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jeudi 22 janvier 2009

Les soupers de fête - Jean Barbe

Cette lecture est une expérience et un choix du destin, je ne sais pas lequel passe avant l’autre. L’expérience consistait à lire le dernier, Le travail de l'huître et ensuite le premier roman Les Soupers de fête d’un auteur maintenant reconnu. Et y constater l’évolution. Pourquoi ? Pas seulement pour le plaisir de la chose mais aussi pour entretenir l’indulgence de mon regard posé sur les premières œuvres. Car j’en lis beaucoup, et de plus en plus, des premières œuvres. Pour le choix du destin, et bien, ce roman s’est quasiment glissé dans ma main à la bouquinerie de Sherbrooke « Une histoire … un livre ».

Long préambule avant d’exposer qu’est-ce que j’en ai pensé … Bon, allez, je me lance ! C’est la première fois, je dois le dire, qu’à la lecture du résumé sur le quatrième de couverture, je ne reconnais pas l’histoire que j’ai lue. Il y est dit « Il y a toujours dans un groupe d’amis un être d’exception, plus fort que les autres, qui les dépasse et dont on sait qu’il fera de grandes choses ». Je n’ai pas reconnu cet être d’exception et son potentiel à faire de grandes choses. Je l’ai lu et vu semblable aux autres car il est surtout question d’un trio d’amis ; Caroline, Charles et François « l’être d’exception ». Ce dernier, parti en voyage, revient après un an. Caroline et Charles semblent en être bouleversés ou, en tout cas, leur quotidien fait de non-dits, d’habitudes et de lassitudes l’est. Beaucoup de lassitude flotte sur, sous et entre les lignes de cette histoire assez ténue en rebondissements.

En partant, ce n’est pas nécessairement évident d’éveiller l’attention avec de la lassitude ; la langueur de vivre tire en longueur. Sous un dehors de fonctionnement normal, ces trois personnages nourrissent un trop-plein de frustrations. Le voyage semble occuper une place importante, un peu comme une option pour s'échapper de leur vie, en vivant un salvateur ailleurs, dans leur tête ou dans leur corps.

Charles, ce peintre qui s’auto-punit en ne peignant pas, m'est apparu plus énergique. Le chapitre qui lui est plus explicitement consacré prend du mieux, s’enhardit un peu et j’ai alors réussi à entrevoir le style d’un Jean Barbe, avec du sarcasme, de la dérision, de l’énergie. J’ai enfin eu l’impression que l’auteur prenait son élan du tremplin de ses lignes pour rebondir, prenant le risque de ne pas savoir où il poserait ses pieds. C’est cet abandon-là qui manque le plus cruellement à l’ensemble de ce roman. Il est tenu sous brides, un peu comme une personne invitée à une entrevue et qui voudrait tellement bien faire, et ne surtout pas se tromper, qu’il s’en exprimerait la voix éteinte, les émotions étouffées sous un épais couvert d'interdits.

Difficile de voir, d’entendre Jean Barbe derrière ces lignes. Mon expérience est donc tout à fait concluante ; il ne faut pas juger trop vite les premiers romans et pour l’affirmer, j’ai en mémoire Le travail de l’huître, cette œuvre peaufinée, instinctive, habile.

Si je pousse mon expérience et me demande ; aurais-je su détecter le romancier en puissance derrière cette première œuvre ? Alors là, j’avoue un humble « Je ne sais pas » pour l’ensemble et un franc « Non » à la lecture du premier chapitre. Ce premier chapitre m’a donné de l’urticaire : vais-je continuer l’expérience ? Je l’ai trouvé carrément nébuleux, et carrément en autant que la nébulosité puisse avoir une forme. Je me suis posé la curieuse question : à la réception de ce manuscrit, comment le « comité » (malgré qu’un comité soit souvent composé d’une seule personne) a-t-il eu la motivation d’aller plus loin ? Je le répète, je parle du premier chapitre seulement, la suite s’améliore et on peut dire grandement dans ce cas. Mais c’est assassin un premier chapitre d’une vingtaine de pages sur un roman de 157, et je le dis pour tous les postulants écrivains.

Je ne regrette pas ma lecture. J’y ai été intéressée malgré les nombreuses maladresses, n’oubliant pas non plus qu’il n’y a pas que son auteur qui a évolué depuis 1991, notre littérature au grand complet, incluant les commentateurs. Et ici, je fais allusion à mon rôle de commentatrice qui, il ne faut pas l'oublier, a tout l'avenir devant lui pour évoluer !

24 commentaires:

Inukshuk a dit...

Une loi non écrite (en littérature) veut qu'un écrivain commence à maîtrise son art à partir du troisième roman.

Je dois confesser que je n'ai pas lu Jean Barbe, mais que si je devais le faire un jour j'irais tout de suite vers le dernier qu'il vient de faire publier.

Venise a dit...

@ Inukshuk : C'est vrai qu'entre ces deux-là, il n'y a pas d'hésitation possible, et puisque je n'ai lu que ces deux-là, je l'affirme avec emphase !

J'en suis maintenant à "Comment devenir un monstre ?", son deuxième roman qui m'attire beaucoup. J'ai hâte de connaître la recette ... pour devenir un monstre :-). Bah, elle était tentante celle-là !

Mais selon la loi non écrite dont tu fais mention, ce serait "Comment devenir un ange", son troisième roman, qui démontrerait une maîtrise. À moins que les deux autres publiés avant, un recueil de chroniques et Autour de Dédé Fortin comptent, même si ce ne sont pas des romans.

helenablue a dit...

Oh ! je viens de commander "le travail de l'huître " suite à tes conseils ...

" Comment devenir un monstre " ! pas besoin de la recette ! :) mais "comment devenir un ange " , là ...

On en reparle ...
Merci à toi , Venise ,
amitiés
Blue

Anonyme a dit...

Chère Venise! Quelle expérience intéressante!! C'est vrai que les premiers balbutiements d'écrivains ne sont pas faciles, heureusement qu'il y a des éditeurs (et des lecteurs) capables de reconnaître le potentiel de grâce dans un apparent bric-à-brac de débutant... ;-) Ce n'est pas donné à tout le monde d'éclore aux premiers rayons du soleil, il y a des plantes qui poussent dans l'ombre pendant plusieurs années avant de révéler tous leurs charmes. Parallèlement, j'ai souvenance d'une autre expérience avec "Bonheur d'occasion" de Gabrielle Roy. Un journaliste avait envoyé le manuscrit à plusieurs maisons d'édition, en changeant le titre, évidemment, et il avait été refusé partout, il me semble. Comme quoi, l'engouement pour un livre (ou un écrivain) est souvent conditionné par toutes sortes de facteurs autres que le livre en soi...

Inukshuk a dit...

Venise, on peut être un monstre et très bien écrire... (en référence au troisième livre de Barbe que tu intitulerais "comment devenir un ange").

On en revient à ce vieux concept du Bien s'affrontant au Mal (manichéisme) alors que les deux co-habitent le plus souvent dans une même personne.

Ah, si j'avais du temps, la plus précieuse des valeurs...

Unknown a dit...

... et que le talent n'est pas si facile à déceler...

Anonyme a dit...

@ Laurence : Il me semble que ce n'est pas «Bonheur d'occasion» qui a été envoyé par un journaliste et refusé par tous les éditeurs, mais bien le premier roman d'Anne Hébert, «Les chambres de bois». Pire, personne ne l'avait reconnu, comme quoi il faut parfois se poser des questions sur les comités de lecture des maisons d'édition...

Venise a dit...

Inukshuk : Le Bien et le Mal, des colocataires rarement d'accord ! C'est souvent la discorde, et qui a le dernier mot ? J'ose croire que c'est la Conscience.

Venise a dit...

@ Laurence : Je suis aussi intéressée que toi vis à vis cette question de talent, de premier roman. De manuscrit non lu, vis à vis ceux qui le sont, parce que connus (référés) ou en tout cas qui arrive avec un titre, des études. J'ai l'impression, ce n'est qu'une impression (je le souligne en gras), que lorsque la personne a des études en littérature, déjà, le regard qui se pose sur ses lignes est différent.
C'est une question que je me pose depuis longtemps : est-ce que la bio reçue avec le manuscrit a une portée pour détecter le talent ?

Venise a dit...

@ Réjean : Je suis assez portée à vous croire, premièrement c'est rare que vous vous trompez et deuxièmement pour tout ce que j'ai lu de biographique de Gabrielle Roy, sans jamais qu'il y soit fait mention.

Mais, ceci dit, je suis assez contente qu'une rectification ait été nécessaire, c'est une bonne manière d'avoir de vos nouvelles :-) et de constater que vous êtes toujours au poste !

Lacaravane a dit...

Oups, oui, il s'agit bien d'Anne Hébert, et non pas de Gabrielle Roy. Est-ce que la biographie de l'auteur éclaire le texte d'une lueur différente? Hmm.... je pense que le marketing et tout ce qui entoure la figure de l'auteur influencent sans doute un peu notre jugement sur son talent. De mon côté, j'essaie de lire sur l'auteur après avoir lu le livre. J'essaie de voir un film et ensuite, de lire les analyses et critiques. Parfois l'influence des critiques est bonne et on adhère, parfois pas du tout (je me réfère à mon expérience de la pièce de théâtre BOB). Il faut garder la tête froide et le coeur ouvert... pas toujours facile!

Lacaravane a dit...

En passant, tu m'as bien intriguée, Venise, avec ton petit commentaire laissé sur la Caravane, la semaine dernière...

gaétan a dit...

Moi j'ai aimé lire ''Comment devenir un monstre''. Serait-ce possible que ce titre m'accroche plus que ''comment devenir un ange'' parce que je suis un homme. C'est vrai que la guerre intéresse très peu les femmes (préjugés?) mais pourtant je suis convaincu que la violence n'a pas de sexe.
Honte à moi je me rappelle vaguement de l'histoire mais faudrait voir si le cuisinier était une cuisinière et l'avocat une avocate si le cheminement psychologique aurait pu être le même et surtout crédible. Moi je pense que oui. C'était mon opinion à 5 sous :-)))

Venise a dit...

@ La Caravane : Ton propos est intéressant mais tu parles après la publication tandis que moi, je parlais avant. Je pense que je n'ai pas été claire là-dessus. Je veux dire que le manuscrit que l'on dépose à un comité X dans une maison d'édition X, s'accompagne toujours d'une Bio. C'est ce qui est demandé en tout cas. La personne, ou comité, qui a à donner un avis très important, c'est à dire "poubelle" ou "édition" se laisse-t-elle influencée, là était ma question.

Venise a dit...

@ Gaétan : Tu m'apprends que "Comment devenir un monstre " a comme sujet la guerre. Je savais même pas. J'ai fait une recherche Google et voilà que je suis prête à donner raison à ta psychologie à 5 sous (c'est toi qui l'as dit !) parce que après lecture des deux résumés, mon attirance va pour "Comment devenir un ange".

Qu'importe finalement puisque je vais finir par lire les deux. Et puis, il y a parfois les bouquineries qui prennent les décisions à ma place !

Anonyme a dit...

Hmm... pour ce qui est de la biographie lors de la lecture d'un manuscrit... il faudrait demander à nos amis les éditeurs, ils seraient plus à même de répondre à la question. Mais si je m'imagine dans la peau d'un membre de comité de lecture, je pense que la biographie de l'auteur (à savoir s'il est connu ou pas) éveillerait mon intérêt mais au final, je pense que ça n'aurait pas trop d'influence sur mon jugement. Il y a des auteurs que j'adore, sans pour autant adorer tous leurs livres...

Anonyme a dit...

Euh tu peux lire «Comment devenir un monstre» Venise, ce n'est pas que la guerre crois-moi mais surtout un très bon roman. Tiens j'y pense il me faudrait parler d'aussi de «Comment devenir un ange» et lire son tout dernier. Hum je prends du retard.
Bonne journée

Venise a dit...

@ Suzanne : Je me doutais bien (j'y comptais presque !) que tu viendrais rétablir les faits. En fait, c'est sur ton blogue "Entre les lignes" que j'ai pris ce goût du "Comment devenir un monstre". Je sais que tu as beaucoup aimé. Je ne savais pas que tu avais lu "Comment devenir un ange" par contre. Petit suspense à l'horizon !
Oui, oui, lire "Le travail de l'huître", excellente idée !

Venise a dit...

@ Laurence : Si tu faisais partie d'un comité de sélection, et qu'il y aurait toutes des "Laurence" dans les comités de lecture, je ne me soucierais pas du tout de l'influence de la bio ...
Et je ne blague pas là !

Lacaravane a dit...

T'es gentille Venise, mais je suis certaine que mon jugement est bien souvent biaisé par une foule d'éléments en sourdine dont je ne rend même pas compte. J'essaie quand même d'être le plus consciente possible des influences "sous-terraines" et de m'en défaire... Pour en revenir à la chasse au talent, l'expérience du manuscrit de Anne Hébert me fait me poser la questions suivante: à quoi tient le talent? C'est tellement difficile à définir!! Si vous avez des théories ou des intuitions, je serais curieuse d'avoir votre avis là-dessus!

Inukshuk a dit...

Parlant de talent difficile à "déceler", je vous rappelle que Réjean Ducharme s'est fait refusé par tous les éditeurs du Québec.

En dernier recours, il a envoyé son manuscrit par la poste avec cette seule adresse:
"Éditions Gallimard
Paris
France"

Je ne sais pas ce qui appartient au mythe et à la réalité dans cette anecdote, mais je veux croire au mythe...

Venise a dit...

@ Laurence : À quoi tient le talent ?" ... question à développement ! Comme cette question vient suite à comment détecter le talent, c'est important de faire la distinction. Ce n'est pas parce qu'un talent ne sera jamais décelé, puis reconnu, que ce talent n'existe pas. Il y a un concours de chance et de circonstance à gagner pour sortir du lot.

Le talent, pour moi, est une facilité à faire une activité, un art. Ensuite, se rajoute le travail ou la paresse ! J'entends par paresse, s'asseoir sur ses lauriers ou se fermer à l'évolution. Avoir du talent, dans un art, par exemple, ne veut pas dire être arrivé. Il faut se mettre sur le mode apprentissage pour se dépasser. Pour développer le talent, il faut avoir l'attitude du dépassement. On ne peut se dépasser, si on se pense trop bon, par exemple !

Le talent est chose courante, un don, c'est autre chose, comme l'exemple classique : Mozart. Mais un don dans l'écriture, j'ai cherché des exemples, il y en a sûrement mais je préfère laisser la question ouverte ...

J'ai ouï dire que les maisons d'édition reçoivent plusieurs manuscrits de personnes talentueuses mais qui n'ont pas assez travaillé leur texte. Je pense que c'est ce qu'il y a de plus courant comme situation.
Mais que Ducharme ou Anne Hébert aient été refusés est plutôt une question de ne pas reconnaître un talent, et là, il y a certainement une question de goût aussi. Et même, de disposition d'esprit. J'y tiens. D'après moi, l'être humain a une réelle tendance à se laisser influencer par les titres, les Prix, l'étiquette. Je serais curieuse de faire faire des tests "à l'aveugle", disons-le comme ça, laissant croire à un groupe de personnes que tel roman a reçu un Prix prestigieux et l'autre pas (les inverser par exemple) et je suis pas mal certaine que le livre (faussement) primé recevrait des commentaires plus élogieux.

Mais malgré ce vent de l'influence qui peut souffler fort chez certains, je constate à tous les jours combien une personne peut adorer un roman et l'autre pas du tout. Et comme les comités de lecture sont formés de personnes, ont-elles toujours la disposition d'esprit ou ont-elles toutes le même talent à évaluer le talent ?

C'est mon opinion du moment, elle est sujette à changement avec la vie qui s'en mêle. La vie remplie d'êtres humains !

Unknown a dit...

À quand un test Pepsi pour les romans? Quelle bonne idée, Venise! D'un côté, le livre non-primé, de l'autre "la marque populaire"... héhé, ça serait drôle! Et ça nous permettrait de mesurer le pouvoir du marketing...

Unknown a dit...

Déceler le talent, ça prend du talent, oui! Et aussi une grande conscience du marché... pauvre Anne Hébert, elle a dû se retourner bien des fois dans son tombeau des rois!!

Le talent, ça se travaille, oui. Il nous faut des critiques pour nous piquer au vif, nous ébranler dans nos convictions. Il nous faut des lecteurs emballés, pour nous encourager à faire aller notre plume. Il nous faut reconnaître nos forces, nos faiblesses. Il faut écrire, écrire, raturer, recommencer. Il faut savoir évaluer si oui, il y a bel et bien un talent ou s'il vaut mieux faire ses valises. Il faut être égoïste et un peu fou, aussi. Complexe!