Pourtant, dès le départ, la langue alerte et imagée m’a tout de suite accrochée, c’est plutôt la dureté de l’enfance d’une femme de 90 ans que j’ai due apprivoiser. N’étant pas encore attachée à l’aïeule, j’éprouvais de la réticence à me plonger dans la misère et je n’appréciais pas encore le ton « humour ambigüe » de l’auteure. Et puis, je ne savais pas où donner de la tête entre l’incessant aller-retour du présent au passé.
Progressivement, j’ai fait la connaissance de la femme forte qu’est Hagar qui jamais ne s’en laissera imposer, ce qui peut pousser un être humain au seuil de sa tolérance. On peut être forte de caractère, malgré la vulnérabilité de l’âge et de la maladie et c’est l’expérience palpitante que l’on fait en lisant cette histoire. Je dis « lire » et tout de suite, je trouve le mot faiblard ; « vivre » cette histoire. Je l’ai vécue et tremblée d'émotions. Attention, ce n’est pas un récit nostalgique, poétique, sensible mais plutôt d’une dureté réaliste, sans mièvrerie, ni descente aux enfers de la déprime.
Pour vivre une histoire, il faut que naisse l'attachement à un personnage, le mien a été intense et passionné pour Hagar, l’ancêtre récalcitrante. C’est déjà quelque chose de rester vive et animée quand ton corps de quatre-vingt dix ans abandonne peu à peu ton esprit, mais être récalcitrante, il faut le faire ! Et Hagar le fait magistralement !
Ce qui est prodigieux est que cette femme de caractère, criblée de défauts et qui a fait d’importantes « erreurs » de parcours (les défauts nous exposent à l’erreur!) pourrait être rebutante. Et tout au contraire, on s’y attache, ce n’est pas un personnage de papier et je pourrais maintenant avancer, « Hagar disait, Hagar faisait, d’après Hagar… ». Je vous assure que les retours dans le passé ont fini par me passionner, au même titre que l'on se passionne du passé de qui on aime afin de mieux comprendre son présent.
La structure de ce roman est exemplaire, Margaret Laurence a poussé l’audace jusqu’à faire des parallèles entre le passé et le présent en ce sens que les actions différaient mais la similitude d’émotions prévalait. Ce qui fait très clairement comprendre comment le passé influe sur le présent, fait à ne surtout pas oublier dans notre inévitable fréquentation des personnes âgées.
On dit que c’est une œuvre majeure et encore d'actualité, j’appuie sans aucune réserve. À lire pour vivre avec une femme fière qui prouve que notre vie nous appartient jusqu’à notre dernier souffle.
L'ANGE DE PIERRE, Le cycle de Manawaka, Margaret Laurence, 444 p. - Alto
11 commentaires:
Ça fait plusieurs fois que je passe à deux doigts de l'acheter quand je passe en librairie mais là, tu sais être convaincante!
La littérature canadienne anglaise, que je découvre avec intérêt depuis quelques années, possède des richesses saisissantes. Il ne reste plus qu'à se les approprier.
@ Ah, Lucie, comme je serai surprise que tu n'avales pas ce roman goulûment. Moi, il est arrivé à me faire décrocher de ma propre vie et ce n'est pas si souvent que cela arrive ... peut-être parce que j'aime beaucoup ma vie !
Voilà une critique pas mal "plus mieux" que la mienne!! J'ai adoré malgré les efforts de traduction!
Je crois que je vais céder à la tentation... il est édité en France chez Joëlle Losfeld !
Hé bien maintenat, j'ai encore plus hâte de le lire!
Oh! Un autre bouquin qui attend sagement dans ma PAL (acheté au Salon du livre en avril...) et qui me démange de plus en plus! Aïe!
@ Grominou : Je ne te connais pas beaucoup, mais le roman est tellement passionnant que j'oserai avancer que tu vas l'aimer. En tout cas, j'ai drôlement hâte de savoir si tu vas l'aimer. C'est ainsi que l'on apprend à connaître quelqu'un !
@ Caro(line) : Tandis que toi, je te connais suffisamment pour m'avancer un peu plus, en espérant que tu aimes les personnages qui ont du caractère et assez omniprésents. Et un humour assez dévastateur.
@ Danaée : Vois-tu, c'est avec toi que je suis la plus certaine ; tu vas aimer ! Je suis contente que tu te sois laissée tenter au Salon.
N'allez pas croire que je le prenne de haut mais il me semble que l'auteur est aussi invariable que la hauteur.
C'est sinon un plaisir que de lire aussi chantournée calligraphie.
@ François et fier de l'Être : Il est d'usage courant d'ajouter un "e" à auteur. Ne le prenez pas avec hauteur mais, ici, d'une manière totalement délinquante, on ose s'approprier le féminin.
Mais j'avoue que j'ai cherché en vain le mot calligraphie auquel vous faites allusion ... Plaît-il que vous m'expliquiez l'insinuation ?
Je vais craquer sans scrupule alors... ;-)
Tout doux l'amie, nulle envie d'en découdre. Mais il me semblait qu'il existait dans notre bonne langue un féminin bien singulier au mot auteur et qu'il s'agissait du mot AUTRICE.
Quand à la calligraphie, vous et moi savons qu'il s'agit de l'art de bien former les caractères d'écriture et je pense pouvoir dire que du caractère, vos billets en ont.
J'aime votre style que voullez-vous!
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