Faites comme chez vous

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lundi 9 février 2009

Entrevue avec Éric Simard

Éric, de libraire à directeur littéraire, est-ce que ton regard sur la littérature au Québec a changé ?
C’est en train de se faire subtilement, un peu à mon insu. En fait, plus j’acquiers de l’expérience dans l’édition, plus mon regard se modifie. C’est un processus normal. Déjà, je ne regarde plus les livres de la même façon. Maintenant, je porte une attention particulière à l’aspect physique des livres. Je scrute l’objet dans ses moindres détails (le choix de la couverture, la typo utilisée, le texte de la quatrième de couverture, la page des crédits, l’achevé d’imprimer, etc.). Je ne les lis plus les fictions québécoises de la même façon non plus, surtout lorsqu’il s’agit d’auteurs que je n’ai jamais lus. Il me vient spontanément des commentaires d’éditeur. L’aurais-je publié, l’aurais-je fait retravailler ? Si oui, quoi? Enfin, tout le processus qui vient avec le rôle d’un directeur littéraire. Sinon, le simple lecteur en moi prend plaisir à acheter et à lire les œuvres d’auteurs québécois qu’il admire déjà.

2 Quelles qualités devraient posséder un écrivain :

À la rédaction du manuscrit : Ne pas avoir peur de bûcher sur son texte sans calculer les efforts. Prendre le temps de bien peaufiner son texte avant de l’envoyer chez les éditeurs. Accepter que le texte puisse ne jamais voir le jour. Ne pas avoir peur de s’abandonner à l’écriture. La plupart des manuscrits que je peux lire manque d’âme. À qualité égale, c’est ce petit supplément qui fait toute la différence.

Au remaniement du manuscrit : Ne pas avoir peur de bûcher encore sur son texte. Accepter d’entendre les commentaires en mettant son égo de côté. Faire confiance à l’éditeur. Bref, faire preuve d’une grande ouverture.

À la promotion de l’œuvre : Avoir le moins d’attentes possible. Sinon, c’est la déception à coup sûr.

Pour s’inscrire dans la durée : La persévérance.

3 Quel pas s’apprête-t-on à faire ou devrait-on faire pour faire avancer la littérature au Québec ?
Revenir au vrai travail d’édition en accompagnant les auteurs dans le développement de leur travail. La commercialisation du livre nous en a malheureusement éloigné. L’attribution des subventions (au Canada), qui encouragent la quantité à la qualité, oblige les éditeurs à publier beaucoup d’ouvrages souvent rapidement, ne favorise pas non plus cette approche.

4 Décris-moi le genre de commentaire de lecture qui te ferait réfléchir sur ton œuvre, par exemple, ton recueil de nouvelles « Être » qui sort le 17 février ?
J’espère que les gens réagiront aux différents thèmes que j’aborde. Tous commentaires issus de ces réactions me feront certainement réfléchir, qu’ils soient positifs ou négatifs. Un auteur désire toujours connaître l’opinion du lecteur. Le silence est terrible.

5 Nous sommes des amis Facebook (ça y est, je dévoile notre intimité !), pourquoi jusqu’à date privilégier Facebook à ton blogue pour la promotion de Être ?
Pour plusieurs raisons. Facebook est plus spontané et requiert moins d’efforts. Je bénéficie également de l’aide de mes amis pour une partie de cette promotion. En ce qui concerne mon blogue, je ne crois pas que ce soit la meilleure plate-forme promotionnelle pour ce que je fais. Rendu à ma troisième publication, mes attentes sont différentes. Je ressens moins le besoin de parler de mon processus de création. En ce moment, la blogosphère pullule d’auteurs qui nous font part de leurs états d’âme au quotidien tout en faisant des pieds et des mains pour nous convaincre de lire leurs trucs. Trop c’est comme pas assez. Ça commence à me boguer. Donc, pour moi, Facebook est un meilleur espace promotionnel. Les blogues des autres également !
Apparté : À la fin de cette entrevue, il y a un supplément (un lien), complétant cette question. Pour curieux seulement.

6 N’est-ce pas un peu spécial d’avoir à promouvoir sa propre œuvre ? Jusqu’où tu ne serais pas prêt à aller ?

C’est certain que c’est particulier. En même temps, je suis peut-être le mieux placer pour le faire. En ce sens, c’est un privilège. Toutefois, je demeure discret. Je ne peux pas insister autant sur mon livre comme je peux le faire pour d’autres projets auquel je crois beaucoup. Je ne me verrais pas faire des rappels insistants aux journalistes pour qu’ils m’invitent en entrevue ou pour qu’il parle de mon livre. J’ai fait une première approche, j’ai envoyé des services de presse avec un petit mot personnel et le reste ne m’appartient plus. Je fais confiance au bon jugement des médias.

7 Tu viens tout juste d’atteindre la quarantaine, quelles réalisations ou état d’Être aimerais-tu fêter à ta cinquantaine ?
Je n’y ai pas encore réfléchi. Je suis trop dans la belle découverte de la quarantaine.

8 Hamac, la collection que tu diriges est très ouverte à publier de l’autofiction.
Depuis longtemps, j’aimerais un peu fouiller ce dossier avec toi :
a) Est-ce que l’autofiction est obligatoirement au « je » ?
Nécessairement. Pour moi, l’autofiction est un je très intériorisé. J’ajouterais même qu’il se doit d’être impudique. Ce qui fait la différence entre un banal récit de vie et une véritable œuvre d’autofiction, c’est la qualité de l’écriture. L’auteur doit être capable de transcender sa réalité. Cela dit, ça vaut pour tous les auteurs de fiction.

b) En supposant que l’écrivain refuse de faire cette distinction, comment le comité de lecture peut-il faire la part de l’imaginaire et du vécu ?
Ça importe peu. L’important c’est la qualité et l’intensité du texte.

c) D’après toi, quelle est la force de l’autofiction déclarée par l’écrivain ? L’impudeur livrée avec talent. Il faut une plume forte pour arriver à écrire de l’autofiction. Il ne s’agit pas simplement d’étaler sa vie privée en public.

d) Est-ce que « Être » ton recueil de nouvelles est une œuvre d’autofiction ?
Pas du tout. Quelques nouvelles sont inspirées de faits réels, mais sans plus.

9 Après la lecture du premier roman d’un écrivain, t’est-il arrivé d’être déjoué dans tes pronostics sur l’envergure de son talent ? Y a-t-il un regard particulier à jeter sur un premier roman ?
J’envisage rarement les premiers romans sous cet angle. J’aimerai toujours découvrir de nouveaux univers, de nouvelles voix. Il y a quelque chose de particulier avec les premières œuvres comme un mélange de force et de naïveté qu’on ne retrouve pas nécessairement par la suite.

10 Ta première œuvre publiée était un roman, la deuxième a abordé la forme épistolaire, cette fois, un recueil de nouvelles.
a) Y a-t-il un genre que tu ne penses pas toucher (érotique, science-fiction, poésie, humour …) ?

Je ne toucherai jamais à la poésie ni à la science-fiction. Enfin, je crois. J’ai dans des boîtes d’archives un roman érotique qui est très bien là où il se trouve. Mon prochain projet Journal de tous les jours proviendra de mon journal intime. Le suivant, un roman, flirtera avec le fantastique. Moi qui ai une propension pour les choses graves, j’aimerais bien pouvoir écrire un roman au ton plus léger un jour. C’est un défi que je me lance. Je ne sais pas si j’y arriverai. Avec Être, c’est la première fois que je publie quelque chose au il.

b) Toi qui lit avec plaisir des œuvres jeunesse, est-ce probable qu’un jour tu écrives pour ces lecteurs ?
Depuis que je ne suis plus libraire, je délaisse tranquillement la littérature jeunesse. J’ai dans mes tiroirs un roman jeunesse pour les 9-12 ans qui ne demande qu’à être retravaillé. Je ne sais pas si je vais y retoucher un jour.

11 Par ordre d’importance, est-ce l’éditeur, l’écrivain, ou le lecteur qui détermine la couleur de notre littérature ?
L’écrivain, l’éditeur et le lecteur.

12 Ton recueil de quinze nouvelles Être se décline en quinze verbes : Vivre – Apprendre – Souffrir – Communiquer – Rêver – Mentir – Craindre – Haïr – Aimer – Penser – Croire – Juger – Partager – Vieillir – Mourir.
a) Avant de jouer à « La plus », as-tu le goût de nous raconter comment ce concept ingénieux a fait son chemin dans ta tête ?
Dès que je me mets à écrire, c’est tout de suite le côté existentiel qui s’impose. C’est tout de même un beau thème pour un recueil de nouvelles. L’idée était trouvée. Le titre n’a pas tardé. Ensuite, j’ai établi une liste d’actions importantes dans la vie d’un être humain. Je me suis limité à 15, en choisissant les plus représentatives de notre parcours. J’ai tenté de leur donner un ordre en lien avec chaque étape de l’existence. L’écriture est venue ensuite. Je me suis laissé inspirer par chacun des verbes en tentant de jouer avec les contrastes. Le travail de réécriture m’a permis d’ajuster le recueil en fonction de tous ces critères. Ça donne le résultat que l’on connaît.

2) Parmi les quinze nouvelles, quelle est La plus : Émouvante ? Réussie ? Près de toi ? Ardue à l’écriture ? Importante par le message ? Esthétique dans sa forme ?

La plus émouvante pour moi c’est la première Vivre. Elle me tire les larmes chaque fois que je la lis. J’aime Boris. Il est à la fois loin et proche de moi.

La plus réussie … Peut-être Juger. En l’écrivant, je me suis mis dans la peau du personnage. Mais réellement. À chaque phrase que j’écrivais, je me levais pour jouer l’action pour décrire avec le plus d’exactitude possible chaque geste fait par le personnage. Je trouve le résultat très intéressant. J’ai utilisé le même processus en réécrivant Aimer.

La plus proche de moi c’est nécessairement Mentir puisque je me suis inspiré de ce qu’a vécu ma mère dans les années 50.

La plus ardue a été Haïr, mon hommage à Hervé Guibert. Je suis parti d’un vieux texte que j’avais écrit il y a longtemps. L’écriture était très hachurée, syncopée. En le retravaillant, j’ai voulu pousser l’exercice à l’extrême en utilisant une seule idée très brève par phrase. Je voulais que cette idée complète celle de la précédente tout en amenant celle de la suivante tout en faisant évoluer le texte. Le résultat n’était pas concluant. C’était trop difficile à lire et trop proche de l’oralité. J’ai tout réécrit en ne gardant que les idées directrices du texte.

Au niveau de l’importance du message, c’est dans Craindre qu’on le retrouve. Avec Apprendre, c’est la nouvelle la plus engagée. Je pousse à l’extrême l’insécurité des parents d’aujourd’hui. Si on continue dans cette voie, bientôt il n’y aura plus de limite à la surprotection. Être, ce n’est pas ça. La vie est surtout belle parce qu’on ne la contrôle pas.

La plus esthétique dans sa forme c’est Mourir. Cette nouvelle est un hommage à Pauline Julien. Dans les derniers mois de sa vie, alors que son aphasie faisait son œuvre, je la voyais régulièrement à la librairie Champigny où je travaillais. J’avais un pincement au cœur chaque fois. Ses grands airs perdus me touchaient profondément. Ça contrastait avec la figure emblématique qu’elle a si bien incarnée pendant des années. Quand je me suis attaqué au texte, je me suis inspiré des symptômes de l’aphasie pour donner le rythme au texte.

12 Je crois que le papillon noir représente l’âme, mais je n’en suis pas certaine. De toutes manières la question se pose : pourquoi le papillon noir ?
Rendu à l’élaboration de la maquette de la page couverture, on se demandait comment symboliser le mot Être. Pas facile. On ne trouvait rien à part de mettre un humain. Ça ne nous inspirait pas énormément. Pourquoi le papillon? C’est en partie grâce à la pochette de disque d’Alexandre Désilets sur laquelle on trouve un papillon moitié noir, moitié blanc. Mais c’est plus que ça. Quand je travaillais à la réécriture du recueil, j’écoutais son disque en boucle et je trouvais que son univers collait vraiment bien au mien. On s’en est donc inspiré en retenant l’idée du papillon qui, en quelque sorte, est un beau symbole de la vie. Puisque le regard que je pose sur l’existence est souvent sombre, c’était clair qu’il serait noir. On a fini par l’épingler. On aimait le contraste avec l’idée de la vie, ce qui correspond plutôt au sens qui se dégage de mon recueil de nouvelles.

13 Pour l’accueil fait au petit dernier, es-tu plus confiant qu’aux deux premiers ? Te trouves-tu mieux armé pour mener à bien la bataille d’une diffusion efficace ?
Pour celui-ci, contrairement à mes deux autres projets, je n’ai aucune attente. Je sais seulement que mon cercle de lecteurs potentiels s’accroît de publication en publication. On va souhaiter que ça continue.

14 En une phrase - ou un verbe ! - qu’est-ce que tu aimerais qu’on dise de toi comme être humain ? Comme écrivain ?
Aucune idée.

15 Y a-t-il une question que tu détestes que l’on te pose dans une entrevue, en espérant vivement que je ne te l’aie pas posée !
Aucune. J’espère qu’il en sera toujours ainsi.

Vous aimez fureter dans les coulisses, eh bien, il y en a une à cette entrevue. Éric publie un billet intitulé Publier sur son blogue aujourd’hui et il en dévoile un peu. Pour curieux seulement ! Il est possible de lire entre les lignes, pour les vraiment très curieux …

11 commentaires:

gaétan a dit...

Très instructif, du moins pour moi. Merci Venise.

Venise a dit...

@ Gaétan : J'ai nettement l'impression que tu ne seras pas le seul ! Cette entrevue est riche d'informations de la part d'une personne immergée dans le milieu littéraire depuis un bon bout de temps déjà. Et à plusieurs titres ; libraire, écrivain, directeur littéraire.

Anonyme a dit...

Merci pour cette entrevue, Venise! C'est très intéressant et je lirai certainement ces nouvelles d'un oeil différent!

Anonyme a dit...

Ah très, très intéressant. Je vais maintenant me «pencher» sur ses écrits car j'avoue n'avoir jamais lu de E.Simard.
Merci venise

Danaée a dit...

Intéressante entrevue. Je connais Éric comme directeur littéraire, très peu de l'autre côté du miroir. C'est fascinant de voir comment il aborde son travail.

Jules a dit...

Je découvre une autre facette d'Éric ce matin. Il fait partie des gens que j'aime entendre parler de littérature. Son expérience est si vaste dans ce milieu, il est toujours captivant!

Mistral a dit...

Right! Marry me, Eric. Esplik me kossé l'autofiction!

Phil a dit...

Un auteur à découvrir pour moi.
Très bonne idée que cette entrevue !

Inukshuk a dit...

L’attribution des subventions (au Canada), qui encouragent la quantité à la qualité, oblige les éditeurs à publier beaucoup d’ouvrages souvent rapidement, ne favorise pas non plus cette approche.

Beau dilemme. Les subventions visent à palier le bassin restreint de lecteurs au Québec et au Canada; d'un autre côté sans support financier notable, quelles maisons d'édition seraient encore debout, mis à part Les Intouchables (par exemple)...

***C'est aussi important d'avoir de bons écrivains comme de bons directeurs littéraires, de bons éditeurs et de bons lecteurs.

Équilibre fragile...

Anonyme a dit...

Vivre – Apprendre – Souffrir – Communiquer – Rêver – Mentir – Craindre – Haïr – Aimer – Penser – Croire – Juger – Partager – Vieillir – Mourir.


Cette liste de mots est si vivante , si je puis me permettre !
Encore une belle entrevue , merci Venise !

Anonyme a dit...

Très intéressant, ne vous gênez pas pour recommencer avec d'autres "blogeurs".
Même si je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui au sujet de Facebook via un blogue, la preuve je l'aurai connu grâce au blogue et non Facebook!!!