Cette histoire coule sur un ton naturel autant qu’un chuchotement à l’oreille. À commencer par cette ado, jamais nommée par l’auteure, parce qu’elle n’a pas (encore) de personnalité. Sa vie est de suivre celle des autres. En lisant, en suivant sa mère chez les voisines (malgré son interdiction) dans le but d’écouter la conversation. Le summum de sa palpitation consiste à aller avec Judith au parc admirer le beau Marius, joueur de balles.
Par ses yeux, on voit défiler la vie de cette époque, comme un film où détails, accessoires, vêtements, échos de l’extérieur, tons, auraient été en tous points planifiés. C’est une photo réaliste où rien ne cloche. C’est un voyage en première classe pour visiter les années 65. C’est plus qu’une étude sociale, c’est sa résultante.
Déjà là, c’est beaucoup mais ce roman est plus encore. Sous ce dehors où tout coule naturellement se cache beaucoup de savoir-faire de l’auteure. Le naturel est, à mon avis, ce qu’il y a de plus difficile à rendre naturel. D’avoir pensé à donner la parole à une ado qui n’a pas de vie et se remplit de celle des autres est un procédé ingénieux et original pour nous faire voir. Je m’incline devant ce talent de Lise Tremblay.
Tout se tient jusqu’à la fin où le message est fortement rendu et ramasse toute l’histoire. Le vide se remplit, c’est le maximum que j’ose dire pour garder intact l’éclat discret de ce joyau. Il y a les bijoux éclatants et clinquants qui magnétisent le regard et il y a le bijou sobre qui brille d’une beauté naturelle comme l’est cette histoire de La sœur de Judith.
8 commentaires:
Décidément, ce livre vous a parlé ! J'ai déjà dit sur un autre blogue que je l'avais apprécié. Mais, le recul aidant, j'émettrai quelques réserves. D'abord, je trouve qu'il n'y a pas d'intrigue. La seule intrigue qui aurait dû être exploitée davantage d'après moi, c'est celle de Claire, de son échec comme danseuse et de son destin dramatique. Le reste, c'est-à-dire ce qui arrive à la narratrice jamais nommée, demeure assez anecdotique. Vers la fin, l'histoire s'essouffle un peu. La narratrice va entrer au secondaire en septembre et cela semble l'inquiéter... bof ! Ensuite, si l'écriture est sobre, elle manque un peu d'émotion. J'aime les narrateurs-enfants pour leur capacité à se montrer plus intelligent que la moyenne, y compris comme «écrivains». C'est ce qu'on trouve, par exemple, chez un Sylvain Trudel. Ici, nulle poésie. Enfin, je croyais que l'époque où se situe l'action serait mieux rendue encore, Tremblay ayant déclaré avoir fait beaucoup de recherche sur la fin des années 60. Bref, pour ma part, je trouve que son livre précédent, La héronnière, était beaucoup plus réussi. Mais Lise Tremblay a la cote depuis la publication de son premier livre, et les critiques le lui rendent bien.
@ Réjean : Je suis contente que vous me fassiez part de vos réserves. J’avais noté votre changement de cap, passant de l’enthousiasme à un bémol. Votre propos me fait comprendre la différence entre votre lecture et la mienne.
Premièrement, l’absence d’émotions des personnages ne m’a pas manqué du tout, cela a donné toute la place aux miennes, et je n’en manquais pas je vous assure, face à cette enfant qui se soumet à sa mère par peur de ses explosions. Qui attend son amie pour vivre à travers ses récits, qui dépend de la vie des autres pour palpiter. Je l’ai vécu très intensément, me disant que c’était bien là l’état d’enfance où tu n’as pas encore pris ta vie en mains. Aussi, quand est arrivé la fin où, même remplie de peur, elle a le courage d’envisager sa vie à elle, en allant dans une classe « enrichie », j’ai beaucoup savouré le message. Pour moi, elle faisait un choix, elle passait du cap de subir à vivre, sans trop en être consciente. Peut-être que son été avait été si « plate » à attendre après tout et chacun que cela lui donnait de l’élan pour attaquer sa vie et d'en faire quelque chose d'intéressant.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, l’auteure précise que la mère n’explose pas au retour de sa fille paniquée, quand elle se demande si elle va être à la hauteur des exigences scolaires. Cette ado prend courageusement sa vie en mains, quitte à apprendre le latin dans les toilettes ! Curieusement, cela coïncide avec un changement d’amie, elle se lie avec une fille forte qui a une longueur d’avance sur elle dans l’état « actif », au lieu de « passif ». À la fin, c’est la dernière fois qu’elle attendra après Judith qui, elle, attend après sa sœur. Elle va vivre sa vie à elle, au lieu de la subir. Et pour cela, elle affronte ses peurs, empoigne sa vie … et je vous dirai grâce à sa mère qui tout le long du récit ne se lasse pas de discourir sur le manque de poigne des voisins (parents de Judith et Claire) qui se laissent aller au gré des événements. Pour tout dire (quant à y être !), je soupçonne sérieusement Lise Tremblay d’avoir abondamment pigé dans son enfance, à Chicoutimi justement. Un indice, au début, elle remercie la révolte de sa mère et rend hommage à son père pour son talent de conteur.
Je dois avouer que le message est venu me chercher. Je crois beaucoup à ce thème pour un jeune de prendre sa vie en mains et de ne pas se distraire par la vie des autres pour fuir la sienne. Cette histoirele démontre sans en avoir l’air, ce qui rend le message encore plus fort à mon avis.
Vous avez fait une lecture intelligente de ce roman. C'est venu vous chercher au plus profond de vous-même, il va sans dire, beaucoup plus que moi. Tremblay a exploité ici un genre qu'on appelle le roman d'apprentissage qui veut que le héros vive un certain nombre d'épreuves afin d'en ressortir plus mûr et prêt à affronter la vie. Sa narratrice doit sûrement lui ressembler beaucoup. Malgré tout, je persiste à croire que La héronnière demeure son meilleur livre. Je vous le suggère.
C'est certain que "L'Héronnière" m'attend, maintenant que j'aime cette auteure, j'ai l'impression qu'il serait difficile d'être déçue, d'autant plus qu'autour de L'Héronnière, il y a consensus.
Alors, au prochain échange de points de vue, Réjean !
Je comprends votre réaction Réjean, j'ai eu la même. La sœur de Judith est le premier livre du prix littéraire que j'ai lu, et il me semblais bien, mais je dois avouer que suite à la lecture des autres c'est celui que j'ai le moins apprécié. Je suis aussi fan d'intrigue et d'histoire, c'est pourquoi ce livre m'a moins plu. Néanmoins, comme l'a si bien dit Venise, ce bouquin est une photo des années 60-70 très réaliste : c'est ce qui selon moi fait la force du livre. Enfin, pour ceux que ça intéresse, hihi. N'empêche que je ne reviens pas sur ma critique, ce livre est "bien" et m'a tout de même permis de passer quelques bons moments de lectures.
Pour ma part, j'ai beaucoup aimé. C'est mon coin de pays, j'ai aimé me balader à travers ces rues à une autre époque et les histoires racontées faisaient écho aux centaines d'anecdotes de jeunesse racontées par ma mère et ses amies. Pour l'amorce de découverte de soi, je n'élaborerai pas davantage... Venise a déjà tout dit!! ;)
J'ai beaucoup aimé "La Héronnière" aussi! N'hésite pas, Venise!
Finalement, à la suite de tous ces commentaires, je réalise plus que jamais combien nos attentes sont différentes. Réjean et Maxime Jobin se sont bien exprimés sur le sujet de l'intrigue.
C'est sûr que pour lire un livre avec intérêt, il faut être accroché et quand il y a moins d'intrigue, je réclame que les personnages ne me laissent pas indifférente. Je constate aussi que le fait que les personnages nous touchent, ou pas, est en relation étroite avec notre vécu, tandis qu'une intrigue bien montée va chercher à peu près tout le monde.
J'ai vraiment hâte de lire LA Héronnière (merci de me donner l'occasion de réécrire correctement le titre !).
Bien dit venise. ;)
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