J’avais hâte de lire ce roman dont on disait beaucoup de bien.
Le lecteur tombe directement dans un monologue déjà entamé. Il doit donc faire sa place, trouver le fil. Avec un minimum de déduction, il suppose que cette voix qui monologue est celle d’une adolescente. Qu’a-t-elle fait ? Est-elle dans un interrogatoire policier ? Ou chez la travailleuse sociale, la psy ? En tout cas, quelqu’un l’écoute et lui réplique. Mais ces répliques seront tues au lecteur, procédé que j’ai trouvé intéressant.
La jeune Aïcha en a beaucoup à dire, son langage est crédible parce que franchement direct, naturel, et rempli juste ce qu’il faut de frustration pour qu’on ne s’en lasse pas. Les gens qui déblatèrent continuellement sur la note de l’ire aigüe, ça peut avoir un effet usant à la longue. On vient qu’on n’y croit plus, ou de moins en moins. C’était ma crainte au départ. Dans la musique, comme dans la vie, il faut du contraste, donc des pauses pour reprendre son souffle, et ce rythme est bien tenu dans cette histoire.
Vous vous en doutez, les informations sur sa vie, et sur ce qui l’amène à se confier, vont nous être divulguées progressivement. Un dosage contrôlé qui garde le suspense bien en vie. La jeune fille, on s’y attache, mais pas trop et pas tout de suite. Elle nous intrigue, par contre. Elle est un peu comme cet animal de laboratoire dont on étudie le comportement. En tout cas, j’ai éprouvé cette émotion, jusqu’à que je la connaisse mieux. Que je situe ce qu’elle a vécu, qu’un sens soit donné à sa révolte et surtout à son refrain haineux vis à vis sa mère, qui nous apparait pourtant si aimable.
Si ce roman arrive à se complexifier par une voix unique de seulement 14 ans de vécu, qui réclame de l’amour à grands frais de gestes désespérés, c'est parce que la manière de raconter est habile. Sophie Bienvenu fait confiance à son lecteur, lui laisse de l’espace pour supposer, imaginer, compléter, ce qui me laisse entendre qu’elle fait confiance à son style et abandonne le contrôle de ce que nous en comprendrons.
Le bouquet d'émotions dans ce roman est touffu ; sentiment maternel, confusion, ambiguïté, jalousie, exclusivité, mal d’amour, abus de confiance, amour/haine, conquête, couronné d’un thème : combien la jeunesse est manipulable.
Ce roman est venu me chercher, moi qui partais de loin par mon manque de disposition pour entendre une voix d’adolescente saturée de récriminations.
3 commentaires:
Tu viens piquer ma curiosité, avec celui là. Moi qui écoute les ados depuis des lunes, j'ai le goût d'aller voir si elle est 'sur la coche', comme ils disent. :D
ah, celui-là, il est sorti en même temps que "La Solde", et il m'a fait envie d'emblée, ce "et au pire...." m'a accrochée. Je le lirais bien volontiers.
Crédible, troublant, poignant. On se surprend à remercier le ciel de ne pas être dans la peau de la mère ou de l’amoureux par trop aimé. Encore moins dans celle d’Aïcha, incapable de discerner l’amour vrai du faux.
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