1. À quelle étape en es-tu dans l’écriture de ton (déjà ?) troisième roman ? Est-ce qu’il s’écrit plus facilement que les deux premiers ?
J’en suis aux balbutiements, l’étape où je commence à mettre des mots sur toutes les sensations, les images, les émotions que j’ai recueillies, que j’ai soigneusement collées et fait sécher plusieurs mois dans mon herbier. Est-ce plus facile? Non, je crois que c’est différent, comme peut l’être chaque gestation d’un enfant (ma meilleure chum est sur le point d’accoucher – ça paraît-tu?) ;-)
2. Pour les personnes qui ne le sauraient pas, tu tiens le blogue La Caravane, la roulotte littéraire. Qu’est-ce que t’apporte de tenir un blogue et d’en fréquenter ?
Ça me stimule! Ça me rassasie! Je suis d’une nature très curieuse, alors « l’écornifleuse » en moi en a pour son argent… Et puis j’aime le petit côté « Salon littéraire » de la chose : on échange, on découvre, on se questionne, on s’insurge, on s’amuse. Il y a des blogues pour tous les goûts. On trouve de l’humour de garage, des envolées spirituelles. Moi, j’aime les films d’auteur ukrainiens sous-titrés en japonais autant que le pop-corn dégoulinant, alors…
3. Comment te décrirais-tu dans les périodes où tu n’écris pas ?
Je passe de longues périodes sans écrire pendant lesquelles je culpabilise de ne pas le faire. Je suis paresseuse et coupable! J’aime folâtrer, imaginer mes personnages, l’ambiance du livre à écrire, les phrases géniales et les dialogues percutants que je pondrai… j’aurais bien aimé être une « rêveuse professionnelle »! Rosa Montero, une écrivaine espagnole contemporaine et très amusante, dit qu’il vaut mieux ne jamais essayer de vivre de la littérature mais plutôt vivre la littérature. Selon elle, en faire un travail nous plonge dans une série de contraintes qui finissent par tuer le talent et la spontanéité à petit feu. Je la crois.
4. Penses-tu avoir des enfants un jour et t’imagines-tu écrire pour cette catégorie de lecteurs ?
J’y pense, j’y pense (plus fort que mon chum…)! Écrire pour les enfants? Oui, malgré que ça ne doive pas être facile. Et puis je devrais censurer toutes les cochoncetées que j’écris, oh! Sérieusement, aller puiser dans la fraîcheur (et parfois la gravité) de l’enfance, ça m’alimente déjà. Je pense que j’ai encore les cheveux en bataille, de la bouette sur mes running shoes et du chocolat au coin de la bouche. Alors oui, j’écrirai sans doute un jour pour les enfants.
6. Est-ce qu’il y a des thèmes qui te collent à la peau, ou des personnages ?
Je pense que j’ai une relation organique aux choses. J’aime toucher, en écriture. Toucher la ville, toucher la forêt. Comme lorsqu’on laisse traîner sa main sur les troncs des arbres, les clôtures, les murs râpeux des édifices. J’ai une prédilection pour le grotesque : les terrains vagues où poussent des marguerites, les beaux visages où poussent des boutons, les familles où pousse la honte, la culpabilité.
7. Quelle est le plus beau qualificatif que l’on puisse donner à un auteur et tiens, tant qu’à y être, qu’est-ce qu’une bonne critique ?
« Ton écriture m’a ébranlée. » Une bonne critique? Une critique faite à mon livre.
8. Si on oublie deux secondes que tu es écrivain, quel métier aimerais-tu pratiquer, sans égard aux études ou aux aptitudes, et lequel serais-tu absolument incapable d’exercer ?
Danseuse orientale (aime ta bedaine et ta bedaine t’aimera!). Du pur bonheur!J’ai fait du baladi pendant 4 ans, j’ai même suivi un stage pour être prof! J’ai d’ailleurs perdu une fortune en costumes, ah! Les costumes! J’aime tellement me déguiser! Mais bon, disons que pour l’heure, mes idées de grandeur ont un peu ramolli… comme ma bedaine, d’ailleurs! ;-)
Je ne pourrais jamais être… comptable.
9. Comment te prépares-tu avant de commencer à écrire, par exemple est-ce que tu te documentes ?
Je vis. Je fais mon herbier comme ça. Je me documente parfois un peu, pour le plaisir du détail, sans plus.
10. Penses-tu qu’il y a une manière de faire le plein en tant qu’écrivain ou, en tout cas, toi, en as-tu une ?
Il y a le lac, celui de La Danse de la Méduse, justement. Mon cher lac Popo. Sinon, il y a tous les racoins solitaires dénichés en urgence quand tout d’un coup, je me fais rattraper au détour par les mots. J’aime les bibliothèques, aussi. Et les librairies pleines de livres craquants et tous neufs. Il y a aussi les parcs de Barcelone, où on peut lire le journal et regarder les petites vieilles qui cachent les crottes de leurs bichons sous des feuilles de platanes. Je fais le plein comme ça, à peu près.
11. Si tu avais une conférence à présenter, quel en serait le sujet et le titre ?
« Le monde arabo-musulman. Considérations artistiques et littéraires »
12. Qu’est-ce que ton séjour de sept ans en Espagne t’a apporté au niveau personnel et, s’il y a lieu, au niveau de ton écriture ?
Ma vie en Espagne, ce fût l’émancipation. Je suis partie assez jeune, à l’âge des découvertes, du sac à dos troué, des amours débridées. J’ai fait des rencontres qui m’ont ébranlée, qui ont relativisé le regard que j’avais sur mon propre pays, sur ma propre histoire. Je suis passée par toutes sortes de phases : l’émerveillement de l’exotisme, la déception, la solitude, la solidarité. J’ai été désarçonnée, ça m’a poussée à prendre la plume. Pour écrire, j’aime m’installer dans l’espace incertain du décalage. Je trouve que, loin de ses balises, physiques ou intérieures, on peut trouver une zone floue, un peu inquiétante, où la créativité se déploie comme la tige d’une fougère.
13. Crois-tu que d’avoir écrit « La danse de la Méduse » en Espagne aient nui à sa promotion au Québec ?
Non, je ne crois pas. Je pense que c’est la chance et une foule de petits détails qui s’accumulent qui permettent à un livre de se distinguer ou non, dans la mer houleuse du marketing. Parfois on ne provoque que de petites vaguelettes. Parfois, c’est une lame de fond.
14. Quel est le livre que tu as le plus souvent lu (ou des passages) et, bien sûr, pourquoi ?
« Métamorphoses d’un mariage », de Sándor Márai. Un écrivain hongrois méconnu que je ne me lasserai jamais de faire connaître. Il a sondé l’âme humaine aussi finement qu’un Dostoïevski, aussi poétiquement qu’un Camus. Malheureusement, le titre français est fort laid, celui en espagnol est plus heureux « La mujer justa ».
« - Dis moi ce qui ne va pas entre nous? Il resta silencieux. Après de longues minutes, il me dit : - Je n'ai pas besoin d'être aimé. - Ce n'est pas possible ! Répondis-je, grelottant; Tu es un être humain, tu as besoin d'amour comme tout le monde ! - Les femmes n'y comprennent rien, poursuivit-il d'un ton lointain comme s'il s'adressait aux astres. Il existe des hommes qui se passent d'amour mais elles ne veulent pas l'admettre. »
15. Parle-nous de l’inspiration. Est-ce qu’un écrivain peut être en panne d’inspiration ?
Oui, j’imagine. Par contre, je n’ai jamais eu le syndrome de la page blanche tout simplement parce ce que je ne m’assois devant mon clavier que si j’ai une idée en tête, sinon, ce n’est même pas la peine! Ça ne m’angoisse pas. En attendant d’avoir de l’inspiration, je m’occupe à autre chose.
16. Si tu avais du pouvoir ou de l’influence, quelle serait la première chose que tu changerais dans le milieu littéraire au Québec ? J’organiserais beaucoup plus de missions à l’étranger pour établir des contacts avec les éditeurs d’ailleurs afin de faire traduire et publier nos livres québécois à l’international. Actuellement, peu de nos ouvrages ont la chance de sortir de la Belle Province et de voyager.
17. Y a-t-il un trait de caractère que tu éliminerais allègrement afin de mieux vivre ta vie d’écrivaine ?
Ma paresse!
18. Si tu avais un conseil à donner à un écrivain en herbe, peut-être celui que tu aurais aimé recevoir quand tu as commencé à écrire, quel serait-il ?
Relaxe!!!! Fais-le pour ton plaisir!!! Tu as le temps!!! Ce n’est pas une course à la publication!!!
19. Est-ce que tu vois une grosse différence entre l’écrivain d’hier et celui d’aujourd’hui ?
J’ai seulement deux livres à mon actif, j’aurai plus de recul dans quelques années! J’ose quand même croire que je ne tombe plus dans autant de pièges qu’à mes touts débuts. J’apprends tranquillement à me structurer, même si je suis une adepte du désordre, pour plusieurs raisons…
20. Si tu avais une seule phrase (elle peut être longue si tu veux !) à adresser à tes futurs lecteurs, on aimerait bien l’entendre …
Je me range à l’avis de Cioran, quand il dit : « Le lecteur vrai est celui qui n’écrit pas. Lui seul est capable de lire un livre naïvement, unique manière de sentir un ouvrage. »
Alors, amis, ennemis lecteurs, n’écrivez surtout pas avant de me lire! ;-)
14 commentaires:
Ah, si j'étais écrivain, comme j'aimerais me faire interviewer par vous !
Encore un petit bijou Venise!
La seizième question est bien pertinente et j'adhère à 100% à l'avis de Laurence.
@ Réjean : Je suis chanceuse, jusqu'à date, les interviewées sont inspirées et généreuses (vous ne me voyez pas, mais j'ai les doigts croisés en ce moment :-D).
Ceci dit, si vous étiez écrivain, comme j'aimerais vous interviewer !
@ Béo : Ça tombe bien ta remarque, ça me permet d'introduire un prochain billet. Je vais donner un exemple, un modèle à suivre dans ce sens-là.
Pour partager mes moments forts, et de un, c'est la fin de la 6, pour la reconnaissance de l'écrivaine en verve, et de deux, j'adhère tout à fait à la fin de la 12 :
"Pour écrire, j’aime m’installer dans l’espace incertain du décalage. Je trouve que, loin de ses balises, physiques ou intérieures, on peut trouver une zone floue, un peu inquiétante, où la créativité se déploie comme la tige d’une fougère".
Les réponses qui m'ont le plus surprises : la danseuse de Baladi et l'appel aux lecteurs qui n'écrivent pas !!!
Je mesure bien ma chance d'avoir eu Venise comme intervieweuse! :-)
J'ai lu récemment sur le blogue de Tristan (Voir) qu'un auteur québécois allait être publié en Espagne, ça m'a fait chaud au coeur, il y a donc de l'espoir que de plus en plus de nos livres voyagent...
@ Laurence : Une intervieweuse n'est rien, absolument rien, sans la personne qui répond. Cela n'empêche pas que ton appréciation me fait un grand plaisir.
Je ne sais pas si tu as lu mon commentaire sous le billet de Tristan Malavoy-Racine, mais je disais que je comptais consacrer un billet à cette bonne nouvelle. Bientôt !
Intéressant d'avoir parmi nous une écrivaine qui a fait un long séjour à l'étranger.
J'aime bien l'idée d'aider à promouvoir nos écrivains dans d'autres pays.
Je viens tout juste de sortir du four un petit billet dans mon blogue sur ma perception de la critique littéraire.
Il va être diffusé demain... S'cusez, je fais ma propre promotion avec un sans-gêne rare! ;)
@ Inukshuk : Ne te gênes surtout pas pour faire tes promotions, nous sommes là pour faire des liens afin que les informations passent. Si c'était n'importe qui, je dis pas, mais c'est toi ;-)
D'ailleurs, je t'ai fait une promotion dans mon billet précédent : "La littérature aime le cinéma".
Oui, j'avais vu.
C'est pourquoi je te "promotte" dans mon billet de demain (en fait juste après minuit pour le public européen, rien de moins!)
Hé!
(J'en profite pour demander à Laurence si elle trouve l'approche des écrivains espagnols différente de celle des Français. Quand elle dit par exemple qu'elle croit à l'écriture sans en faire une profession. Est-ce l'influence des Espagnols? Parce qu'en France, l'écriture est perçue comme une réelle vocation.)
@ Inukshuk : Mozaille de bonne question !!! Je suis certaine qu'aussitôt que Laurence va la découvrir, elle va s'empresser d'y répondre.
En fait, ce que disait Rosa Montero, c'est que, à partir du moment où tu as besoin d'écrire pour mettre du beurre sur la table, il se peut que tu commences à faire des concessions douteuses, à tenter de plaire aux lecteurs, aux mécènes, etc. C'est ça qui peut finir par étouffer la flamme. Si tu as un métier alimentaire, déjà, tu te libères de certaines contraintes. Mais je suis d'accord avec Inukshuk: écrire est une vocation, ça, ça ne change pas, en France, en Espagne ou au Québec! L'artiste indigent, alimenté par la flamme créatrice, est une image bien romantique. Il est vrai que lorsqu'on se place en décalage de la société, l'inspiration est souvent au rendez-vous. Or, ce décalage, je le trouve dans toutes sortes de situations, à l'intérieur de moi-même comme au-dehors. Certains se lancent à corps perdus dans l'écriture pour en vivre, peu importent les années de vaches maigres à venir. Je n'ai pas choisi cet espace-là de décalage parce que j'ai tendance à croire, comme Rosa Montero, que ça peut avoir un effet pervers sur la créativité, à la longue.
Par ailleurs, il y a des écrivains qui ont accepté de prendre le risque et ils n'ont pas été des écrivains mineurs.
Je pense à Knut Hamsun (La Faim), George Orwell (Dans la dèche à Paris et à Londres), le dramaturge August Strinberg et plein d'autres encore. L'épisode du Bateau-lavoir (Picasso et ses amis) en est un "bel" exemple aussi.
Il y aurait un débat fort intéressant là-dessus. Je ne suis pas sûr que "l'artiste maudit" ne soit qu'un mythe, non plus que ce ne soit que LA seule façon de devenir artiste.
Bien sûr, il y a de tout, mais je conteste cette idée qu'on doive être un artiste maudit pour vivre sa passion de l'écriture, que le talent serait tributaire de la vie de bohème. À l'occasion, l'obligation d'écrire pour mettre du pain sur la table nous pousse plutôt à faire des concessions artistiques qu'on ne consentirait pas dans une autre situation. Bien sûr, il n'y a pas que le critère économique qui fasse déraper les artistes, il y a aussi l'orgueil, la soif d'être approuvé, la popularité, le manque de confiance en soi. Ce sont aussi de fameux "déviateurs"... D'un autre côté, il est vrai que la nécessité économique nous donne parfois une petite poussée et nous aide à faire preuve de génie. Rien n'est noir ou blanc, au final, et j'aime bien me tenir dans les zones grises...
Une auteure dont les propos sont justes et forts intéressants. Merci Venise pour cette belle rencontre que tu nous rapportes et qui, personnellement, me donne le goût de connaître les écrits de dame Laurence.
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