Ces nouvelles sont une démonstration maîtrisée que l’on peut différencier le semblable. Nous n’avons pas à nous ajuster d’une nouvelle à l’autre, même si nous sommes dans une autre histoire, nous habitons toujours le même village. De toutes manières, le ton est le même, il s’apparente au style d’écriture de Lise Tremblay sous le mode confidence au « je » soufflé à nos oreilles. On y retrouve presque l’intimité d’une lettre ou d’un journal, tellement le « je » est crédible, plus que crédible même, vrai. C’est son art, ce talent particulier qu’elle a de faire dégager à ses « je » une aura si naturelle qu’on a plaisir à les suivre pour mieux les connaître (rapidement) dans les gestes les plus quotidiens, par de ces détails si crédibles qu’on ne manque pas de penser que cela lui est vraiment arrivé.
Je lui trouve beaucoup de talent à Lise Tremblay, j’ai tant aimé « La sœur de Judith » que je suis marquée à vie. On avait même laissé supposer que j’aimerais encore plus « La Héronnière ». Mais, si l’on doit comparer, eh bien, non, ce n’est pas le cas. Le pourquoi est essentiellement subjectif, nous entrons dans des considérations très personnelles. Le fait que le village y soit présenté sous ses revers les plus négatifs y est certainement pour quelque chose. Dans la relation ville/village, la ville gagne haut la main, disons plus par une démonstration que par des mots. Les villageois sont assez souvent malheureux, bornés, plusieurs quittent pour le monde meilleur, la ville. Et en cela, la dernière nouvelle « Le dernier couronnement » est le couronnement ultime et absolu du combien habiter un « village » peut être une chose néfaste pour un être humain. C’est ce message qui m’a fait un peu grincé des dents, ce qui entache en rien la valeur intrinsèque de l’œuvre. L’autre raison est très banale en fait, je préfère, quant à faire la connaissance intime d’un personnage, le suivre sur une plus longue période.
C’est ici que l’on met les pieds dans le champ miné des goûts.
La Héronnière, recueil de nouvelles (5), 115 pages, Babel (s'avale en une seule bouchée !)
11 commentaires:
C'est vrai que le village y est présenté comme un lieu négatif et je comprends que cela ait pu vous déplaire puisque vous habitez Eastman. Mais il ne faut pas généraliser. Moi, j'ai trouvé les histoires et les personnages très forts et j'ai bien aimé la construction du livre. Tremblay a habité longtemps l'Isle-aux-Grues. C'est sans doute le lieu qui l'a inspirée. D'ailleurs, certains habitants le lui ont fait sentir, si bien qu'elle a souffert d'intimidation et qu'elle a dû quitter l'île.
@ Réjean : Si elle a souffert d'intimation après la rédaction de La Héronnière, je n'ose pas imaginer quelle va être la prochaine oeuvre fictive qui se passera dans un village !
C'est mon préféré de Lise Tremblay. Pour avoir vécu autant en veille qu'à la campagne, elle brosse un portrait de la ruralité tout de même assez juste même si c'est dramatisé ici.
@ Éric : Peut-être la ruralité de jadis, car maintenant, il y a tant de citadins qui habitent les villages que l'esprit s'en trouve quelque peu transformé. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir trouvé crédible sa définition de la ruralité de jadis. Finalement, c'est ce que j'aime d'elle, je trouve tout crédible sous sa plume. Elle a un style désarmant à force d'être naturel.
Il y a un retour à la ruralité, au terroir, dans la littérature québécoise depuis La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy, oeuvre qui date de 97 je crois. On pense récemment aux Carnets de Douglas ou au Chant des mouches, romans qui se passent en milieu rural aussi. On pourrait trouver facilement d'autres exemples. Je ne sais s'il faut parler ici de courant important, mais c'est une tendance non négligeable. Avis aux jeunes intellos qui se cherchent un sujet de thèse...
Je trouve que votre réaction est très drôle. Pas au sens de risible, mais d'amusante.
En 2004 (je crois...), je faisais parti du jury local du Prix littéraire des collégiens. J'étudiais alors à Montréal, en plein quartier latin. Le recueil de Lise Tremblay était finaliste et les discussions ont été enflammées à propos de la "mauvaise image que donne Lise Tremblay de la ville". Voyez-vous, il y avait dans le jury des genre si attachés à leur Montréal qu'ils ont pris la chose personnelle et ont mené une vendetta contre Lise Tremblay.
Nul n'est prophète en son pays, pas plus qu'ailleurs, semble-t-il.
Je garde un souvenir très intense de ce recueil, et je n'ai pas peur de dire qu'il était mon premier choix, bien qu'il n'ait pas gagné. :)
@ Je suis Pierre-Luc : Je ne comprends vraiment pas : "mauvaise image que donne Lise Tremblay de la ville" ! La ville ?! J'essaie sincèrement de comprendre comment on peut voir ces nouvelles sous cet angle.
Remarquez, que la ville je l'ai habitée une quarantaine d'années, et je ne vais pas me lancer dans une guerre ville/campagne, quel est le meilleur endroit et où habitent les meilleurs gens ! En écrivant mon commentaire, j'étais consciente que ce n'est pas un argument pour ne pas aimer un livre, parce que justement si Lise Tremblay est arrivée à ce point à me faire réagir, c'est qu'elle a très bien mené ses histoires.
Si j'avais fait partie d'un jury, je n'aurais pas été capable d'utiliser cet argument pour défendre ou descendre une oeuvre.
Comme je le disais, nous entrons dans le champ miné des goûts et c'est bien délicat les goûts quand on est membre d'un jury.
Pierre-Luc, vous dites, en parlant de Lise Tremblay, que «Nul n'est prophète en son pays, pas plus qu'ailleurs, semble-t-il». Je crois que cette maxime ne s'applique pas du tout dans son cas, car Lise Tremblay a la cote ici comme ailleurs : la critique est de son bord depuis son premier roman, elle gagne des prix, elle est invitée à des émissions et à la Sorbonne... On est très loin de l'écrivaine incomprise par ses pairs. Je suis sûr que nombre d'écrivains québécois aimeraient être à sa place. Ses deux derniers livres n'ont-ils pas été en lice pour le prix des collégiens ?
Je reprends ici les arguments de mes collègues du jury : "Tout ce qui arrive de mal dans le livre arrive à cause des gens qui viennent de la ville. Les gens des villages se pensent tellement supérieurs, bla bla bla." Rien de bien élaboré, mais ça m'avait marqué et voilà pourquoi j'en ai reparlé ici parce que je pensais que ça serait amusant de le faire ! :)
Et je sais bien que Lise Tremblay profite du succès qu'elle mérite. Ce que je voulais dire, c'est qu'on l'a décriée dans les campagnes comme dans les villes. Parce que les gens aiment bien une petite guerre de clocher de temps en temps ! :)
@ Pierre-Luc : Surtout à la quantité de clochers qu'il y a par ici, s'ils se mettent en guerre, on ne s'entendra plus parler !
Je comprends mieux maintenant combien ma remarque sur le côté négatif des villages a pu réanimer vos souvenirs. Nous sommes aussi bien d'aborder ces remarques du jury sous l'angle cocasse au risque, sinon, d'en pleurer.
Ce court recueil de nouvelles a été décrié dans les campagnes et dans les villes ?!? C'est surestimé l'impact d'un livre. Pour ma part, je suis l'actualité littéraire depuis très longtemps et je n'ai jamais entendu de polémique autour de La héronnière. Au contraire, je n'ai lu que de bonnes critiques. Peut-être que cela s'est produit essentiellement au sein du jury du prix des collégiens. Si c'est le cas, c'est d'une étroitesse d'esprit à laquelle vous ne souscrivez pas, Pierre-Luc, heureusement. :-)
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