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jeudi 19 mars 2009

Borderline - Marie-Sissi Labrèche

En l’an 2000, M.S.L. nait au monde de la littérature. À cette époque de ma vie, je lisais peu, et donc m’informais peu, et j’ai pourtant reçu quelques vagues de ce remous. Alors, m’y voilà enfin à cette écriture haletante, fébrile, nerveuse. Émotive. C’est le mot qui surplombe cette livrée de pensées intimes d’une femme juchée à « la limite de la raison et de la folie ».

En création, tout ce qui est à la limite de … est intéressant, à mon sens. Pour le jeu errant sur la lande du mystère. Elle est Bordeline, cette femme, et a le talent de nous amener sur les rives de sa raison-folie. Pour tout ce que sa folie a d’enjôleuse, pour tout ce que sa raison a de lucide.

Je passe aux aveux : j’ai vu le film. Mal m’en pris, même si je ne regrette pas ce Plat appétissant de chair tendre (ma critique à Voir.ca). Tout au long de ma lecture, j’étais Borderline entre voir Isabelle Blais, Marie-Sissi, Isabelle Blais … Avec de si esthétiques suggestions visuelles, je suis bien sûr passé à côté de celles en provenance directe de mon imaginaire !

Faut dire que Marie Charlebois (réalisatrice) a réussi un tour de maître ; propulser intelligemment le roman sur l’écran. Je me suis donc finalement livrée, entière, à l'écran méninges. Mais je me devais de vous le confier. Ça a changé ma lecture pour la substance visuelle complétant les mots. Ce roman avait pour moi une troisième dimension, même si je suppose qu’elle est pour tous, pour le talent de l’auteure à rendre l’émotion, même le vide :
Le vide m’habite. Il s’infiltre dans chacune de mes cellules à une vitesse vertigineuse, il va plus vite que le Faucon millénaire dans Star Wars. Je suis couchée par terre dans le salon, le plancher est froid et me glace le dos. Je m’en fous. Je ne me lèverai pas d’ici. Je n’ai plus envie de bouger. Le vide est tellement lourd.
Le malaise :
Je les vois mes parents, mes deux mamans, elles semblent arrêtées dans l’espace. Elles sont comme des ombres chinoises, sombres, les bras et les jambes crispés, toujours au ralenti. Je les vois, elles regardent dans le vide sans jamais se parler, sans jamais me parler. L’image est en arrêt. Le magnétoscope de ma famille est perpétuellement sur Pause.
De quoi donner envie à une enfant de 8 ans de brasser de l'air :
Mais alors là, quand je suis tannante, tout le monde sort de sa léthargie et s’empresse de s’occuper de moi. Je me mets sur Fast Forward et je fais de l’action dans la maison. Une vraie Arnold Schwarzenegger en jupon.
C’est typique chez elle, ces références de chez nous, et d’ailleurs. Ça peint le propos de couleurs criardes. Bigarrées. Justes.

À un moment donné, vers la fin, démontrant que toute bonne chose rassasie sa faim, les mots ont commencé à se frapper durement sur le mur des lamentations. Pour l'intimité serrée et stressante avec la douleur psychologique. Mais juste un peu, pas trop, mais assez pour me convaincre de mettre un espace temps, entre Bordeline et sa suite « Labrèche ».

Cette histoire est tout ce qui n’est pas fade, pâlot, Marie-Sissi Labrèche dirait « drabe ». C’est un torrent de vie avec l’arc en ciel des émotions tombé dedans. Et il faut le suivre, ce torrent, il rend à bon port, il nous conduit impétueusement à la brèche.

15 commentaires:

Anonyme a dit...

Je n'ai pas lu cette auteure, car je ne suis pas attiré par l'autofiction en littérature. Par contre, j'ai vu le film et j'ai bien aimé.

Venise a dit...

Ça y est, Réjean, j'y arrive. Ne plus faire de distinction entre l'autofiction et un bon texte. Quand une auteur, comme M.S.L empoigne son texte et en fait son roman, moi, ça me comble. Parce que, pensez-y Réjean, vous avez sûrement lu des romans sans même savoir qu'ils sont autofictifs.
Ce mot finalement donne une seule indication, nous sommes en présence d'un "Je" pleinement assumé. Un "Je" qui réussit le pari de se dévoiler en toute impudeur. Qui nous captive. Qui s'éloigne du pied de la lettre biographique.
Bordeline, à ce niveau, est très réussi.

Anonyme a dit...

Sans doute, Venise, ai-je déjà lu un roman qui était en somme de l'autofiction, même si je détecte assez vite ce type de démarche. Mon problème, ce n'est pas le résultat, mais toute la promotion que ces auteurs font autour de leur histoire personnelle. Les médias se les arrachent, laissant peu de place aux auteurs de fiction tout court. Ça me rebute. Par contre, j'avoue que MSL a eu une vie suffisamment «romanesque» pour en faire une oeuvre intéressante.

Venise a dit...

Réjean, si vous permettez, je continue de partager avec vous ma réflexion sur l'autofiction. Que l'auteur ait une vie assez "romanesque" pour que ça soit intéressant est une chose, mais la plus importante à mes yeux ait qu'il ait cette capacité (pas donné à tous) de regarder sa vie comme un roman. Évitant le petit côté nombrilisme qui, personnellement, m'agace. Je dirais même plus, m'énerve.

Anonyme a dit...

Voyez-vous, Venise, je suis peut-être vieux jeu en littérature, mais pour moi roman = fiction. C'est une équation incontestable. Si je lis encore des romans aujourd'hui, c'est parce que j'aime me faire raconter des histoires inventées de toutes pièces par des romanciers qui s'élèvent au-dessus de leur propre petite existence pour faire le pari de l'imagination. S'ils veulent absolument raconter leur propre vie, qu'ils aient alors le courage de l'autobiographie. Voir sa vie comme un roman est quelque chose de fondamentalement prétentieux à mes yeux et cette démarche ne m'intéresse pas.

Venise a dit...

@ Réjean : C'est peut-être ma formation de conteuse. J'ai fréquenté des conteurs, des vrais de vrais, qui vont collecter l'histoire de nos proches ancêtres, et qui partent parfois d'une anecdote de 5 lignes et avec la verve et la fougue du conteur font que l'anecdote devient une histoire de 10 pages.

Ça part d'une vraie histoire remaniée par le romanesque et s'y rajoute l'imagination. Il peut arriver la même chose dans la démarche d'autofiction : 5 lignes de sa propre vie devenant 10 pages.

Je ne veux pas que vous pensiez que je ne comprends pas votre préférence. C'est matière de goût. Vous aimez sentir que l'auteur s'évade dans un monde imaginaire, et son peu d'attaches à la réalité, qu'il vous y entraîne, vous amenant beaucoup plus loin. J'aime beaucoup aussi. Et quand l'histoire est subtilement métaphorique, j'aime encore plus !

Anonyme a dit...

Tout part de la démarche de l'écrivain. Un auteur qui veut écrire un roman et qui, en cours de route, transpose un épisode de sa propre vie, non seulement ça me va, mais je sais que les romanciers souvent n'y échappent pas. Par contre, un auteur qui décide de raconter sa vie en la romançant pour la rendre un plus plus intéressante qu'elle ne l'ait en réalité, cela relève de l'autofiction et, je le répète, c'est prétentieux.

Danaée a dit...

J'ai adoré et le film et le bouquin. Peu importe que "roman" égale fiction ou non. Je pense qu'il a de la matière romanesque partout où il y a matière à réflexion.

N'en déplaise à Réjean.

Anonyme a dit...

@Danaée : voilà un postulat intéressant qui ne me déplaît pas nécessairement. Pour avoir lu votre livre, je me permets de vous demander comment cela s'est traduit chez vous. Quelle réflexion a présidé à l'écriture d'Enthéos ?

Martin a dit...

La discussion m'inspire une question: est-ce qu'on peut lire un bouquin «vendu» comme de l'autofiction de la même manière qu'on lit un roman tradionnel? Car il ne faut pas oublier que c'est par la lecture que l'oeuvre se réalise pleinement, un peu comme dans le mythe de l'androgyne...

Venise a dit...

@ Martin : Ta très pertinente remarque rejoint la réponse d'Éric Simard sur le sujet de l'autofiction. Peut-être l'as-tu lu mais je la retranscris tout de même pour le bénéfice de tous.

Hamac, la collection que tu diriges est très ouverte à publier de l’autofiction.

a) Est-ce que l’autofiction est obligatoirement au « je » ?

Nécessairement. Pour moi, l’autofiction est un je très intériorisé. J’ajouterais même qu’il se doit d’être impudique. Ce qui fait la différence entre un banal récit de vie et une véritable œuvre d’autofiction, c’est la qualité de l’écriture. L’auteur doit être capable de transcender sa réalité. Cela dit, ça vaut pour tous les auteurs de fiction.

b) En supposant que l’écrivain refuse de faire cette distinction, comment le comité de lecture peut-il faire la part de l’imaginaire et du vécu ?
Ça importe peu. L’important c’est la qualité et l’intensité du texte.

c) D’après toi, quelle est la force de l’autofiction déclarée par l’écrivain ?
L’impudeur livrée avec talent. Il faut une plume forte pour arriver à écrire de l’autofiction. Il ne s’agit pas simplement d’étaler sa vie privée en public.

Anonyme a dit...

LECTRICES RECHERCHÉES

Pour une étude sur les personnages de femmes représentés dans cinq récits d’autofiction :

Borderline et La Brèche de Marie-Sissi Labrèche
Putain et Folle de Nelly Arcan
Le dégoût du bonheur de Mélikah Abdelmoumen

Bonjour,

Je suis étudiante à la maîtrise en communication à l’Université de Sherbrooke. Mon mémoire porte sur les personnages de femmes représentés dans cinq récits d’autofiction et sur la perception qu’en ont les lectrices qui font partie de la « génération X ».

Je suis donc à la recherche de femmes de 29 à 50 ans pour connaître leurs opinions sur les récits en question, soit Borderline et La Brèche de Marie-Sissi Labrèche, Putain et Folle de Nelly Arcan et Le dégoût du bonheur de Mélikah Abdelmoumen. Que pensez-vous des auteures, de leurs oeuvres et des personnages qu’elles mettent en scène? C’est ce que je cherche à connaître dans le cadre de ma maîtrise.

Je souhaite réaliser des groupes de discussion ou entretiens collectifs. Ce type d’entrevue se veut convivial. Il ne s’agit pas de réfléchir sur la valeur littéraire des récits, mais de discuter des thèmes qui y sont abordés et qui vous ont touchées. Vous aurez ainsi la chance d’échanger sur des sujets qui vous intéressent avec d’autres femmes de votre génération.

Pour participer, vous devez avoir déjà lu (dans le passé) au moins un des cinq livres à l’étude. Vous aurez quelques semaines pour lire un autre titre de votre choix avant la tenue du groupe de discussion auquel vous serez conviée, lequel se tiendra dans la région de Montréal entre la mi-juin et la fin juin.

Vous êtes intéressée? Je serais heureuse de vous donner tous les détails et de répondre à vos questions. Vous pouvez communiquer avec moi à l’adresse courriel suivante :
karine.bellerive@usherbrooke.ca

Au plaisir de vous entendre,

Karine Bellerive

Venise a dit...

Karine Bellerive : Vous êtes bienvenue de publier votre annonce sous mon billet et tant mieux si vous réussissez à recruter des lectrices. Par contre, cela ne sera pas moi puisque je ne fais pas partie de la génération X.

maxime9232 a dit...

Je vois que je reviens dans le passé de votre blogue, en 2009. Je viens tout juste de terminer le roman. J'y découvre par le fait même une discussion très intéressante sur l'autofiction dans les commentaires! Un style que j'affectionne particulièrement, quand l'auteur a une vie intéressante à raconter du moins... Je suis d'accord avec vous Venise quand vous demandez «comment le comité de lecture peut-il faire la part de l’imaginaire et du vécu ?
Ça importe peu. L’important c’est la qualité et l’intensité du texte.»

Côté autofiction, mon plus grand coup de coeur a été Putain de Nelly Arcan. J'en suis encore bouleversé.

Mais j'ai apprécié Borderline pour le style d'écriture qui est lui aussi "borderline", chambranlant entre les métaphores, les euphémismes et les hyperboles. En texte sans doute très inéressant à analyser pour un professeur de littérature qui veut expliquer les figures de style à ses étudiants!!

Si vous voulez vous replonger dans une lecture du passé, vous pouvez toujours venir jeter un coup d'oeil à mon appréciation, sur mon blogue personnel:
http://maxxximee.skyrock.com/3024882642-A-la-limite-de-tout.html

Merci pour votre passion, Venise
xxx

Venise a dit...

Maxime9232 : C'est vrai que la discussion qui a suivi est aussi intéressante que le billet. En plus, c'est un cadeau pour moi ! Ma récompense quoi !

Je viens d'aller lire votre (euh, c'est vrai, je t'ai tutoyé puisque sur ton blogue, tu tutoies tes visiteurs), ton commentaire de lecture. (Et pour en finir avec le "Tu", pourrais-tu me tutoyer ici aussi ? Ça me ferait un grand plaisir).

Comme tu l'expliques si bien dans ton commentaire, après cette lecture, on comprends ce que vit une personne "bordeline". Elle écrit maintenant pour les jeunes, Marie-Sissi et semble très épanouie.