Rarement maintenant je lis des biographies, celle-ci sera mon exception, jusqu’à la prochaine. Pourquoi ? Parce que j’aime Normand Brathwaite, ça pourrait être aussi simple que ça. Cette manière de parler de ses sentiments, sans pudeur, ne camouflant pas sa vulnérabilité, ça me plait. Mais si ce n’était que ça. Je suis intriguée, depuis longue date, par le paradoxe que je sens en lui. Je n’arrivais pas à mettre le doigt sur ce tiraillement, me voilà mieux située.
Son métier exige de lui d’être extraverti, quand sa nature le porte à l’introversion, delà un pressant besoin de s’éloigner des autres, se rapprocher des siens pour recharger son énergie. Sa générosité hors du commun le mène droit à la reconnaissance, valeur qui l’a d’ailleurs convaincu d’accepter que la journaliste, Isabelle Massé écrive cette biographie, parce qu’au départ, il n’en était pas question. À Tout le monde en parle, on peut entendre et voir pourquoi il s'est laissé convaincre.
Ma lecture m’a apportée beaucoup plus qu’escompté. Quand on aime un artiste, normalement, on le suit, à moins que ce ne soit Normand Brathwaite ! Il touche à tout, donne l’impression d’être partout, il est difficile à suivre, la preuve, lui-même éprouve de la difficulté à le faire !
La biographe commence par déterrer les racines ; mère québécoise, père Jamaïcain, frères aînés ; des jumeaux. Son enfance entourée d’une famille élargie (tante, grands-parents) tissée serré a fait l’homme qu’il est, c’est indéniable. Il y en a chez qui l’emprise de l’enfance est flagrante, il est un de ceux-là. Peut-être parce qu’il portait en lui, et porte encore, les traces du racisme par le blanc et le noir entre les murs du 4 et demi de la rue St-André.
Sa détermination pour étudier en théâtre, son inclination initiale pour le théâtre expérimental, comment il en est venu à bifurquer vers la musique, puis l’animation, ses amours, ses party, ses amis, ses maisons ... Certains seront peut-etre surpris d’apprendre qu’il se consacre à la réfection des maisons qu’il achète. Ça le relaxe. Comment gère-t-il son argent, quand il en a peu ou quand il en a plus, on va au-delà des blagues récurrentes à ce sujet. Son cheminement sur la voie de la publicité. Son plaisir de survoler la réalité terre-à-terre en hélicoptère, se laissant voler, flotter.
De tout ça, j'ai retenu que Normand Brathwaite est un homme qui surmonte quotidiennement des peurs viscérales.
Le monde de la radio à Montréal sera démystifié, surtout les exigences pour leurs « morning man ». Sa relation affective avec le métier d’animateur radio remplira plus de pages que celle avec Johanne Blouin (même si certains voiles se lèveront). Vous suivrez également les fils emberlificotés de l’histoire de ses départs de CKOI. Il y a moyen de lire « entre les lignes », d’autant plus qu’il en manque à peine une ou deux !
Si vous êtes friand du milieu artistique au Québec, vous serez servis, puisqu’il a foulé tellement de scènes. Isabelle Massé est entré dans les coulisses avec lui, les a fouillé sans laisser de poussière dans les recoins. Vous n’avez qu’à écouter Normand B. en entrevue, il gratte le fond et les débris remontent à la surface.
S’il y en a un qui peut coiffer le titre de workaholic, c’est lui. Sa difficulté à dire « non » cache une insécurité difficile à déloger. Mais la vie le poussera à évoluer. Heureusement d’ailleurs, puisque je serais peut-être à commenter une biographie posthume, ce qui serait infiniment affligeant. De sa profonde dépression, on a eu des relents lors d’un gala où il a remercié sa psychologue d’être en vie pour recevoir son prix. Sa dépression fut grave, pas une pause obligatoire parce que surmené. Madame Massé ne l’aborde pas à la manière sensationnelle, ce n’est pas larmoyant, le ton est juste, sobre, respectueux. En fait, et il est temps que je le mentionne, le ton professionnel et entraînant qu’a maintenu tout au long Isabelle Massé est le fil d’or qui tisse bellement la matière première.
Il serait dommage de ne pas relever une des motivations de la journaliste à rédiger cette bio : le fait remarquable qu’un Noir ait imprimé sa couleur au Québec. Si phénomène il y a, c’est qu’on ne la voit plus sa couleur. De cela, il est fier, en même temps que reconnaissant vis-à-vis l’ouverture des Québécois. Quant à moi, après cette lecture, je lui donne tout le mérite. Son attitude est idéale pour favoriser cette harmonie, la lecture de « Comment travailler comme un nègre sans se fatiguer » pourrait vous en convaincre.
Mes seuls bémols vont au début et à la fin. J’aurais déplacé le prologue « Tout survoler » pour le placer à la fin. Cette fin conclut plus que ne commence et grandit le personnage, et en plus, nous aurait donné un point final retentissant. Tandis qu'en fermant la couverture, on reste sur une frustration irraisonnée « C'est bien beau, mais qu’arrive-t-il maintenant ? ». Comme il n'y a pas de point final, on se demande pourquoi l’histoire ne continue pas ... comme la vie.
9 commentaires:
J'hésitais à lire cette biographie de crainte du déjà su car on en a lu et vu sur ce monsieur depuis un bout. Mais tu en dis et écris tellement de bien que je suis maintenant vraiment tentée de le lire ce bouquin.
Je te le recommande sans aucune hésitation. Tu vas y trouver ton compte, Suzanne.
J'ai pu voir l'entrevue à TLMP et ça m'avait donné le goût de lire ça un jour.
Juste l'entrevue nous montre la fragilité du bonhomme, très heureuse de lire ton compte-rendu!
Béo : Je te souhaite sincèrement de pouvoir mettre la main sur cette bio. Une femme de coeur comme toi ne peut qu'aimer.
Moi, je passerai mon tour sur ce bouquin, tu t'en doutes bien... Mais je suis bien heureux de lire tout le bien que tu en penses... et ta critique est vraiment bien écrite. La preuve? Je l'ai lue jusqu'au bout, malgré tout le désintérêt (pour ne pas dire l'aversion!!) que tu sais que j'ai pour le personnage!!
Bon, celui-là, je passerai mon tour aussi. Je ne lis que les biographies....pas "auto". Parce que j'en apprend beaucoup sur ceux qui les écrivent. :)))
Pierre-Greg : Ah oui, aversion ? C'est beaucoup ça ! Merci alors de m'avoir lue, ça m'honore d'autant plus.
Anne : Ce n'est pas une biographie "auto" c'est une journaliste qui l'a rédigée. Si elle avait été auto, j'avoue que je n'y aurai pas été intéressée, c'est souvent du flattage de bédaine !
Et, en plus, chacun son métier.
J'accepterais une auto, à la toute rigueur, si elle était signée par un écrivain poète par exemple. Quelque chose qui sorte de l'ordinaire.
Je ne le lirai pas, bien que je l'aime plus que PG, mais c'est un bon billet. Jolies bulles à côté, le fond blanc, c'est bien!
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