l’avez entendu tourner autour du thème liberté ? Dans le fond, il y revient continuellement à cette liberté. Ne pas céder à la pression de notre siècle et des attentes des autres. Il dénude mots et concepts pour ça, que les mots ne tombent pas comme des poids lourds sur des réalités immuables.
Danièle Bombardier connait son sujet. C’est remarquable la confiance qu’elle éprouve vis-à-vis Dany Laferrière et leur relation en public. Elle n’a pas que confiance en lui mais suffisamment en elle pour capturer le moment quand il passe. Ses questions ne sont pas les maîtres à bord, plutôt l’inspiration. C’est déjà beaucoup mais c’est plus encore, elle se libère du temps, arrivant à oublier la notion d’une heure et quart d’entretien. Elle se détend, écoute, et ne semble pas courir après la déclaration fracassante.
Enfermer un entretien de ce genre dans des mots est l’emprisonner, j’en suis consciente. Il y a des entretiens plus faciles à emprisonner, celui-ci ne l’était pas. Va de soi que cet entretien était beaucoup plus que ce qui est écrit ici.
5 commentaires:
Très agréable à lire ce billet, léger et profond à la fois. Ca devient rare !
ça a dû être un moment très riche à vivre, nourrissant. Un moment de valeur.
Pour avoir entendu Danièle Bombardier à quelques reprises, je suis d'accord avec toi, elle ne mène pas les entrevues comme tout le monde. Ce n'est plus une entrevue, mais une rencontre.
(Une vidéo plantée tout seul à côté, ça ne te tente pas? Tu pourrais réécouter les cafés au besoin. Mais finalement, tu nous fais partager l'atmosphère, ce qui se dégage de chacun et c'est très bien)
Je suis tellement d'accord avec toi: Daniele est douée et sensible. J'aimerais bien la revoir a la télé dans une grande émission littéraire comme Plaisir de lire.
UNE rencontre avec ce DAnny c'est toujours un moment, il faut savoir apprécier les gens, même s'ils s'économisent, mais s'ils sont sous leur moins meilleurs jours. On oublie que les écrivains étaient autrefois des gens solitaires. Aujourd'hui on leur demande d'être beau, d'être vedette, un peu chanteur de rock quoi! Pourtant si l'écriture était une voix/voie pour eux, c'est peut-être parce que le public ce n'était pas leur force. Mais tu décris très bien la rencontre!
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