
C’est très original comme présentation ; une semaine, on baigne dans l’univers de Stéphanie à Montréal et l’autre, on se transporte au Brésil. Qu’elles soient sur des pôles opposés rend leur échange d’autant plus intéressant. Leur caractère et leur vie sont aussi très différents. Mais si ce n’était que de cela, la lecture ne m’aurait pas autant captivée ; ces dames vouent un amour pour la langue qui n’a pas besoin d’être expliqué puisqu'elles le démontrent. Chacune de leur capsule est une petite perle de poésie. Elles savent ouvrir, développer et boucler avec art leur journée. Elles font de leur texte des morceaux de dentelle brodés avec les fils du quotidien. C’est un art et se sont des artisanes, travaillant avec de la matière essentiellement féminine. Elles sont toutes les deux mères et m'apparaît que le récit n’est pas inventé, à peine embelli.
J’ai été fascinée par leur manière de poser l'environnement immédiat, surtout Stéphanie qui a le tour d’émouvoir par son regard sur la nature. Isabelle joue un peu plus avec les émotions, c’est intéressant aussi. Somme toute, elles avaient leur spécialité. Les peurs, inquiétudes et émotions sont cachées derrière la façade des mots, effleurés et affleurées, sans jamais s'étendre sur le champ émotif, se tenant loin du défoulement. La contrainte qu’elles se sont donnée, ne serait-ce que la concision, a généré une élégante tenue textuelle ; du condensé dans son sens le plus positif ; l’extraction du meilleur.
J’ai savouré cette lecture pour tout ce qui nous est offert à deviner, même si certains s’ennuieraient de la quasi absence de tension dramatique. L'intrigue est surtout faite de leur relation exclusive. Presque jalouse. Difficile de mettre le doigt sur ce qui les aimante à ce point une vers l’autre. Mais veut-on vraiment mettre le doigt dessus ? Le mystère crierait de douleur !
Comme je suis extrêmement curieuse (ça aide d’ailleurs pour aimer fouiner le quotidien de ces deux femmes dans la trentaine), j’ai voulu deviner comment elles avaient procédé pour arriver à cet almanach. J’ai fini par comprendre qu’elles s’expédiaient leur carnet journalier à la fin du mois et cru saisir qu’entre ces envois, elles communiquaient entre elles, par téléphone ou par courriel. Dans le leur carnet, elle parle de l'écriture de leur carnet, ce qui donne une distanciation frôlant la bizarrerie. L’échange des impressions continue même quand elles vivent une journée ensemble, ce qui donne deux regards sur un même événement, j'ai beaucoup apprécié.
Un très bon moment de lecture pour moi, savoureux, mystérieux, à peine un peu trop relaxant vers la fin de la dernière saison où j’ai eu l’impression que les fils s'étaient un peu relâchés.
Un équilibre précaire à tenir ; arriver à relaxer sans ennuyer et ici, c'est gagné !
Premier roman : Almanach des exils de Stéphanie Filion et Isabelle Décarie, Marchand de feuilles, 425 pages.